mercredi 29 février 2012

Pal / And Out Your Mouth





PAL* est un duo originaire de Toulouse et qui sort son tout premier album, And Out Your Mouth, à la fois chez Rat Romance et chez Prototype records. Pal c’est un type à la guitare et à la voix et un autre type à la batterie et éventuellement aux hurlements dans le fond. Il paraitrait que ce dernier est même l’ancien batteur des excellents Quartier Rouge, qu’il a aussi joué dans Breath Your Dirt (comme le chanteur de Morse) et qu’il serait le batteur actuel des énormes Stuntman, groupe dont je rappelle que l’album The Target Parade a réussi à se colleter l’une des dix premières places du Tope Of The Dope 2011 de 666rpm. Toutes ces précisions inutiles (parce qu’elles ne parlent aucunement de musique), c’est uniquement pour vous situer un peu le niveau de ces deux là et surtout pour donner une toute petite idée du registre auquel il faut s’attendre avec Pal. Juste une petite idée mais également bien incomplète.
Le duo frappe ainsi très fort avec ce premier album tout de nerfs à vif et de fureur. C’est même sacrément bon et foutrement bien abouti. Du hardcore hyper dense, très technique, violent, saignant et avec un son brut et vicieux – un son que d’aucun qualifierait de sludge, si ça peut vous faire plaisir je ferai pareil, bien que cela ne signifie pas réellement grand-chose. Mais si on entend par là une certaine filiation avec un groupe tel que Black Cobra – trop facile : Black Cobra est également un duo guitare/batterie et voix – on admettra alors qu’il y a bien de ça dans Pal, c'est-à-dire le même genre de hardcore déchainé, teigneux et sale.
Le guitariste doit avoir un chargeur à riffs dans l’avant bras, comme sur un pistolet mitrailleur, c’est du moins ce que l’on pense en découvrant Far Beyond Couscous, un premier titre (presque instrumental) puis Mudslide, un deuxième titre plus lent, chanté, bourré d’idées sauvages et d’accélérations superbes. Deux titres et Pal a déjà tout bon. La suite l’est tout autant et c’est par exemple Beewar, un nouvel instrumental qui après une belle intro (Cursed) alterne passages lents et torrents de violence, ou les très impressionnants et complexes Dumbledarkthrone et Gazalleluia** qui raviront les amateurs de riffs gras et bien placés.
Pal joue décidemment très technique mais surtout très jouissif : derrière le savoir-faire, derrière la science du riff qui tue, derrière les plans de batterie qui assassinent, il y a toujours un incroyable feeling hardcore, du rentre-dedans de première catégorie. Et que la musique du groupe soit majoritairement instrumentale ne lui est guère préjudiciable : les apparitions des voix – ou de terribles hurlements (l’excellent American Crooostysearg) – représentent un paroxysme supplémentaire dans la brutalité et la colère de Pal. Sincère et direct, And Out Your Mouth est également un disque que l’on réécoute de suite, tellement il arrive à faire du bien. Une bonne décharge d’adrénaline.

Aux dernières nouvelles les deux Pal seraient déjà en train de préparer une suite à And Out Your Mouth (officiellement publié en juin 2011). Il faut donc s’attendre pour cette année 2012 à un nouvel album que l’on espère aussi bon que celui-ci ainsi qu’à une tournée triomphale des caves des bars de France et d’ailleurs. Vivement.

[pour contacter Rat Romance c’est par ici. Pour visiter Prototype c’est ]

* oui c’est de plus en plus courant et oui c’est bien une page F***book, un endroit où justement tu peux te faire plein de nouveaux pals
** la teneur de tous ces titres, aussi absurdes que bourrés de private joke, n’aura bien sûr échappé à personne

mardi 28 février 2012

Report : Loup + DDJ au Périscope - 24/02/2012



Une belle affiche free jazz/noise machin truc avec LOUP et DDJ en concert au Périscope. Mais contrairement à ce qui était annoncé à l’entrée de la salle, il ne s’agissait nullement d’une double release party. DDJ proposait effectivement un nouvel album mais celui de Loup ne paraitra lui qu’au mois de juin prochain, sur Gaffer records.
Le Périscope est malheureusement resté bien vide, sans doute parce que au même moment de l’autre côté de la ville se déroulait Le Festival de La Jeunesse de la Honte* en soutien à S’Etant Chaussée, organisateur de concerts lyonnais bien connu mais néanmoins sur la paille (comme tant d’autres). Et puis il faut dire également qu’un prix d’entrée à 9 euros pour deux groupes plutôt inconnus pouvait se révéler dissuasif… du moins voilà un tarif qui n’incite ni à la découverte ni à la curiosité et heureusement que j’ai pu dégainer ma carte de chômeur professionnel pour pouvoir bénéficier du tarif réduit à 7 euros.
Il ne s’agit pas de polémiquer car les temps sont durs, aussi bien pour les organisateurs de concerts que pour les amateurs de musique(s) mais il y a forcément un moment où les choses ne seront plus possibles : le point d’équilibre entre rentrer dans ses frais ou se faire un petit peu d’argent pour les groupes/organisateurs et ne pas se ruiner pour aller voir un concert est de plus en plus difficile à trouver.



Loup – duo composé de Clément Edouard** et de Franck Gaffer/Sheik Anorak et groupe que l’on connait bien ici – a été invité par le périscope pour assurer la première partie de ce concert et c’est tant mieux : c’est toujours avec grand plaisir que l’on revoit ces deux là, et leur mélange de free jazz barré, de rock bruitiste, de manipulations sonores et de drone indus est toujours plus intrigant et plus passionnant.
Même si on a déjà vu et entendu les deux musiciens sur une scène un nombre incalculable de fois on est toujours surpris par la vitalité et le dynamisme de leur musique qui donc ne s’embarrasse guère de codes musicaux mais sait très bien les utiliser pour autre chose et propose quelques angles d’attaque et points de vue différents. Les deux musiciens ont des backgrounds à priori dissemblables – Clément est un vrai jazzeux, Franck vient du punk et de la noise – mais ils sont aussi esthètes l’un que l’autre, ont les oreilles grandes ouvertes et finalement beaucoup de points de convergence.
Dans le cas de Loup le terme de collaboration prend ainsi tout son sens et débouche logiquement sur une musique qui possède indéniablement la plus grande des qualités : l’immédiateté.




