mercredi 31 décembre 2008

Brutal Truth en single





















La reformation de Brutal Truth est l’une des grosses affaires du moment. Comment résister -alors qu’il y a tant de groupes qui font leur réapparition que l’on ne parvient plus à deviner quelles peuvent être les motivations de chacun- à cette tornade grind ? Kevin Sharp, Dan Lilker et Rick Hoak ont décidé de remettre ça, sans le guitariste Brent McCarty mais avec Jody Roberts (Salt This Earth, Kalibas) puis Erik Burke (également dans Kalibas dont il est le batteur mais aussi ex Sulaco). C’est ce dernier qui joue les parties de guitares sur les quatre titres de Brutal Truth figurant sur la compilation This Comp Kills Fascists, quatre titres qui jusqu’ici sont le seul témoignage récent du retour en activité du groupe. Celui-ci est parait il au travail, le nouvel album s’appellerait Evolution Through Revolution, on l’attend donc de pied ferme.
Pour les affamés, ce ne sont pourtant pas les parutions de Brutal Truth qui manquent. Mais il ne s’agit pour l’instant que de rééditions. Objectivement ce groupe est une sacrée vache à lait. Bones Brigades s’y est mis avec le single Machine Parts + 4 (1995, sur Def American) présenté comme le chaînon manquant entre les albums Need To Control (1994) et Kill Trend Suicide (1996) et comprenant quelques bribes d’enregistrements live avec invités -Barney de Napalm Death- pour cinq versions différentes en moins de cinquante secondes de Collateral Damage, un titre du premier album Extreme Conditions Demand Extreme Reponses. Une réédition soignée en vinyl blanc pour un bon petit disque mais réservé aux fanatiques du groupe.























Légèrement plus intéressant à mon goût est le single édité par Relapse. Round Two réunit deux faces de deux split singles différents (l’un avec Converge que l’on ne présente plus et l’autre avec Violent Society) pour deux reprises de choix. La première est une reprise rugueuse du Cornucopia de Black Sabbath, pour la seconde il s’agit du Born To Die de MDC. Cornucopia par Brutal Truth est d’un niveau honorable sans atteintre le niveau d’excellence de la reprise de Paranoïd par The Dillinger Escape Plan mais c’est surtout avec celle de Born To Die que le groupe s’éclate totalement. Le premier album de MDC (à l’époque Millions Of Dead Cops mais cela a varié avec le temps et les disques) paru en 1982 est l’un des disques de hardcore vieille école les plus appréciés par ici. Entendre Kevin Sharp brailler à son tour No War/No KKK/No Fascist USA est un vrai moment de bonheur pour moi, même si je n’ai plus quinze ans. Et puis il y a une similitude que je n’avais jamais remarquée auparavant : le logo triangulaire de Brutal Truth rappelle curieusement le dessin du verso de la pochette de ce premier LP de MDC. Le genre de détail qui me plait plus que tout bien qu’il y ait fort à parier qu’il ne s’agit là que d’une coïncidence.

mardi 30 décembre 2008

Dillinger Escape Plan / Under The Running Board
















Relapse qui réédite Under The Running Board de Dillinger Escape Plan près de dix années après sa première parution, c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. A la base EP trois titres culminant à 7 minutes 33, Under The Running Board dépasse désormais les quarante minutes grâce à l’adjonction de neuf titres enregistrés en concert en 2000 lors d’une tournée avec les Misfits (ou du moins ce qu’il en restait à ce moment là c'est-à-dire pas grand-chose) plus une reprise du célébrissime Paranoïd de Black Sabbath à l’origine disponible sur un tribute à la bande à Ozzy publié par Hydra Head. Ça, c’était la bonne nouvelle. La mauvaise est à peu près la même : The Dillinger Escape Plan est un groupe difficile à supporter sur la longueur, la dose homéopathique devrait être la méthode maximale pour goûter au chaos trop organisé du gang du New Jersey qui au contraire de ses coreligionnaires de Converge ou de Botch a oublié que dans les mots hardcore il y avait avant toutes choses le mot punk.
Les trois titres d’origine (The Mullet Burden, Sandbox Magician et Abe The Cop) rappellent cependant à notre bon souvenir quel bon groupe The Dillinger Escape Plan pouvait être -et ce jusqu’au EP Irony Is A Dead Scene de 2002 pourtant enregistré avec Mike Patton- et surtout à quel point il pouvait être novateur dans cette façon à peu près unique à l’époque de mixer des riff ultra metal sur des plans jazz avec un beau papier cadeau hardcore autour. Novateur certes mais beaucoup trop rigide… rigidité que le groupe s’est avec courage essayé à casser par la suite avec les albums Miss Machine et surtout l’atroce Ire Works. Bien essayé les gars mais plantage absolu. Pour en revenir à Under The Running Board (et sa suite logique, l’énorme Calculating Infinity et Irony Is A Dead Scene), The Dillinger Escape Plan n’a jamais fait mieux depuis, c’est malheureux à dire mais avec ce genre de musique dont la syntaxe est entièrement régie par l’idée de surenchère il en faut toujours plus -comme chez n’importe quel groupe de metal qui se revendique de l’extrémisme musical.
Passons aux bonus. Le fameux live sonne étonnement bien, tous les instruments sont non seulement discernables mais il y a un vrai relief comme sur cette version amphétaminée de Destro’s Secret avec ses guitares qui alambiquent d’un son à l’autre sans se planter. Il n’y a que la voix de Dimitri Minakakis, le chanteur de l’époque, qui parait un peu en retrait. Un excellent enregistrement en concert avec du public réactif que l’on entend exactement quand il faut, des interludes electro joliment texturés (la fin de Clip The Apex… Accept Instructions avec en plus des espagnolades de guitares) ou des samples au taquet (Sugar Coated Sour, Abe The Cop) -bref, cela sonne autant live que le célèbre Live And Dangerous de Thin Lizzy, c’est dire.
Le bonus le plus intéressant est sans erreur possible la reprise de Paranoïd avec son riff d’introduction ultra célèbre et délicieusement ringardisé par The Dillinger Escape Plan. C’est drôle et pas très sérieux, surtout le break jazzy façon Foetus au milieu avec voix féminine, cuivres et un plan de guitare surajouté qui n’a rien à voir et qui me fait étrangement penser à un clin d’œil à Led Zeppelin. C’est de loin la meilleure reprise de Black Sabbath que je connaisse et pourtant il n’en manque pas en ce bas monde, tant ce groupe de chevelus a réussi l’exploit d’être aussi influant que de mauvais goût -mais rien ne pourra remplacer le génie des riffs plombés de Tony Iommi, n’est ce pas ?

