Si j’avais écouté les conseils de cet ami qui prétend qu’un disque avec un artwork dégueulasse ne peut pas être un bon disque – cet ami écoute aucune sorte de metal (mais il écoute du dubstep donc ça ne veut rien dire) –, si j’avais écouté cet autre ami qui m’affirme sans cesse qu’il sait reconnaitre un vrai mauvais groupe rien qu’à la stupidité de son nom – cet autre ami ne connait pas Chevreuil, Pneu, Poutre, Burne, Ultracoït, etc. – et si j’avais prétendu pouvoir apprécier ou non ce LP après simplement deux premières écoutes, je n’aurais pas insisté plus que ça. Car Deadband de Suzanne’ Silver, malgré tous les handicaps décrits ci-devant, est un bon disque et surtout un disque qu’il faut laisser infuser, un disque bien plus riche et intrigant qu’il n’y parait. Un disque qui nécessite d’avoir autre chose que des œillères et de l’intransigeance en matière de politique culturelle générale et d’anathèmes esthétiques.
Pourtant on ne sait pas trop comment le prendre ce Deadband. Et on s’interroge sur la vraie nature de Suzanne’ Silver… pas vraiment rock ou plutôt très mollement rock, un peu arty mais surtout extrêmement dilettante, pas réellement jazz mais un peu quand même, bluesy à ses heures, bruyant par ci par là, bref la principale qualité de ce groupe est qu’il constitue une énigme. Mais une énigme à laquelle on s’accroche, dont la signification vous échappe, dont les buts demeurent mystérieux, avec un rien d’exaspération et pourquoi pas de rejet.
Le rejet c’est par exemple ce trip mollasson et les fausses crooneries de Green Ocean Breeze, cette façon abominable qu’a le chanteur de placer sa voix en susurrant… et puis ça ne dure pas. Et puis ça revient. Pour mieux disparaitre à nouveau. Suzanne’ Silver a tout de la girouette sans en avoir vraiment l’air et nous aussi, on se tourne puis on se retourne avec et contre le vent, sans pour autant pouvoir comprendre ou même deviner d’où il va souffler pendant les deux mesures et demi qui suivront après. Quand il y a trop d’évidences – cette intro éléphantesque de Wave A Surfer Waits est vraiment drôle alors que la suite deviendrait presque tendue – le meilleur moyen c’est de les éclater au passage et d’en installer d’autres à la place. Sans en avoir l’air. Même pas en se moquant. Avec une instrumentation à géométrie, voire géographie, variable.
Suzanne’ Silver et Deadband naviguent donc en eaux troubles mais avec une facilité évidente – une facilité bien dissimulée par une fausse léthargie, on l’aura bien compris – qui aboutit à un paradoxe, aussi magnifique qu’énervant, qui fait que ce groupe et son disque possèdent un côté éclairé. Aucun second degré ici. Aucune ironie. Pas de distanciation. Et pas de contournement des difficultés. Suzanne’ Silver peut être un groupe terriblement arty mais il est toujours d’une fraîcheur incroyable. Pas besoin de comprendre. Il faut aimer, ou pas.
Seul gros défaut, apparent lui aussi, de ce LP vinyle publié par le label Radio Is Down : sa longueur. Huit titres pour une vingtaine de minutes. Et lorsqu’on s’intéresse à la discographie du groupe on s’aperçoit que le premier et précédent album de Suzanne’ Silver, The Crying Mary, date déjà de 2007. Ces mecs prennent leur temps et pour pas grand-chose. Pourtant on ne saurait rien ajouter ou retrancher de Deadband. Une sorte de perfection dans l’insaisissable.