vendredi 24 mai 2013

The Drones / I See Seaweed




Le changement s’est opéré à partir de l’album Gala Mill (2006), dernier disque des australiens de THE DRONES enregistré avec le guitariste Rui Pereira. Une rupture entérinée par le départ de ce dernier, la fin annoncée (?) des complaintes blues noise débridées et la fin des duels de guitares noisy et enflammés. Et depuis le presque piteux Havilah (2008) et l’inutile A Thousand Mistakes (2011) – au choix un quadruple DVD ou un double LP commémoratifs – on ne donnait pas très cher de la peau de The Drones, groupe autrefois autrement flamboyant et désormais inintéressant, noyé dans la mégalomanie galopante de son chanteur/leader Gareth Liddiard. Hey! Gareth, il me semble pourtant qu’en 2010 tu avais tenté l’expérience en solo pour ton album acoustique Strange Tourist, alors vas-tu quand même continuer dans la mauvaise voie et t’évertuer à saloper ce qui fut il n’y a pas si longtemps de ça un (très) bon groupe ?
I See I Seawed vient de paraitre et on a cru un instant que l’on allait ressortir à peu près la même chronique que pour Havilah, détaillant les monologues longuets et semble-t-il complaisants d’un chanteur épaulé par un groupe de mercenaires entièrement acquis à sa cause. Et c’est peu dire qu’I See I Seawed est le disque d’un seul chanteur puisqu’on n’y entend que lui, sa façon aussi inimitable qu’irritante de chanter, entre déraillements nasals et éructations de pseudo clochard céleste. Et là, c’est le choc : effectivement I See I Seawed est un disque épuisant mais il s’agit aussi d’un disque passionnant. Malgré de nombreux défauts.
Ces défauts, énumérons-les rapidement : en premier lieu, des chansons qui sont toutes faites sur le même modèle, à l’exception notoire d’un A Moat You Can Stand It placé presque en milieu de disque, tel la flèche d’une église se voyant à des kilomètres à la ronde sur une morne plaine, un titre de rock blues cramé et crasseux qui loin de faire tâche permet à I See I Seawed de respirer. Qu’un titre de cette ampleur et de cette force serve à la fois de point de repère, de point de ralliement et de piste de décollage n’est ni une anomalie ni une maladresse, c’est de la manipulation pure et simple. Mais ça fonctionne.
Les autres défauts du disque sont des chœurs féminins un peu embarrassants mais pas rédhibitoires, du piano qui suit le même chemin (et joué par un cinquième et nouveau membre à temps plein : Steve Hesketh), des arrangements de cordes un peu grandiloquents (mais heureusement uniquement sur un ou deux titres) et une pochette de disque horrible (je sais : cela n’a rien à voir avec la musique).
Alors pourquoi I See I Seawed finit-il par s’imposer ? Tout simplement – et en dépit de la répétitivité dénoncée ci-dessus – parce que ce disque recèle en définitive les meilleures compositions de The Drones depuis des années. Carrément. Une collection de ballades crépusculaires et hantées avec un Gareth Liddiard dont la logorrhée n’est pas une vilaine maladie mais l’expression compulsive du faiseur et du compteur d’histoires. Et on finit par y croire aux (longues) histoires de Gareth, même si on regrettera encore que les autres membres de The Drones s’effacent toujours plus devant sa superbe et sa gouille d’auteur maudit.
I See I Seawed est donc un disque de balades traversées de tempêtes électriques – il y a également de fort belles interventions à la guitare, même si toujours amenées de la même façon et jouées à l’identique – et qui est à ranger aux côtés de ces disques entre chien et loup, quand la pénombre est aussi captivante que difficile à fuir et signe de tourments ou d’erreurs. Vous pensez à Nick Cave ? Et bien vous n’en êtes pas très loin, surtout avec un titre tel que How To See Through Fog et sa ligne de piano, sauf que là où Nick Cave (nous) fatigue sérieusement, en mal d’inspiration certain et faisant preuve d’un narcissisme injustifiable et risible, Gareth arrive lui à convaincre, finalement il y a encore de la magie et de la sincérité dans ses histoires à lui. Et puis… et puis on admettra, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé à l’écoute de I See I Seawed, que The Drones est un vrai groupe, certes discret et au service de, mais un vrai bon groupe – ce qui n’est vraiment plus le cas des Bad Seeds depuis longtemps.

[I See I Seawed est édité en CD digipak et en double vinyle et n’est disponible qu’en Australie ou à des prix prohibitifs pour les nombreux fans de The Drones qui habitent dans l’hémisphère nord]