lundi 29 décembre 2008

John Zorn / The Crucible
























Tzadik n’aura publié qu’un seul album en ce mois de décembre 2008 et il s’agit d’un album du maître en personne : The Crucible. Est-ce encore un des effets secondaires de la crise de subprimes ou du coup de génie de Bernard Madof contre la sphère financière ? Non, le label de John Zorn annonce un mois de janvier chargé avec en particulier un regain d’activité du côté de la collection Radical Jewish Culture. Tzadik est un label qui a très nettement perdu de sa superbe depuis quelques années (ou alors c’est moi qui me suis trop habitué à son business) et le fait est que désormais une production sur vingt de ce label mérite que l’on s’y arrête. 95 % c’est exactement la place qu’il reste pour les disques des copains qui publient toujours la même chose ou pour le propriétaire des lieux qui construit ainsi son propre cénotaphe et sa propre postérité. Mais n’allons pas trop vite en besogne. John Zorn est capable de composer, de produire et de jouer énormément de merdes -par exemple The Dreamers est l’une des pires choses qu’il ait jamais entrepris au long de sa très prolifique carrière- mais il a de beaux restes, la série Moonchild/Astronome/Six Litanies For Heliogabalus étant là pour le démontrer.
The Crucible
est un enregistrement de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le Moonchild trio à savoir Mike Patton à la voix, Trevor Dunn à la basse et Joey Baron à la batterie. On ajoute John Zorn en personne qui avec une largesse peu coutumière fait plus d’une apparition avec son sax alto, ainsi que Marc Ribbot sur deux titres et on a le line-up complet de ce disque. C’est en regardant le DVD du Fantômas/Melvins Big Band publié cette année par Ipecac que j’ai enfin compris mon problème avec Mike Patton : je ne peux pas le voir, au sens propre du terme. Il me suffit de voir ses grimaces de coquelet expérimental en pleine démonstration orgasmique pour que je sois dégoûté de ce qui sort de sa bouche, y compris si ce qu’il chante à ce moment précis me plait ou vire au fabuleux (ce qui est tout de même fort rare). Donc pour écouter un disque sur lequel il y a Mike Patton il ne me faut absolument ni voir ni imaginer sa grande gueule de débile en même temps. Mon incapacité vient probablement de cette expérience désastreuse de Faith No More en concert -oui j’ai fait ça, traîné là par un ami qui l’a nettement moins été après : je me revois encore perdu au milieu d’une foule en délire et en bermudas en train de s’extasier et de se trémousser sur We Care A Lot, moi non, j’en avais vraiment rien à foutre.
Il va s’en dire que dès la première écoute de The Crucible le grand et le beau Mickey est apparu devant moi -arrogant, supérieur, son torse viril bouchant tous mes horizons et un filet retenant ses cheveux laqués en arrière. The Crucible est derechef allé pourrir avec quelques autres exemplaires de son espèce dans la pile des à réécouter. C’était en soi une erreur parce qu’il est loin d’être mauvais. Il reprend la formule des trois disques déjà mentionnés (Moonchild/Astronome/Six Litanies For Heliogabalus) qui elle-même est une resucée des travaux entrepris par Zorn dans la première moitié des 90’s avec le tandem Naked City/Painkiller. Le John Zorn énervé qui brasse plus de bruit que de vent.
Sur The Crucible le saxophoniste est très présent en tant qu’instrumentiste et c’est l’une des principales qualités du disque : enfin un enregistrement où Zorn fait autre chose que composer et produire, où il lève le cul de son fauteuil et où il se fatigue un peu. Almadel a l’air tout droit sorti du répertoire de Masada et n’est pas une très bonne entrée en matière. Patton y déclame le thème principal en doublé avec Zorn et le résultat façon modern jazz est un peu pénible. Au début de Shapeshifting on jurerait que Patton se met à hurler et que ça bourre! et effectivement il s’agit de l’un des meilleurs titres de disque. Maleficia fait lui partie des titres pendant lesquels il faut impérativement fermer les yeux pour ne pas voir Mickey. Trevor Dunn et sa basse y font les trois quarts du boulot. 9 x 9 est basé sur un riff stupidement vieillot de Marc Ribbot, on passe. Hobgoblin est de loin le titre qui rappelle le plus la furie et la méthode switch de Naked City. Incubi se perd dans trop de circonvolutions -mais encore une fois quelle basse- tandis que Witchfinder rallume trop timidement le feu, l’intro ressemble à s’y méprendre à du NoMeansNo. The Initiate termine fort honorablement un album correctement désaxé et proprement débridé dont on ne peut tout de même pas d’empêcher de dire qu’il demeure trop raisonnable et trop pensé.