C’est la deuxième fois que je vois le trio DDJ en concert. DDJ comme la première lettre du nom de chaque musicien qui compose le groupe : Benjamin Dousteyssier au saxophone baryton, Julien Desprez*** à la guitare et Yann Joussein à la batterie. Et DDJ présente ce soir son deuxième album, Everybody Happy ?**** qui vient tout juste de paraitre sur Coax records (le label du collectif du même nom et dont IRèNE fait également partie).
Lors du concert à Buffet Froid le côté découverte et surprise avait sûrement pris le pas sur tout le reste. Dans le cadre beaucoup plus feutré et nettement plus confortable du Périscope il en a été tout autrement. Je (re)découvre un groupe encore plus énervé et tendu et après une introduction guitare/batterie à faire vibrer de bonheur tout amateur blasé et quarantenaire de noise rock, le saxophone baryton fait son entrée et DDJ décolle immédiatement en direction de la sonicsphère.




Je ne sais donc pas ce que ces trois là avaient mangé ou consommé avant le concert, je ne sais pas s’ils avaient ou pas une bonne raison d’être ainsi énervés mais DDJ a largement explosé les vumètres et les quotas généralement admis en matière de freeture volcanique et de free noise tout court. L’une des particularités de DDJ c’est l’utilisation d’un saxophone baryton – un instrument bien trop rare et pourtant tellement porteur de beaux sons alliant abrasivité et tellurisme mais aussi rondeur et expressivité – or il faut bien admettre que c’est la guitare qui s’est taillée la part du lion. Mais on admet également qu’elle n’aurait pas pu le faire sans l’appui d’un saxophone aussi inventif et de cette batterie vraiment convaincante dès qu’il s’agissait d’allier puissance et flamboyance.
Julien Desprez – nommons-le puisque c’est de lui que l’on parle – a tout simplement un vrai son de malade. Il ne joue pourtant pas très fort, la bourrinade n’a pas droit de citer ici, ce qui lui permet au contraire de jongler sur l’équilibre entre violence du son et fourmillement des détails. Des détails son jeu n’en manque précisément pas, une délicatesse certaine, un touché particulier et une façon de manipuler sa guitare, presque du bout des doigts, qui contraste avec les sons qui en sortent.

[DDJ a joué un premier set et tout le monde croyait que le groupe allait s’arrêter là. Mais après une courte pause les trois musiciens sont remontés sur scène pour une dernière et courte partie encore plus explosive]

* festival qui apparemment ne s’est pas aussi bien passé que ce qu’il aurait du, la connerie humaine n’a pas de limite même dans les milieux DIY
** il est également membre des Lunatic Toys qui fêteront la sortie de Briciola, leur deuxième album et le premier pour Carton records, le 8 mars prochain au même endroit
*** il joue dans IRèNE aux côtés de Clément Edouard mais on le retrouve également  au sein d’un énigmatique trio nommé Q
**** un album dont on reparlera ici très bientôt, tout comme celui de Q qui vient de paraitre chez Rude Awakening

lundi 27 février 2012

Report : The Good Damn et OTTO aux studios PWL - 23/02/2012





Le concert surprise de la semaine. Et une bonne occasion de la ramener (un peu) et de se la raconter (beaucoup)*. Lorsque il y a quelques jours est arrivé ce mail parlant d’un concert « privé » aux Studio PWL avec à l’affiche The Good Damn et OTTO, mon cœur a tout simplement fait un bon terrible. On sait bien que c’est l’un des guitaristes des Good Damn qui s’occupe des studios PWL et comme les OTTO sont de leurs amis et qu’ils effectuaient alors une mini tournée de trois ou quatre jours dans la région (le 24 février à Chambéry, le 25 à Annecy et le 26 retour à Lyon, à l’Epicerie Moderne), l’idée de ce concert un peu spécial et en guise de préambule a germé tout doucement mais sûrement. Il s’agissait également pour The Good Damn de profiter de l’occasion pour présenter quelques uns de ses tout nouveaux titres.
On le comprend, voilà une invitation qui ne pouvait réellement pas se refuser… et donc, jeudi 23 février, direction Lyon Vaise, ses embouteillages, son cinéma multiplexe inutile puis arrivée au PWL où déjà je m’émerveille des vieilles bécanes qui hantent le studio. Le concert va lui se dérouler dans la cave (les concerts dans des caves ce n’est pas comme si on n’en avait pas l’habitude à Lyon depuis les déboires de Grrrnd Zero) et The Good Damn a décidé de jouer quasiment dans le noir, uniquement éclairé par des petites bougies placées dans les aspérités du mur. Un vrai cauchemar technique pour qui tenterait de prendre des photos.



L’idée de dévoiler à un parterre d’invités (vieux amis du groupe, connaissances en tous genres mais tous amateurs de musique) des nouveaux titres encore en plein process était une très bonne idée. Or, dans l’esprit, il ne s’agissait que d’une présentation toute simple alors que nombre de personnes s’attendaient sûrement à un véritable concert en bonne et due forme. The Good Damn n’aura donc joué que trois titres (que j’ai beaucoup aimés, particulièrement le dernier), cueillant le public un peu à froid – peut être eut-il mieux valu jouer d’abord deux ou trois compositions anciennes et (re)connues pour chauffer tout le monde, y compris les musiciens du groupe, puis présenter ces nouveaux titres et terminer enfin, parce que c’est bon aussi de se faire mousser, sur l’un des titres phares de l’album I Can Walk With My Broken Leg (au hasard : The Hill ou Self Made Man).
Mais il n’en fut pas ainsi et il y a eu une certaine frustration. Ce qui n’a pas empêché d’écouter et d’apprécier trois nouvelles compositions (donc), trois compositions peut-être plus psyché, moins axées sur le swamp et le blues. The Good Damn essaie visiblement de varier un peu ses atmosphères et cela va bien au groupe. Il y avait ce titre très étonnant avec du mellotron et surtout le guitariste/chanteur du groupe délaissant pour la première fois sa guitare pour s’installer derrière un clavier. On sent les idées nouvelles qui fusent mais qui respectent aussi (peut-on réellement le formuler ainsi, ça je n’en suis pas très sûr) tout ce que The Good Damn a déjà accompli jusqu’ici.




Ce que tout le monde n’avait donc pas réellement compris, c’est que cette soirée était avant tout un concert d’OTTO. Inviter un groupe que personne ne connait sur Lyon alors que le groupe en question est constitué d’amis et dans le seul but de le faire connaitre à d’autre amis était vraiment une belle initiative et une belle façon de faire de la part de The Good Damn. Mais je regrette encore que tant de personnes aient rapidement quitté la cave pour discuter à l’air libre ; par contre toutes celles et tous ceux qui sont restés ne l’ont pas regretté.
Il est plutôt difficile de trouver les mots justes pour expliquer que l’on a vraiment aimé un concert. Mais par contre dans ce cas précis j’ai trouvé dès le lendemain et complètement par hasard une bonne petite méthode de substitution, une méthode détournée bien sûr… en réécoutant le CD qui regroupe les démos/EPs de OTTO** je me suis donc aperçu que le concert de la veille avait effacé les quelques idées trop préconçues exprimées il y a presque un an à propos de ce beau disque et qu’il avait même éliminé les petites réticences exprimées alors. C’était à la fois comme une confirmation et comme une redécouverte.




