Le changement s’est opéré à partir de l’album Gala Mill (2006), dernier disque des
australiens de THE DRONES enregistré
avec le guitariste Rui Pereira. Une rupture entérinée par le départ de ce
dernier, la fin annoncée (?) des complaintes blues noise débridées et la fin
des duels de guitares noisy et enflammés. Et depuis le presque piteux Havilah (2008) et l’inutile A Thousand Mistakes (2011) – au choix un
quadruple DVD ou un double LP commémoratifs – on ne donnait pas très cher de la
peau de The Drones, groupe autrefois autrement flamboyant et désormais
inintéressant, noyé dans la mégalomanie galopante de son chanteur/leader Gareth
Liddiard. Hey! Gareth, il me semble pourtant qu’en 2010 tu avais tenté
l’expérience en solo pour ton album acoustique Strange Tourist, alors vas-tu quand même continuer dans la mauvaise
voie et t’évertuer à saloper ce qui fut il n’y a pas si longtemps de ça un
(très) bon groupe ?
I See I
Seawed vient de paraitre et on a cru un instant que l’on allait ressortir à
peu près la même chronique que pour Havilah,
détaillant les monologues longuets et semble-t-il complaisants d’un chanteur
épaulé par un groupe de mercenaires entièrement acquis à sa cause. Et c’est peu
dire qu’I See I Seawed est le disque
d’un seul chanteur puisqu’on n’y entend que lui, sa façon aussi inimitable
qu’irritante de chanter, entre déraillements nasals et éructations de pseudo
clochard céleste. Et là, c’est le choc : effectivement I See I Seawed est un disque épuisant
mais il s’agit aussi d’un disque passionnant. Malgré de nombreux défauts.
Ces défauts, énumérons-les rapidement : en
premier lieu, des chansons qui sont toutes faites sur le même modèle, à
l’exception notoire d’un A Moat You Can
Stand It placé presque en milieu de disque, tel la flèche d’une église se
voyant à des kilomètres à la ronde sur une morne plaine, un titre de rock blues
cramé et crasseux qui loin de faire tâche permet à I See I Seawed de respirer. Qu’un titre de cette ampleur et de
cette force serve à la fois de point de repère, de point de ralliement et de
piste de décollage n’est ni une anomalie ni une maladresse, c’est de la
manipulation pure et simple. Mais ça fonctionne.
Les autres défauts du disque sont des chœurs
féminins un peu embarrassants mais pas rédhibitoires, du piano qui suit le même
chemin (et joué par un cinquième et nouveau membre à temps plein : Steve
Hesketh), des arrangements de cordes un peu grandiloquents (mais heureusement
uniquement sur un ou deux titres) et une pochette de disque horrible (je
sais : cela n’a rien à voir avec la musique).
Alors pourquoi I
See I Seawed finit-il par s’imposer ? Tout simplement – et en dépit de la répétitivité dénoncée ci-dessus – parce que ce
disque recèle en définitive les meilleures compositions de The Drones depuis
des années. Carrément. Une collection de ballades crépusculaires et hantées
avec un Gareth Liddiard dont la logorrhée n’est pas une vilaine maladie mais
l’expression compulsive du faiseur et du compteur d’histoires. Et on finit par y
croire aux (longues) histoires de Gareth, même si on regrettera encore que les
autres membres de The Drones s’effacent toujours plus devant sa superbe et sa
gouille d’auteur maudit.
I See I
Seawed est donc un disque de balades traversées de tempêtes électriques –
il y a également de fort belles interventions à la guitare, même si toujours
amenées de la même façon et jouées à l’identique – et qui est à ranger aux
côtés de ces disques entre chien et loup, quand la pénombre est aussi captivante que difficile à fuir et signe de tourments ou d’erreurs. Vous pensez à Nick
Cave ? Et bien vous n’en êtes pas très loin, surtout avec un titre tel que
How To See Through Fog et sa ligne de piano, sauf que là où
Nick Cave (nous) fatigue sérieusement, en mal d’inspiration certain et faisant
preuve d’un narcissisme injustifiable et risible, Gareth arrive lui à
convaincre, finalement il y a encore de la magie et de la sincérité dans ses
histoires à lui. Et puis… et puis on admettra, contrairement à ce que l’on a
longtemps pensé à l’écoute de I See I
Seawed, que The Drones est un vrai groupe, certes discret et au service de,
mais un vrai bon groupe – ce qui n’est vraiment plus le cas des Bad Seeds
depuis longtemps.
[I See I Seawed
est édité en CD digipak et en double vinyle et n’est disponible qu’en Australie
ou à des prix prohibitifs pour les nombreux fans de The Drones qui habitent
dans l’hémisphère nord]