vendredi 26 décembre 2008

Ocean / Pantheon Of The Lesser


Puisque on en était à évoquer des reprises de vieux classiques cold wave/80’s il existe une reprise assez fabuleuse et complètement tripante du Siamese Twins des Cure enregistrée par un groupe du Maine : Ocean. Je ne pense pas que ces quatre garçons soient experts en cinéma d’auteur français mais le fait est que ce groupe navigue plutôt dans les eaux troublées et sombres de l’ultra doom. La reprise de Siamese Twins est disponible uniquement sur la version double LP du premier album d’Ocean, Here Where Nothing Grows, officiellement limitée à 500 exemplaires -mais là il y a quelque chose que je ne comprends pas : il y aurait deux versions LP, la première avec pochette gatefold chez Important records en 2006 sous la référence imprec073 et une seconde avec vinyls de couleur chez Rocket recordings en 2007, référence launch 027. Que l’on possède l’une ou l’autre le résultat est le même. Ocean a le don d’étirer ses compositions au-delà de l’humainement supportable, saupoudre son doom crépusculaire et étrangement désossé de borborygmes caverneux à faire engager un troll comme choriste dans la Compagnie Créole. Ce disque est tout bonnement monstrueux au sens littéral du terme.























Ocean poursuit sur sa lancée avec un deuxième album, Pantheon Of The Lesser, à nouveau sur Important records. Seulement deux titres (The Beacon et Of The Lesser) et une jolie pochette digipak comme pour l’édition CD du disque précédent, avec un effet en relief sur l’illustration qui présente également quelques similitudes. Du fond noir on passe au fond blanc tandis que le sablier surmonté d’un crâne et entouré d’ailes a laissé la place à un ange nourricier flottant au dessus des eaux. Après l’obscurité, la lumière ? Peut être. Pantheon Of The Lesser est moins ouvertement cryptique que Here Where Nothing Grows. The Beacon comporte même un passage aérien avec voix assurée par une vieille copine du groupe, Yoshiko Ohara (de Bloody Panda). Ce passage étant lui-même précédé d’une monté à la lenteur millimétrée digne d’un groupe de post hard core déviant et un peu plus aventureux que la moyenne, The Beacon offre un visage plus tendre et moins sombre de la musique du groupe… ça c’est juste avant que ne survienne l’éprouvant final avec ses hurlements de déments qui s’emballent : la bande des quatre n’a en rien perdu de l’art et la manière d’acculer son auditoire dans ses derniers retranchements, en fait d’avoir avancé celui-ci s’aperçoit un peu trop tard qu’il n’a fait que reculer pour se retrouver le dos au mur. La version studio de The Beacon avoisine les quarante minutes mais il semblerait qu’Ocean l’étire jusqu’à une heure en concert. Encore une expérience ultime à laquelle je n’aurais certainement jamais la chance d’assister.
En guise de conclusion Of The Lesser est le deuxième et dernier titre de cet album, il renoue avec le doom rampant et maléfique de Here Where Nothing Grows, les grognements du chanteur (?) virent au surnaturel tandis que les guitares tournent avec une lenteur infinie et écoeurante. Un dernier riff sabbathien ramène tout le monde au bercail avant une ultime rasade vocale aussi animale que les précédentes. Un grand moment de dévastation et un grand disque tout court -favori, mais uniquement pour celles et ceux qui aiment souffrir.