La principale chose c’est qu’OTTO n’est pas un groupe aussi sérieux que sa musique pourrait le laisser croire. Ce sont même des sacrés déconneurs et ils sont plus inconscients (innocents ?) que sciemment tarés et pas du tout poseurs***. Les projections (diapositives et calques sur rétroprojecteur) font partie intégrante d’un concert d’OTTO : le jeune homme qui manipulait tout ce matériel chantait même de temps à autre, pas vraiment pour lui, non, plutôt suffisamment fort pour être entendu de tous (le bassiste et le batteur du groupe faisant la même chose). Il y avait alors dans l’air comme une ambiance de chants de marins, une sorte de mélancolie braillarde telle que les Movie Star Junkies savent eux aussi si bien la pratiquer. On pourrait également parler de ce titre interprété avec le batteur et le bassiste jouant des percussions au milieu du public.
Et puis il y avait tout cet attirail, ce patafatras invraisemblable d’ustensiles, de percussions additionnelles, de pédales d’effet trafiquées, de bricolage divers. On pouvait déjà soupçonner la présence de tout ceci en écoutant les enregistrements mais à voir en vrai cela devenait presque incroyable. On se serait cru en face de l’étal d’un chiffonnier au marché d’Argenteuil avant guerre avec en exposition à peu près tout et n’importe quoi mais que des choses parfaitement à leur place car possédant toute une utilité propre.

Quant à la musique d’OTTO et bien je n’ai rien à rajouter sur tout ce que j’en ai déjà dit auparavant : belle, forte et déglinguée. Et parfaite jusque dans ses moindres défauts, terriblement mais magnifiquement humaine, donc.

* et inversement
** des enregistrements que l’on peut également écouter sur bandcamp, ici et
*** enfin si… juste un tout petit peu mais on sentait là comme une part de jeu qui donnait plutôt envie de rire

dimanche 26 février 2012

Dreams are my reality





C’est dimanche et on s’emmerde. Et en plus les dimanches se suivent et se ressemblent beaucoup trop. Alors on reste bien calé au fond du lit et on écoute l’ambient minimal de Pierre Georges Desenfant (que certaines et certains connaissent peut être sous l’alias de Blackthread).

C’est beau comme un réveil qui n’en finit pas de s’éterniser, comme le sommeil qui tente de reprendre ses droits alors profitez-en, puisqu’il n’y a rien de mieux à faire aujourd’hui, laissez vous porter

[et appuyez sur la touche repeat, ça ne mange pas de pain]

vendredi 24 février 2012

Papier Tigre / Recreation



Avec ses deux premiers albums publiés coup sur coup par le Collectif Effervescence – un album sans titre en 2007 puis The Begining And End of Now en 2008 –, Papier Tigre posait les fondations d’une pop noisy et nerveuse, légèrement matheuse sur les bords mais terriblement poignante et surtout le groupe démontrait posséder une force de composition peu commune, alliant complexité formelle et sens mélodique imparable. Dès le départ Papier Tigre était une vraie machine à tubes. Le seul élément négatif concernant ses deux premiers disques était que The Begining Of End And Now était en quelque sorte redondant pas rapport au premier album.
Depuis Papier Tigre a enchainé les concerts aux quatre coins de la Terre, allant jusqu’en Asie et en Chine, et le groupe n’a pour ainsi dire pas arrêté de tourner en non-stop. Il était donc temps pour le trio nantais de poser un peu ses valises, de réviser les guitares et d’envisager un nouvel et troisième album. Ici on se plait justement à imaginer que Recreation, ce fameux troisième album, s’intitule ainsi parce qu’il marque une pause certaine dans l’activité intense de concerts de Papier Tigre. Et Recreation est à la fois une confirmation pour le trio et un passage à la vitesse supérieure.




L’album ne va certes pas dérouter les fans déjà acquis à la cause du groupe. Mais gageons que Papier Tigre ne pourra qu’en gagner de nombreux autres. Sur ces dix nouvelles compositions on retrouve avec bonheur tout le style de ces trois garçons, c'est-à-dire un mélange délicat et osé de pop ultra mélodique et accrocheuse, de complexité instrumentale et de rock noisy toujours élégant. L’élégance et la précision sont les deux caractéristiques du trio mais jamais au détriment de l’immédiateté, de l’organique et de la chaleur. Or, question émotions fortes, Recreation se situe aussi largement un cran au dessus de ses deux prédécesseurs, alignant une série de compositions fortes et imparables, d’un niveau que Papier Tigre n’avait encore peut être jamais atteint auparavant.
Ils se bousculent donc les tubes immédiats et accrocheurs sur Recreation : I’m Someone Who Dies, le très exotique Chimera, Home Truth, Afternons, Parents And Neighbours ou Wandering Cage, tout simplement sublime. Mais il y a également toutes les autres compositions, des compositions dont l'excellence est peut être moins flagrante à la première écoute mais qui se révèlent elles aussi d’une richesse et d’une profondeur plus grandes encore : This And That And More Of This And That fait partie de cette catégorie là, tout comme The Later Reply (peut être le meilleur titre de Recreation avec sa beauté très émouvante) ainsi que Demand et le magnifique Teenage Lifetime
Pourtant on n’affirmera non plus jamais – que ce soit à propos des titres tubesques que des titres plus introspectifs – que la façon de composer de Papier Tigre est des plus évidentes. Le groupe n’a même pas son pareil pour truffer ses chansons d’un ou plusieurs breaks qui en moins d’une demi mesure vous catapultent tout à fait ailleurs. Ce propos constamment digressif, ce refus du couplet/refrain pourtant maitre-étalon de toute pop song qui se respecte – et alors que le groupe retombe toujours sur ses pattes avec (précisément) toute l’élégance du félin – sont définitivement la marque indélébile de Papier Tigre. La marque d’un grand groupe.