[la version LP de cet album ne saurait tarder elle aussi et comme pour Here Where Nothing Grows il y aura un titre en plus enregistré en concert]

jeudi 25 décembre 2008

Feardrop #14 : Coal Fire

On est toujours sans nouvelles du vinyl 25 cm initié par le label lyonnais Atropine records -mais il va bien finir par arriver n’est ce pas ?- présentant quatre groupes (Abronzius, Kill The Thrill, One Second Riot et Year Of No Light) reprenant quatre chansons emblématiques de l’ère cold 80’s (respectivement Charlotte Sometimes des Cure, un titre de Killing Joke, One Hundred Years des Cure et Disorder de Joy Division). Un joli projet qui traduit surtout l’intérêt grandissant pour cette période musicale préhistorique et glacière. Feardrop (label et revue dont on avait déjà parlé avant l’été à propos du plutôt mitigé Magma To Ice de Netherworld et Nadja) a quant à lui décidé de faire évoluer le caractère de ses parutions erratiques en ne se concentrant plus que sur des numéros spéciaux. Coal Fire, référence 14, s’attaque donc à un très gros morceau, l’album Pornography de Cure -tentative que l’on peut juger carrément culottée mais qui visiblement émane d’un vrai vieux fan du groupe de Robert Smith, l’érudition de Denis Boyer en la matière ne faisant aucun doute.
Coal Fire
est un bel objet qui se divise en deux éléments distincts : une revue et un disque. La revue propose une analyse poussée, non limitative et contextuelle (les enregistrements de Cure avant et après Pornography sont parfaitement évoqués) avec un évident désir de dissection maniaque qui ne parvient évidemment pas à cacher le fanatisme et la passion éprouvés par le rédacteur de cet essai. Textes et musique sont passés au peigne fin et on aurait préféré peut être un peu plus de libertés avec le mythe -ou même de la mauvaise foi- mais le respect de Denis Boyer pour son sujet est total et dévoué, à la limite des Tables de la Loi. Le texte est également présenté dans une traduction anglaise, de même que les huit titres composants Pornography, tentative encore une fois courageuse dont je vous laisse découvrir le résultat.






















Cela se corse côté disque. Sur le CD : huit titres par huit groupes différents, l’ordre initial des compositions de Pornography est scrupuleusement respecté. On reconnaît tout de suite Nadja qui s’attaque à One Hundred Years. Aidan Baker est un piètre chanteur on le sait, aussi aurait il mieux valu qu’il noie davantage sa voix dans la multitude d’effets dont il est coutumier. Sinon les nappes de metal atmosphérique de Nadja conviennent plutôt bien à la musique de Cure. Ce qui n’est absolument pas le cas du post hard core ultra référencé et ultra calibré de Dirge. La version d’A Short Time Effect ralentie et alourdie proposée par les parisiens arrive à peine à convaincre sur les parties instrumentales et vire au naufrage dès que la voix s’y met. Grosse catastrophe. The Hanging Garden version Savage Republic est le seul titre entièrement satisfaisant de cette relecture. Rythmes tribaux, chant incantatoire de Thom Fuhrmann et final de guitares grésillantes offre de nouvelles perspectives bienvenues. On passe sur la version electro ambiant pitoyable de Siamese Twins par Wild Shores.
Year Of No Light déçoit avec The Figurehead alors que les bordelais avaient plutôt bien accommodé les restes avec leur version de Disorder de Joy Division évoquée plus haut. Là le groupe semble ne pas savoir sur quel pied danser (celui de l’oppressant ou celui de la mélodie ?) et le chant raté est bien trop près de celui de Robert Smith. Kill The Thrill se plante complètement avec A Strange Day, le titre le plus évident et le plus mélodique de Pornography : la grosse basse et la boite à rythmes collent parfaitement à la chanson mais les guitares respectent trop le cahier des charges et surtout Nicolas Dick ne parvient jamais à trouver ses marques avec la ligne de chant un rien lyrique de l’original. Troum, d’ordinaire bien meilleur, ne fait vraiment rien de bon avec Cold mais le pire reste à venir avec la mélasse synthétique proposée par Contagious Orgasm sur le titre éponyme.
Il est clair que le défi présenté par la reprise intégrale d’un tel album était énorme à relever mais le résultat est encore moins bon que ce à quoi on pouvait s’attendre. Le fait que ce soit un groupe de l’époque (ou presque), à savoir Savage Republic, qui s’en tire le mieux n’est finalement pas très étonnant et de tous les groupes impliqués dans cette aventure les californiens sont également de très loin ceux qui ont le plus de personnalité et de panache. Les chiens ne font pas des chats… C’est dommage parce que du coup le travail de dissection et l’exégèse proposés par Denis Boyer/Feardrop deviennent moins séduisants alors que ce serait une erreur que de se refuser cette lecture à la fois passionnante et instructive.