Recreation est publié conjointement pas deux labels – Murailles Music et Africantape – et sortira très officiellement le 5 mars.

jeudi 23 février 2012

Kouma / self titled





Kouma est un jeune trio de free jazz basé à Lyon. Dans le line-up du groupe on retrouve avec bonheur Romain Dugelay au saxophone, un musicien que l’on avait pu découvrir il y a déjà quelques temps avec R.Y.R (aux côtés de Yoann Durant d’IRèNe et de Kandinsky ainsi que de Rodolphe Loubatière). Mais dans Kouma on compte également Damien Cluzet à la guitare ainsi que Léo Dumont à la batterie. Le premier joue dans Ukandanz, quant au second il joue également dans Tût ainsi qu’au sein de nombreuses autres formations. Kouma fait en outre partie des groupes du Grolektif, joyeux kolkhoze jazzeux de musiciens indépendantistes gravitant autour du Périscope (une chouette salle de concerts où les lyonnais sont de plus en plus amenés à se rendre ces derniers temps).
Ce CD est la toute première trace discographique de Kouma et il étonne déjà par sa maturité et toute son originalité. Principale raison à cela : le line-up vraiment inhabituel du trio puisque abritant un saxophone baryton ainsi qu’une guitare baryton elle aussi – le son de Kouma est aussi peu commun que personnel, travaillé que puissant et finalement pas toujours si (free) jazz que cela. En particulier le guitariste a cette façon insistante de plaquer des accords secs et/ou dissonants qui rappelleront à certains mélomanes l’entrain virulent de quelques groupes de noise : Damien Cluzet ne joue pas beaucoup de notes à la suite, évite les gratouillages en forme de solo pénible à supporter et a donc une approche plus sonore et (disons) « texturelle » de son instrument. Le jeu de batteur sort également des sentiers battus : pour nos amis rockers bobo-ethniques et autres ennemis punks à chiens, on signalera par exemple que la rythmique du très vivifiant Krach #2 semble tout droit tirée d’une composition des excellents The Ex. Léo Dumont a une frappe précise, absolument pas basée sur un quelconque groove swinguant, assez concassée et tribale il faut bien le dire mais pas vraiment rock non plus (trop de mesures bancales et de breaks voltigeurs) mais pas typiquement jazz pour autant. Comme beaucoup de batteurs cascadeurs il est avant tout la cheville ouvrière et la charnière d’une musique aussi énergique qu’imaginative.
Kouma joue donc beaucoup sur la puissance, le volume et la densité. Ce qui n’empêche pas le (power) trio de savoir momentanément calmer le jeu (Tangente pourtant parcouru de déflagrations du plus bel effet). Et finalement l’élément le plus  « jazz » et logiquement le plus mélodique chez le trio est son saxophoniste. Lequel nous fait donc la joie de jouer exclusivement du saxophone baryton, instrument rare s’il en est (dans les formations actuelles et modernes je ne vois que les parisiens de DDJ qui jouent un peu sur le même terrain que Kouma), instrument difficile au niveau du rendu, épuisant parait-il et parfois difficile à maîtriser mais tellement porteur de belles et fortes sonorités… ce dont Romain Dugelay ne se prive absolument pas tout en sachant jouer à merveilles avec le côté très frontal et abrasif de son instrument pour une expressivité toujours passionnante.

mercredi 22 février 2012

Suzanne' Silver / Deadband





Si j’avais écouté les conseils de cet ami qui prétend qu’un disque avec un artwork dégueulasse ne peut pas être un bon disque – cet ami écoute aucune sorte de metal (mais il écoute du dubstep donc ça ne veut rien dire) –, si j’avais écouté cet autre ami qui m’affirme sans cesse qu’il sait reconnaitre un vrai mauvais groupe rien qu’à la stupidité de son nom – cet autre ami ne connait pas Chevreuil, Pneu, Poutre, Burne, Ultracoït, etc. – et si j’avais prétendu pouvoir apprécier ou non ce LP après simplement deux premières écoutes, je n’aurais pas insisté plus que ça. Car Deadband de Suzanne’ Silver, malgré tous les handicaps décrits ci-devant, est un bon disque et surtout un disque qu’il faut laisser infuser, un disque bien plus riche et intrigant qu’il n’y parait. Un disque qui nécessite d’avoir autre chose que des œillères et de l’intransigeance en matière de politique culturelle générale et d’anathèmes esthétiques.
Pourtant on ne sait pas trop comment le prendre ce Deadband. Et on s’interroge sur la vraie nature de Suzanne’ Silver… pas vraiment rock ou plutôt très mollement rock, un peu arty mais surtout extrêmement dilettante, pas réellement jazz mais un peu quand même, bluesy à ses heures, bruyant par ci par là, bref la principale qualité de ce groupe est qu’il constitue une énigme. Mais une énigme à laquelle on s’accroche, dont la signification vous échappe, dont les buts demeurent mystérieux, avec un rien d’exaspération et pourquoi pas de rejet.
Le rejet c’est par exemple ce trip mollasson et les fausses crooneries de Green Ocean Breeze, cette façon abominable qu’a le chanteur de placer sa voix en susurrant… et puis ça ne dure pas. Et puis ça revient. Pour mieux disparaitre à nouveau. Suzanne’ Silver a tout de la girouette sans en avoir vraiment l’air et nous aussi, on se tourne puis on se retourne avec et contre le vent, sans pour autant pouvoir comprendre ou même deviner d’où il va souffler pendant les deux mesures et demi qui suivront après. Quand il y a trop d’évidences – cette intro éléphantesque de Wave A Surfer Waits est vraiment drôle alors que la suite deviendrait presque tendue – le meilleur moyen c’est de les éclater au passage et d’en installer d’autres à la place. Sans en avoir l’air. Même pas en se moquant. Avec une instrumentation à géométrie, voire géographie, variable.
Suzanne’ Silver et Deadband naviguent donc en eaux troubles mais avec une facilité évidente – une facilité bien dissimulée par une fausse léthargie, on l’aura bien compris – qui aboutit à un paradoxe, aussi magnifique qu’énervant, qui fait que ce groupe et son disque possèdent un côté éclairé. Aucun second degré ici. Aucune ironie. Pas de distanciation. Et pas de contournement des difficultés. Suzanne’ Silver peut être un groupe terriblement arty mais il est toujours d’une fraîcheur incroyable. Pas besoin de comprendre. Il faut aimer, ou pas.
Seul gros défaut, apparent lui aussi, de ce LP vinyle publié par le label Radio Is Down : sa longueur. Huit titres pour une vingtaine de minutes. Et lorsqu’on s’intéresse à la discographie du groupe on s’aperçoit que le premier et précédent album de Suzanne’ Silver, The Crying Mary, date déjà de 2007. Ces mecs prennent leur temps et pour pas grand-chose. Pourtant on ne saurait rien ajouter ou retrancher de Deadband. Une sorte de perfection dans l’insaisissable.

mardi 21 février 2012

Report : Verdun, Morse et Quartier Rouge aux Capucins - 18/02/2012





Alors, alors, voyons voir…  que faire en ce joyeux* samedi soir ? Allez à un concert avec à l’affiche les affreux Catholic Spray se secouant la hype pseudo garage sur des cohortes de fans transis d’amour et béats d’admiration ? Jamais de la vie. Plutôt crever, même. Surtout que le même soir les Capucins accueillent dans leur cave un autre concert, estampillé lui 100 % défouraillage, 100 %  fureur et chaos et 100 % brutal**. Une affiche regroupant Verdun et Morse (deux groupes de Montpellier) ainsi que Quartier Rouge (de Paris) – maintenant je regrette que les toulousains de Pal n’aient pas également fait partie du programme comme initialement prévu, l’écoute de leur album And Out Your Mouth (sur Rat Romance et Prototype records) s’étant révélée particulièrement excitante***.
Une quarantaine de personnes se sont donc entassées dans la cave des Capucins et je m’amuse du contraste par rapport au concert de la veille avec les excellents One Lick Less, un concert peuplé de gens qui s’habillent bien pour sortir de chez eux. Là ça sent plutôt le métalleux, le cheveu gras et la bière tiède. On ne peut alors que se dire que c’est parti pour une bonne soirée.




Les Verdun jouent en premier et ils ont un (presque) nouveau guitariste parce que l’ancien s’est fait la malle il y a deux mois : le remplaçant n’est autre que celui qui a concocté ce gros son de bâtard qui illumine The Cosmic Escape Of General Masuka, le long EP que Verdun a récemment publié chez Head records. Le disque en question est vraiment bon aussi j’en attends beaucoup du groupe.
Après un titre d’intro pour faire chauffer et tourner la machine, les choses sérieuses commencent enfin avec Last Man Standing, mon titre préféré du EP et je crois bien que cela aurait pu suffire à mon petit bonheur égoïste. En concert le côté Electric Wizard de Verdun ressort encore plus, pas le Electric Wizard un peu mou, lorsqu’il est trop contaminé par la weed et les gang bangs satanistes sur internet, mais plutôt un groupe à la fois lourd et spatial, impétueux et imparable. Le chanteur de Verdun – un petit tatoué qui ne fait pas rire dès qu’il ouvre la bouche – est particulièrement impressionnant et son chant est encore plus varié et maîtrisé que ce que j’aurais supposé.
Malheureusement, le mur du son de Verdun se heurte violemment à celui de la proverbiale froideur lyonnaise, cet espèce d’attentisme poli qui refroidirait même le plus volontaire des groupes – quelqu’un dans l’assistance, un immigré d’origine montpelliéraine justement mais installé à Lyon depuis de nombreuses années, tente une explication à voix haute et avec un brin d’humour, ce qui détend un peu l’atmosphère mais pas jusqu’au point de rendre complètement justice au doom de Verdun.




Morse joue en second. Le groupe pratique un hardcore chaotique typique du début des années 90 et super bien foutu, il ne manque absolument rien et surtout pas une hargne généralisée et vraiment méchante. Surtout Morse est doté d’un chanteur qui ne fait absolument pas semblant et passe son temps à foncer dans le public pour aller le chercher et le faire bouger. Une bonne méthode.
C’est apparemment exactement ce qu'il fallait faire pour réveiller un peu le public lyonnais, la provocation – provocation bon esprit s’entend – fonctionne rapidement à plein et, miracle parmi les miracles, ça finit par bien bouger parmi les gens venus assister au concert. Le pit chauffe, la cave monte en température, de la transpiration animale commence à couler et de la buée se colle sur les pierres de la voute et les objectifs des appareils photo. Morse fait peut être preuve de pas énormément d’originalité mais côté conviction et efficacité communicative c’est du tout bon. En plus le guitariste a vraiment un son qui fait mal et la rythmique assure aux taquets. 




En dernier ce sont donc les parisiens de Quartier Rouge qui s’y collent. Malgré des problèmes techniques et du retard à l’allumage, le tout premier concert de Quartier Rouge auquel j’avais assisté (exactement au même endroit il y a un an) avait été une bonne surprise. Je retrouve donc les mêmes gugusses sauf que je ne reconnais pas le joueur de Moog qui maintenant porte les cheveux courts.
Une certaine nervosité pour ne pas dire une certaine tension est pourtant palpable entre les membres du groupe, ils se parlent entre eux un peu comme des chiens et quelque chose me dit qu’ils ne font pas semblant. Une fois le groupe installé, il y a comme un moment de flottement, le chanteur semble regarder dans le vide puis toise ses petits camarades de jeu… lorsque Quartier Rouge commence à jouer le groupe est déjà en équilibre dangereux sur les lignes de crête. Sans pitié ni aucune retenue.
De l’avis de certaines personnes qui ont déjà vu le groupe au moins une dizaine de fois en concert, il s’agissait ce soir là de l’une des meilleures prestations que Quartier Rouge ait jamais données – après le concert notre joueur de Moog a confirmé cette vision des choses. Et effectivement, pour moi qui ne les voyais que pour la seconde fois, donc théoriquement sans trop d'effet de surprise, le concert a été énorme. Bien barré, bien fou et malgré tout (et finalement surtout) extrêmement bien maîtrisé. Avec un batteur et un guitariste comme ça on comprend pourquoi. De leur côté, l’ex-chevelu au Moog qui finira le concert complètement à poil et le chanteur, très crooner punk as fuck, sont les éléments perturbateurs et instables du groupe. Maintenant j’ai hâte d’entendre un jour un enregistrement de Quartier Rouge avec ce line-up précisément – parce que sur l’album il n’y a pas de Moog mais une basse à la place – et surtout j’ai hâte de revoir ces mecs faire tout leur cirque en concert.

* et oui, « joyeux »… je ne sais pas si c’est parce que ce week-end était le premier après la période de grand froid de la fin janvier/début février mais apparemment tous les blaireaux de la région s’étaient donnés rendez-vous en centre ville pour faire étalage de leur stupidité et de leur beaufitude – saturday night fever
** un concert organisé par la paire de Burne, merci à eux
*** une chronique, à venir, bientôt, ici même

lundi 20 février 2012

Report : One Lick Less à La Triperie - 17/02/2012





Un concert à La Triperie. Bien. Sauf que lorsque je débarque rue Imbert-Colomès, au beau milieu des pentes de la Croix Rousse, je me retrouve nez à nez avec un bâtiment dont le rez-de-chaussée est entièrement muré. Lorsque j’habitais encore dans ce quartier (c’était au siècle dernier) La Triperie était un squat installé dans une ancienne triperie désaffectée (donc), un squat vraiment crade et peuplé de punks à chiens aussi insomniaques que junkies. Naïvement j’ai tout d’abord cru que mon concert avait lieu au même endroit, un bel endroit désormais réhabilité, or le mur de parpaings qui me faisait alors face semblait bien signifier que cet immeuble de la Croix Rousse que je connais bien est resté un vestige de l’ancien temps et résiste toujours à la gentrification et la muséification des vieux quartiers de Lyon.
Renseignements pris, La Triperie en question, celle de 2012, se trouve dans la même rue, juste à côté, au 22, et occupe des locaux qui au cours des années 80 abritaient le Via Colomès, célèbre et très pointu lieu dédié au free jazz et aux musiques improvisées, un lieu alors géré par l’A.R.F.I. et où les pontes du free obscurantiste du monde entier venaient jouer. Un endroit dont j’ai beaucoup entendu parler mais où je n’ai jamais pu me rendre parce qu’il a fermé que peu de temps après mon arrivée sur Lyon*.
Mais qu’importe… c’est donc ici que se trouve désormais La Triperie et c’est ici que va se dérouler le concert du jour – tendrement coorganisé par Active Disorder et Bigoût records – avec à l’affiche Hyacinth Days, Imagho, Sabrina Lorre et surtout One Lick Less. 