mercredi 24 décembre 2008

Thalia Zedek Band / Liars And Prayers
























En fait le voilà le plus beau disque de l’année. Sans aucune hésitation ni lassitude. Le nouvel album de Thalia Zedek (publié en avril 2008) qui pour l’occasion s’est collé un band dans le dos. Un détail qui a son importance. Liars And Prayers -on clique en haut sur la droite pour écouter l’intégralité de l’album en streaming- à la différence des albums précédents (Been Here And Gone, Trust Not Those In Whom Without Some Touch Of Madness) est un album de groupe et non plus celui d’une chanteuse sachant bien s’entourer. On retrouve peut être la plupart des musiciens qui ont jusqu’ici accompagné Thalia Zedek dans son aventure en solo -le violoniste David Michael Curry, Mel Lederman au piano et Daniel Coughlin à la batterie- mais il faut rajouter le bassiste Winston Braman (il a joué avec les excellents Magic People) à la liste. Sauf erreur, c’est la première fois depuis la fin de Come que la dame rejoue avec un bassiste et donc une vraie section rythmique. Thalia Zedek Band, enfin un vrai groupe de rock servant magnifiquement le spleen rocailleux de la chanteuse, toujours dotée de la plus belle voix de l’indie US et toujours aussi douée pour le songwriting déchirant -mi folk, mi blues mais sans l’ennui pathétique du premier ni la raideur du second.
Avec deux titres comme Next Exit et Lower Allston, Liars And Prayers commence comme un album des Bad Seeds (les Bad Seeds dans leur version actuelle, cette chose entièrement ralliée à la cause perdue et à l’égo de Nick Cave), or on s’aperçoit rapidement que si ce groupe est un écrin presque parfait pour la chanteuse, c’est bien parce que chacun y est à sa place et possède une importance incontestable. C’est un peu une transformation lente, une maturation imperceptible, une mutation en forme de retournement sur soi-même avant d’éclater : la musique de Thalia Zedek n’est pas franchement différente de ce qu’elle était jusqu’ici, elle est seulement passée au stade supérieur, a gagné une envergure que jusqu’ici on ne pouvait que soupçonner. Plus de hargne, plus de rudesse, plus de taillage dans vif du sujet (plus de rock quoi) et surtout plus d’ampleur, plus d’emprise sur l’auditeur, plus de vertige et d’abîmes.
La dame n’a pas non plus oublié qu’elle peut être une excellente guitariste et elle le prouve à plusieurs reprises en alignant des riffs à tomber tous les fans d’un rock pur, introspectif et à fleur de peau. Encore un truc qu’elle avait un peu trop laissé tomber de côté depuis l’avis de décès officiel de Come. Alors oubliez la moustache et les pantalonnades d’un Nick Cave, oubliez l’esprit boy-scout toujours et bêlant à la lune d’A Silver Mount Zion, mettez même de côté Carla Bozulich, seule voix et seule âme à pouvoir réellement rivaliser avec Thalia Zedek, et écoutez cette musique en forme de pureté à la fois absolue et corrompue -les marques de l’existence qui est loin d’avoir épargné Thalia Zedek, c’est sûrement un cliché que de parler de sa voix bousillée et sublimée mais c’est bien ce dont il s’agit. Liars And Prayers n’est pas qu’un album, c’est un véritable compagnon de route.