Hyacinth Days est un one man band et on aurait tort de penser que ce garçon est un loser sous prétexte qu’il utilise encore myspace en 2012 et qu’il ne donne au grand maximum qu’un seul concert par an. En ce qui me concerne, voilà bien deux années que je n’avais pas vu ce bassiste solitaire jouer devant un public. Assis sur une chaise Hyacinth Days a encore dégraissé (si possible) sa formule : avant il utilisait un vieil ordi pour générer un beat de conserve mais il n’y a plus d’ordi ; avant il lui arrivait de chanter sur au moins un titre mais il ne chante plus.
Tout est recentré sur la basse et des compositions courtes mais denses, au fort pouvoir mélodique et rondement menées. Si on admet que souvent les structures des titres se ressemblent, on pense également que ce jeune homme possède un réel talent de mélodiste et que surtout il sait faire sonner son instrument magnifiquement – oui un vrai beau son de basse, sans effets, bien rond et chaleureux a vraiment quelque chose d’envoutant.




Suit Imagho, encore un one man band. J’ai passé tout le concert à me demander où j’avais bien pu déjà voir cette vieille tête là, dans quel groupe du passé – Ultra Milkmaids ? Fragile ?** – et à admirer la technique et le savoir-faire du monsieur pour distiller une musique instrumentale, très orientée post rock sous influence Dead Man avec une pointe d’expérimentation sonore. Certains titres m’ont réellement plu alors que je ne suis habituellement guère friand du genre (qui à mon sens s’accommode bien mieux du home listening et de la pantouflardise). Vu la petitesse de la salle on avait par contre du mal à se rendre réellement compte des jeux de constructions élaborés à l’aide de trois amplifications différentes.
En deuxième partie de concert Sabrina Lorre, comédienne, est montée sur scène. Elle prépare avec Jean-Louis Prades/Imagho un spectacle autour des textes de Richard Brautigan et le duo a pensé profiter de l’occasion de ce concert pour en présenter un « état des lieux ». Malheureusement le résultat ne permettait pas de se laisser suffisamment guider par les textes de Brautigan. On peut dire que le côté musical prenait trop de place et d’ailleurs, malgré tout le bien que l’on peut penser de cet écrivain américain magnifique et à l’écriture subtile mais parfois délirante, est-ce réellement une bonne idée que de l’adapter dans un spectacle incluant également de la musique ?***




Le clou de la soirée c’est bien sûr One Lick Less. J’attends le duo parisien avec une certaine impatience, son disque & We Could Be Quiet ayant particulièrement illuminé l’année 2011 de toute sa finesse et de toute sa beauté. Je n’ai pas été déçu bien qu’un peu surpris par le côté assez frontal du concert – le batteur du groupe m’assurera après que parfois One Lick Less joue davantage sur les flottements, les attentes, le blues qui s’enlise et empoisonne, etc. – mais j’ai complètement été séduit par le dispositif original du duo : d’un côté une batterie minimaliste mais équipée d’un tom basse manipulé à l’aide d’un pédalier, une batterie également régulièrement rehaussée par l’utilisation d’objets, d’accessoires ainsi qu’une impressionnante collection de baquettes en tous genre ; de l’autre côté une lapsteel fabriquée maison, parfois de la guitare et un peu de chant (quelques problèmes évidents de sonorisation au niveau de la voix ont toutefois un peu entaché le concert).
On aura du mal à mettre en mots toute la finesse et toute l’inventivité des compositions de One Lick Less. Avec un côté blues noise évident, le duo s’entiche également d’un peu de mathématiques (le jeu de ce batteur que l’on retrouve également dans Xnoybis est aussi épatant qu’il a l’air naturel : malgré toute la maîtrise mise en œuvre on ne pensera jamais, à le voir se démener, en termes de démonstration) et d’une étrangeté qui n’a rien de perturbante mais génère nombre d’émotions. On pourrait croire qu’il y a du Captain Beefheart dans One Lick Less, mais il y a également un peu de Gastr Del Sol ou de Storm & Stress (celui du premier double album uniquement) et toujours une sensibilité et une poésie musicale, deux choses qui, aussi mystérieuses quelles sont, sont également devenues rares de nos jours. Ce fut vraiment un très beau concert.

* mais juste une rue en dessous, rue des Tables Claudiennes, il y avait le Local, là où les Silly Hornets ont organisé tant de merveilleux concerts punk, hardcore et noise et encore une rue après, rue Burdeau, se trouvait le Wolnitza
** comme on m’a affirmé que Fragile/Hervé Thomas n’avait jamais donné de concerts, j’en ai déduit que ce n’était pas la bonne réponse…
*** plus j’y pense et plus je crois que la réponse est non : ce genre d’expérience me semble d’ailleurs très aléatoire, les textes littéraires sont rarement faits pour ça et seul le travail des poètes sonores me semble y correspondre, puisque ceux-ci écrivent avec l’idée non seulement de rythmes mais avec celle de correspondances sonores – le meilleur exemple actuel étant la collaboration entre Anne-James Chaton et Alva Noto, les interrelations entre la déshumanisation de la scansion de l’un et la répétitivité électronique de l’autre