mardi 23 décembre 2008

Enablers / Tundra























2008 aura vu la parution du troisième album d’Enablers, Tundra, un album dans l’exacte lignée de ses deux prédécesseurs sur Neurot records. Deux labels se sont partagés le boulot, Majic Wallet de Los Angeles pour la version CD et le britannique Lancashire And Somerset pour la magnifique version LP (ce même label avait déjà publié un joli single partagé entre Enablers et Red Panda). Le bon goût absolu et la recherche perpétuelle de plaisirs d’esthète m’ont imparablement conduit à faire l’acquisition du vinyl. Jugez plutôt : un tirage limité à 400 exemplaires numérotés et une pochette en carton épais qui se referme à l’aide de deux attaches parisiennes dorées, exactement comme pour le célèbre maxi de June Of 44, The Anathomy Of Sharks. Une éternité que je n’ai pas réécouté ce groupe, June Of 44, groupe dont le souvenir reste agréable malgré une fin de carrière en eau de boudin (difficile à admettre pour une formation qui a longtemps joué sur l’esthétique maritime). S’il fallait trouver un autre point commun entre Enablers et June Of 44 ce serait Joe Goldring puisque dans le passé celui-ci s’est fourvoyé avec Doug Sharin -batteur de plein de groupes dont June Of 44- dans Out Of Worship (un album sur Sub Rosa et un autre sur Perishable records sous le nom de Out In Worship, à éviter). Et Joe Goldring est un sacré guitariste, un fin dentellier, très discret sur scène -surtout en comparaison avec l’autre guitariste d’Enablers, Kevin Thompson- et surtout un type capable de vous sortir des plans de guitare à pleurer, juste à la frontière de ce qu’était le rock noisy et de ce qui n’était pas encore du post rock c'est-à-dire exactement sur le terrain de chasse jadis fréquenté par June Of 44. La réussite musicale exemplaire d’Enablers c’est que Thompson le rend bien à Goldring : ces deux là sont symbiotiques, à la fois différents et complémentaires, une sacrée paire. On parachève le tout avec un batteur qui ne fait aucun effort pour se retenir (il n’y a rien de plus pénible que ces enclumeurs qui prennent un air inspiré dès qu’ils sortent les balais alors que l’on se doute pertinemment qu’ils continuent de compter les mesures -Joe Byrnes n’est vraiment pas de ceux là).
Reste le cas de Pete Simonelli, poète, écrivain, parolier (on est en droit d’hésiter un peu, pour le situer vaguement disons qu’il se déclare ouvertement influencé par la beat generation) mais surtout performer. Lorsque on ouvre la délicate enveloppe qui contient la lyrics sheet de Tundra c’est le mystère total de l’incompréhension. Il ne faut pas compter sur moi pour faire le traducteur et même un anglophile chevronné aurait du mal. Par contre lorsque on écoute Simonelli déclamer ses mots on est immédiatement captivé, la force de l’interprétation comme dirait l’autre ou quelque chose d’approchant (et il faut le voir en concert). Le genre de phénomène incontrôlable qui prend même lorsque on écoute Bob Dylan ânonner avec une patate dans la bouche -je parle du Dylan encore motard stellaire, bien avant qu’il ne se convertisse au christianisme- c’est de la magie pure qui nous coule entre les oreilles et les quelques phrases, parfois juste quelques mots, qui nous parviennent en entier sont là pour nous perdre autant que pour nous émerveiller. Sauf que contrairement au Zim Simonelli a un timbre de voix (grave) et un phrasé à se damner, il pourrait réciter des recettes de cuisines (ce que Dylan fait d’ailleurs depuis quelques années) que mes synapses palpiteraient de façon identiquement compulsive.
Si on veut résumer simplement ce bien trop court Tundra, disons qu’il reprend les ingrédients déjà utilisé sur End Note et Output Negative Space. Des jazzeries minimalistes tel le très bel et introductif A Blues jusqu’à l’énervé Tundra en passant par une version raccourcie de l’excellent The Achievement et un final d’exception avec une reprise du Four Women de Nina Simone -pour le plaisir : une version longue enregistrée à Jazz à Antibes et une version courte et studio (tronquée) avec craquement du vinyl d’origine- un blues là aussi, majestueux et profond. Avec Tundra Enablers confirme sa place unique dans le paysage musical -qui est capable comme ces quatre mecs de lâcher, tel un flux électrique et poétique, une invitation à l’apesanteur et un mystère de mots qui nous touchent autant ? Je ne vois personne.

lundi 22 décembre 2008

Witch Hats / Cellulite Soul























Poursuivons cette course folle contre la montre consistant à chroniquer quelques disques parus en 2008 et délaissés jusqu’ici, l’heure est bientôt au bilan, va falloir mettre les bouchées doubles au risque de passer pour une grosse nouille indolente -non je plaisante : un bon disque reste un bon disque, chroniquer en retard c’est aussi le plaisir de réécouter après coup un disque que l’on a aimé alors qu’il faisait encore beau et chaud. Surtout (et c’est ça le plus important) attendre tout simplement avant d’écouter un disque parce que l’on sent que ce n’est pas le bon moment est une règle essentielle de savoir-vivre hédoniste, c’est si bon parfois de faire attendre ce qui ne saurait l’être. Fin de la rubrique philosophie de comptoir, maintenant parlons un peu rock’n’roll.
Dans le cas de Witch Hats on ne saurait mieux dire. Ce groupe vient de Melbourne, Australie et perpétue l’une des deux grandes traditions locales (l’autre c’est celle de la lignée AC/DC, Angel City et Rose Tattoo -de la musique pour bikers échoués au pub quoi), une tradition qui pourtant avait d’abord du s’exporter avant de réussir à planter ses mauvaises graines : impossible de ne pas penser à Nick Cave/Rowland S. Howard, aux Triffids aussi (mais en moins chiants). On évitera de citer directement Birthday Party même si on peut y penser un peu, juste qu’il manque cette folie suicidaire qui rendait le propos délirant et l’attitude dangereuse. Witch Hats fait penser à tout cela et -précision technique qui finira de convaincre tout le monde- c’est Phill Calvert, l’ex batteur de Birthday Party viré du groupe par un Nick Cave qui le trouvait trop accro à la gnole, haha, qui a enregistré le EP Wound Of A Little Horse et surtout l’album Cellulite Soul.
Avoir découvert Witch Hats avec Cellulite Soul est certainement une chance. L’écoute à posteriori de Wound Of A Little Horse s’est forcément révélée décevante, un bon petit disque de rock avec son lot de poncifs à la Gun Club et de lassitudes à la con (le chant pénible sur la longueur par exemple). Avec Cellulite Soul les australiens ont résolu plusieurs problèmes. Premièrement ils ont pallié à l’absence aberrante pour ce genre de groupe d’une bassiste/chanteuse avec le chant étrange et androgyne du morceau introductif, magnifique Before I Weigh qui se permet mine de rien d’alimenter la chaudière à fantasme avec ce bois qui nous chauffe tous -mais que va-t-il se passer après ? Après c’est quelques bourrades dépouillées, bien rythmées et emmenées par une basse de plomb (I Can’t Stay At Home immédiatement suivi de Climing Up Yr Cable et son chouette refrain), un ou deux ralentissements nonchalants (Western ou le religieux Ma Lord), ralentissements qui préparent le terrain aux vrais tubes de ce disque à savoir Summer Of Pain et Neil Diamond Entry et son gimmick irrésistible à la basse. Reste un dernier titre, Doors Film, du genre fédérateur mais pas racoleur, qui incite à hurler tout en appuyant sur l’accélérateur. Le deuxième problème résolu par Witch Hats c’est donc que le groupe a réussi à varier son vocabulaire, à creuser ses mélodies, à étoffer son propos. Au placard les tentations trop ouvertement criardes de coquelets prépubères, au chiotte les outrages trop faciles. Un vrai premier album qui garde la spontanéité des débuts tout en rajoutant du relief : Cellulite Soul est aussi un vrai bon disque qui permet intelligemment ne pas trop réfléchir.

samedi 20 décembre 2008

Concert pour l'affichage libre


















C’est ce soir qu’a lieu le concert de soutien pour l’affichage libre à Lyon avec une programmation qui ratisse large : de la musique pour avoir peur, de la musique pour jeune anorak lyonnais, de la musique pour avoir le temps et l'envie d'aller boire des bières au bar et de la musique pour rire et pour danser (une fois saoul) autrement dit les DJs fous de l’Atomic Ping Pong Project. Autant dire tout de suite qu’il n’y aura ni report ni photos de ce concert de charité. Allez, on se force un peu, c’est pour une bonne cause.
[en bonus et pour le plaisir tous les flyers du concert, décidément les étudiants aux beaux arts sont bien désoeuvrés ces temps ci]

















































vendredi 19 décembre 2008

Aids Wolf / Cities Of Glass























C’est dingue comme j’avais envie d’être salaud avec ce disque. Encore une arnaque signée Skin Graft. Mark Fischer qui recycle, ressasse, réédite et vend ses productions à prix d’or -putain de merde. Je ne parlerai même pas du dernier volume (le Sides 11-14) de reprises d’AC/DC, une série commencée au siècle dernier avec Shellac ou Big’N et ressuscitée dernièrement avec quelques vieilleries ou fonds de tiroirs (Colossamite et Mule) ainsi que quelques recrues plus récentes mais moins que passables (Yowie et Pre). La parfaite illustration d’une démarche qui se mord la queue, une déliquescence qui ne fait pas rire du tout et fait même presque de la peine -mais ressaisissons-nous : la pitié c’est le sentiment des faibles.
Pre, parlons en quand même un peu. C’est l’une des dernières (la dernière ?) signature du label avec Aids Wolf. Les deux ont partagé tournées et split single live -gentiment qualifié de bootleg par le label (!) et dont les photos des membres torse-poils des deux groupes en pages du milieu sont le principal intérêt- mais surtout Pre et Aids Wolf ont deux caractéristiques musicales en commun : les deux groupes sont de parfait rip-off d’Arab On Radar et les deux ont une chanteuse pour tenir le rôle vicieux d’Eric Paul, le seul gars qui a ma connaissance à le timbre de voix aussi aigu et douloureux qu’une blennorragie estudiantine. Pre est juste sur le versant pop d’Arab On Radar tandis que Aids Wolf a choisi le versant chaotique.
Cela se vérifie une fois de plus avec Cities Of Glass, premier véritable album des canadiens (oui à Montréal on ne fait pas que du post rock et de la pop post moderne). Aids Wolf a voulu mettre les petits plats dans les grands pour ce disque dont la production a fort logiquement été confiée à Weasel Walter, spécialiste es no wave en voie d’albinisation chronique. Le résultat est à s’y méprendre, bien meilleur que sur le Lovver EP ou que sur le split avec Athletic Automaton. L’une des deux guitares tourbillonne dans les bas fonds tandis que l’autre vrille dans les crânes. La batterie est minimaliste, tribale et aussi simpliste que possible. La voix couiiiiiiiine, gémit, râle et vitupère. J’ai déjà entendu ça quelque part.
Le problème lorsque on veut rendre hommage à Arab On Radar c’est que ce groupe avait une identité tellement forte et ultime que c’est difficile de ne pas faire du copier/coller. Les quatre Aids Wolf tombent en toute logique dans le panneau. Leur Cities Of Glass est parfait à tous points de vue, s’écoute presque avec plaisir mais rien n’y est dangereux ou ne serait-ce imprudent. A tout bien réfléchir je ne trouve d’ailleurs pas de noms de groupes coupables de s’être inspirés des malades mentaux de Providence sans s’être brûlés les ailes de l’originalité au feu de la furie cathartique de leur modèle. Donc je ne peux décemment pas dire du mal d’un groupe et d’un disque qui font ce qu’ils peuvent, c'est-à-dire pas grand-chose.