dimanche 19 février 2012

The Jesus Lizard / Club





Chroniquer en même temps un DVD et un double LP, oui c’est possible. Club documente le retour sur scène en 2009 et pour une cinquantaine de dates – y compris sur le vieux continent européen – de Jesus Lizard. Le meilleur groupe du monde pour certains, l’un des meilleurs souvenirs de concert pour tous les autres (dont moi). Limitée dans le temps, cette reformation de Jesus Lizard sous son line-up originel – David Yow à la voix, Duane Denison à la guitare, David Wm Sims à la basse et Mac McNeilly à la batterie – avait permis au groupe d’enfoncer le clou puisque en même temps Touch And Go se lançait dans de copieuses rééditions de tous les LPs et de tous les singles ou EPs de Jesus Lizard en version « remasterisée » par Steve Albini. Efficacité de la démarche, marketing de la nostalgie sans trop avoir l’air d’y toucher et Fonds de Pension de Retraite renfloués pour une nouvelle décennie de chaos et de sueur.
La « petite » différence entre cette reformation là et presque toutes les autres c’est que Jesus Lizard n’a rien eu de ridicule. Celles et ceux qui ont assisté aux concerts de 2009 s’en souviennent très bien et sans doute pour encore un paquet d’années à venir – y compris toutes celles et tous ceux qui avaient déjà vu le groupe à la bonne époque. Ensuite, et si tant est que l’on ait encore quelques doutes, ce Club est là pour nous prouver que Jesus Lizard a été à la hauteur de son statut. Un double LP publié par Chunklet et réputé limité à 1000 exemplaires avec un disque tout rouge et un autre tout transparent emballés dans une pochette gatefold. La joie des collectionneurs de belles choses. Les autres se rabattrons sur la version DVD (qui de toute façon inclut tout l’album en mp3) et regarderont les quatre de Chicago se secouer le gras-gras et la calvitie grisonnante au son d’une merveilleuse et sans égal collection de tubes universels. Oui… que des tubes : regroupés sur un double LP ou un DVD, le constat est encore plus flagrant et indiscutable, le constat que Jesus Lizard n’avait pas son pareil pour torcher de la punk song indémodable – seuls les inatteignables Fugazi peuvent battre Jesus Lizard sur le terrain de l’excellence tubesque à chaque coup.
Evidemment on reconnaitra que certaines versions présentes sur Club ne sont pas tout à fait au top du top – mais c’est toujours David Wm Sims qui s’en sort le mieux –, que le son peut laisser à désirer ça et là ou que Duane Denison fout en l’air Then Comes Dudley  mais à bien y réfléchir on avait eu le même sentiment en 1996 or à l’époque on en avait rien eu à foutre, plongés qu’on était jusqu’au coup dans la folie de Jesus Lizard en concert et en plein délire. Cette folie c’est précisément ce que retranscrit parfaitement Club et c’est le plus important. Ça et de se rassurer au sujet de David Yow qui est peut être le pire des chanteurs du monde mais aussi l’un des tout meilleurs : il faut l’entendre et le voir chanter dans toutes les positions possibles et imaginables, comme un dégénéré instable tout comme un prince impérial. Maintenant on souhaite simplement que les Jesus Lizard ne remettent pas ça tous les dix ans. Qu’ils crèvent une bonne fois pour toutes.

vendredi 17 février 2012

Kim Phuc / Copsucker



Initialement il n’était absolument pas prévu que ce disque de Kim Phuc soit chroniqué ici. Pourquoi ? Tout simplement par manque de motivation et, disons-le, d’intérêt. Comment ? Manque de « motivation » et d’« intérêt » ? Oui… c’est exactement ça. On ne niera jamais que Copsucker possède d’indéniables qualités, cet album en cumule même nettement plus que la moyenne mondiale, mais voilà, on finit tout de même par s’ennuyer ferme à l’écoute d’un disque certes bien foutu mais terne et d’une gentille banalité.
Alors reprenons du début. Kim Phuc est un groupe de branleurs – mais ça, déjà, c’est un point très positif – originaire de Pittsburg dans le Massachussetts (on s’en fout) et qui a publié une bonne petite volée de singles entre 2008 et 2009 avant de sortir son premier album en 2011 sur le label Iron Lung. Les grincheux auront évidemment remarqué que trois des dix titres de Copsucker sont déjà disponibles sur les trois premiers singles de Kim Phuc. Les complétistes mono-maniques qui ont déjà tout de Kim Phuc (même la première démo de 2007) ricaneront parce qu’il reste tout de même six titres édités en single qui ne sont pas sur le LP. L’écrasante majorité silencieuse qui elle ne connaissait pas Kim Phuc il y a moins de deux mois s’en moquera par contre éperdument : elle vient de découvrir un nouveau groupe et elle va pouvoir l’apprécier (ou non).


Kim Phuc est un bon petit groupe. Un bon petit groupe de punk rock un rien pantouflard et mollasson – on a déjà employé le mot « terne » mais il convient très bien, comme pour qualifier cette pochette qui dit tellement rien qu’elle ne dit rien de bon –, un groupe qui c’est vrai sait torcher des compositions au dessus de la moyenne. L’entrée en matière du disque, la doublette Animal Mother/Local Round-Up laisserait présager du meilleur, malgré un défaut patent d’originalité. Mais l’originalité en 2012 en matière de musique est une discussion complètement hors-sujet et aussi pertinente que la multiplication des reformations de groupes merdiques du siècle dernier. On s’attache donc à la montée de tension de Animal Mother/Local Round-Up et on veut bien se laisser faire, malgré ce plan totalement ridicule et à côté de la plaque à la guitare alors que les compteurs atteignent 3 minutes et 20 secondes. Là on comprend que Kim Phuc est un groupe gentillet qui joue syndicalement de la musique de vieux et doit très certainement figurer dans la catégorie des groupes sympathiques que l’on a plaisir à voir en concert entre deux bières mais qui ennuie à la longue.
Et l’ennui est le cancer de toutes les compositions de Copsucker : souvent elles commencent vraiment très bien (Equinox par exemple), elles font relever l’oreille dans le bon sens mais rapidement elles se plantent, victimes du ronronnement assourdissant de la normalité des classes moyennes et des pères de familles. Car presque tout ici est moyen. Par contre s’il y a une chose de réellement consternante chez Kim Phuc et dans Copsucker, c’est la banalité lénifiante des lignes de basse. S’il y en a une autre ce sont ces pseudos gratouillages de guitares – tel celui de Animal Mother/Local Round-Up – or on les retrouve sur deux titres sur trois. Mais jamais rien pour remonter le niveau et pour permettre à Copsucker de tutoyer les sommets. Comme un film du dimanche soir à la télé.

Copsucker est en écoute intégrale sur la page bandcamp d’Iron Lung. Après on peut toujours se procurer ce LP au même endroit mais je tiens à vous prévenir : seuls les winners imbus d’eux-mêmes et dans mon genre ont déjà pu se procurer l’un des 100 premiers exemplaires du disque, exemplaires fondus dans un plastique blanc à peine marbré de gris.

jeudi 16 février 2012

Judas Donneger / self titled





Dans Judas Donneger on retrouve Pavel (ex Death To Pigs, ex Hallux Valgus mais fort heureusement toujours dans La Race) ainsi qu’un ancien membre des Suce Pendus (en l’occurrence le guitariste). Un duo donc avec de la guitare qui vrille et qui écharpe, du synthé qui refroidit et assure la dialyse, une boite à rythmes programmée comme un lave-vaisselle rouillé constamment en mode rinçage et du chant. Du chant et des textes devrait-on même dire car on les entend beaucoup ces textes (en français) et que surtout on les écoute. Des histoires absolument dégueulasses et réjouissantes – juste pour le plaisir et pour se faire une toute petite idée de la chose je m’arrêterai à citer quelques uns des titres de Judas Donneger : Grand Concours Du Maximum Baise, Pornographie & Coca-Cola, Super Docile et J’Aime Ces Filles Froides – pour des histoires de viande froide plus ou moins vivante, plus ou moins morte, plus ou moins décomposée mais fourrée de glaires sanguinolentes, de trainées de sperme et de subutex écrasé.
Tout ça rappelle les groupes qui au siècle dernier nous abreuvaient de vomi, de sang, de foutre et d’ordures au travers de textes en français et hurlés avec une conviction qui faisait terriblement peur au petit garçon que j’étais alors, des groupes tels que RWA (avec Caroline Sury) ou La Méchoire (avec Paquito Bolino) et même Glu (groupe bordelais qui est lui toujours en activité). Mais les comparaisons s’arrêteront là parce que musicalement Judas Donneger ne met pas réellement la saturation des guitares et les rythmiques pilonnées en avant mais flirte avec une sorte de minimalisme synthétique voire cold wave qui rappelle des groupes ridicules tels que Guerre Froide tout en poussant l’absurdité désincarnée encore plus loin, jusqu’à un paroxysme de saleté et de merde.
On patauge dans les années 80 mais des années 80 qui n’auraient pas encore viré dans le clinquant fluorescent et la teuf de branleurs bovidés (un peu dans le même genre on ne peut que vous conseiller l’écoute d’Überschleiss, un LP publié par Scorpion Violente chez Avant!) pour se repaitre sans aucune complaisance – la gangrène des pitoyables survivants de l’année 1981 – d’une boue humaine juste ce qu’il faut de faut de glacée et de glauque. On ne peut pas vraiment parler de revivalisme et de nostalgie parce que les deux Judas Donneger ont pompé uniquement ce qui les intéressaient dans les années 80 pour le mettre à leur sauce, la sauce de certains groupes œuvrant ou ayant œuvré pour La Triple Alliance de l’Est ou basés du côté de la baie de Somme – Nancy/Metz – Amiens : l’axe du Mal. D’ailleurs ce CDr de cinq titres est sorti chez Label Brique (le label d’Headwar). Pour contacter Judas Donneger : judasdonneger[arobase]gmail[point]com. Pour écouter ce disque avant de l’acheter : bandcamp.

mercredi 15 février 2012

Report : John Duncan + Pierre G. Desenfant au Sonic - 12/02/2012





On se les pèle à Lyon. Vraiment. De mémoire de vieux, personne n’avait plus souvenance d’un tel froid polaire – à moins d’être né avant 1986, la dernière année où la Saône avait commencé à geler pour de vrai – et ce ne sont pas les SDF qui pourront dire le contraire, malgré les conseils fort peu avisés de la secrétaire d’Etat actuelle en charge de la santé (mais également conseillère municipale à Lyon, ville des lumières comme chacun sait), des conseils prodigués aux crevards sans-abris de bien rester au chaud et au sec à la maison, de ne surtout pas sortir dehors. L’incompétence c’est un métier. La connerie aussi. Et avouons qu’en cette palpitante période préélectorale la dite connerie atteint des sommets rarement égalés, alors que le thermomètre continue lui de descendre inexorablement.
La Saône est donc gelée. A certains endroits elle est même complètement bouchée et la rivière a été déclarée non navigable par les autorités fluviales. Si le spectacle est assez beau à regarder, les bateaux sont prisonniers et il en est de même pour le Sonic. Des conditions climatiques extrêmes pour un concert de qualité qui aura tout de même lieu et réunissant Pierre G. Desenfant et John Duncan. Même la glace autour du Sonic s’y est mis de temps à autres, craquant et se fissurant avec des bruits inquiétants. On aurait presque pu rêver d’être du côté d’Odessa pour entendre la poésie violente de toute cette glace qui se rebelle sous les assauts du vent et du froid. 



John Duncan est un musicien rare. Déjà parce que ce n’est que son deuxième passage sur Lyon. La première fois c’était au Pezner et John Duncan avait partagé l’affiche avec Dan Burke/Illusion Of Safety. Il avait joué dans le noir complet, installé à la table de mixage du Pezner d’où il avait envoyé tous ses sons et toutes ses bidouilles tout en jouant sur les axes et les sources de diffusion. Le public était resté attentif – dans le noir on a de toute façon pas trop le choix – et captivé par la musique industrielle ambient de John Duncan. Un pionnier du genre.
Ce soir au Sonic c’est à peu près le même topo. De la diffusion sonore plus qu’un concert. Sauf que John Duncan a disposé tout son matériel sur une table au centre de la salle et que l’on peut remarquer quatre enceintes délimitant un espace sonore distinct. John Duncan va se servir de cette configuration pour mélanger les sons à sa guise. Des sons préenregistrés voire des compositions gravés sur des CDs qu’il conserve soigneusement dans un drôle de porte-disques en forme de boite à rythmes ou de séquenceur (?). Au passage un peu de théâtralité à l’aide d’une main gauche un rien précieuse – comme si John Duncan manipulait un thérémine ou un système équivalent lui permettant de déclencher des ondes – et surtout une musique profonde, envoûtante et d’une beauté violente.
Après une trentaine de minutes le musicien propose « malgré le froid » de jouer une autre pièce. Si la première partie du concert était vraiment bien, la seconde frisera l’exceptionnel au niveau des sensations et du rendu sensoriel : des fréquences basses bourdonnantes, des sonorités urbaines et industrielles très expressives mais aussi un peu d’humour glacial avec cette voix samplée répétant inlassablement It’s colder and colder/As we descend… une bonne idée, vraiment de circonstance vu le froid qui continuait effectivement à régner au Sonic.



En début de soirée Pierre G. Desenfant – que certains connaissent peut être sous le nom de Blackthread – a présenté un autre aspect de son travail musical, basé sur des nappes ambiantes (générées avec un Moog) et fourmillantes de petits détails quasi rythmiques apparaissant puis disparaissant en arrière plan. De la musique ambient, donc, très belle assurément, et plutôt tendrement électrique.
Sur la scène du Sonic était disposé un vieil Atari et sans que je sache trop comment, ce que jouait Pierre ressortait sur l’écran de cet ordinateur éculé façon ondes d’oscilloscope, lesquelles étaient à leur tour captées par une caméra pour être diffusées sur l’écran de fond de scène du Sonic. La qualité assez médiocre de l’image rendue n’arrivait pas à faire oublier qu’il ne s’agissait là que d’un gadget mais qu’importe, la musique que l’on goutait pendant ce temps là était d’une finesse assurée et d’une délicatesse toute appréciable.