jeudi 18 décembre 2008

Gods And Queens

























Si tous les emokids du monde pouvaient se donner la main et faire une grande ronde universelle de la geignardise, je prendrais mon lance-flamme pour allumer l’un d’eux au passage en espérant que le feu se propage rapidement -cela ferait comme une grande guirlande de lumière et de cris et ce serait parfait puisque c’est bientôt Noël. Voilà pour le lâchage de haine ordinaire. Après, on peut écouter le premier album (?) de Gods And Queens sans avoir des envies de meurtres -faut pas s’inquiéter, le mois de décembre est toujours un mois difficile à passer, après cela va forcément un peu mieux.
Oh! Le joli petit album bien frais! est on même tenté de dire après quelques écoutes. Une remarque qu’il ne faut pas prendre à la légère (on ne parle pas de Pierrette et de son petit pot de beurre) mais au sens premier du terme. Ce vinyle sans titre fait énormément de bien et confirme que ce genre de groupe est une alternative salvatrice face à toutes les grosses daubes prétentieuses dont nous abreuve la scène américaine depuis trop longtemps -5ive ou U.S. Christmas parmi les derniers étrons arrivés sur lesquels il faudrait tirer la chasse. Back to basics, ceux de formations mythiques (Quicksand) ou d’autres complètement oubliées (The Plan -même pas chroniqué sur Nextclues, quelle honte !) qui partagent souci mélodique, guitares en fines lames et chant en avant -le problème est souvent là : lorsque ce chant confond cris de bête et bêlements, s’enfonce dans le nombril introspectif et colle aux oreilles comme une application de gel gluant sur une mèche de cheveux savamment rebelle.
Avec Gods And Queens il n’y a aucune tergiversation. C’est franc, direct, brut et simple. Jamais poussif ni narcissique. C’est enregistré comme je respire c'est-à-dire comme ça vient et comme ça ressort. Souffle vital qui fait du bien, aère l’esprit sans jamais donner l’impression de perdre son temps. C’est peut être un disque un peu court (sept titres dont en dernière position une longue plage presque répétitive et hypnotique avec petites voix célestes en arrière plan à faire bouillir de jalousie tous les rosbifs shoegazers) mais il est parfait ainsi, à la fois récréatif et défouloir inspiré.
Expérience amusante : le label Robotic Empire a encore eu la bonne idée d’inclure une version CD de ce disque dans la pochette gatefold du vinyl. Ecouter et comparer les deux formats prouve s’il en était encore besoin que pour ce genre de musique, la rondelle de trente centimètres est définitivement le meilleur support possible -à tel point que l’on pourrait se demander si le label et/ou le groupe n’en n’ont pas rajouté et n’ont pas dégueulassé un peu plus exprès les bandes gravées sur le CD (ce qui serait plutôt drôle). Mais je crois que non, j’arrête tout de suite de délirer. Pas besoin de ça pour se laisser enivrer par des idées aussi simples et lumineuse que le riff d’intro du quatrième titre (il n’y a aucun nom de morceaux d’écrit sur la pochette), petite perle mélodique qui reste dans la tête et servi par ce son basique et non dégrossi qui tranche avec précision. Vraiment une bonne surprise.

mercredi 17 décembre 2008

Young Widows / Old Wounds
























Le voilà enfin ce disque que tout le monde a accueilli avec des commentaires incroyablement élogieux. Le label Temporary Residence (qui nous a plus habitué à des post rockeries insipides) y est logiquement aussi allé de ses propos triomphaux. Noise rules, ok ? Ce n’est pas moi qui vais dire autre chose, bien au contraire. Plus de trois mois après sa sortie officielle, Old Wounds continue d’hanter ma platine et à l’heure où tous les petits malins -et plus simplement celles et ceux qui aiment se faire plaisir- vont bientôt penser à tirer les bilans d’une année 2008 particulièrement riche en matière musicale, c’est bien le moment d’ajouter quelques lignes au sujet d’un groupe et d’un album qui ont indubitablement marqué les esprits.
La première bonne idée qu’ont eu les petits gars de Young Widows c’était il y a quelques années en virant leur chanteur : les trois survivants signaient ainsi l’arrêt de mort de Breather Resist (un honnête combo de hard core moderne -comprendre post Converge et post Botch), groupe un peu en fin de course et arrivé au bout d’une formule avec cette conscience aigue qu’il était temps de passer à autre chose. Cette conscience, c’est en bonne partie celle du guitariste Evan Patterson (qui auparavant avait joué dans un groupe fabuleux : The National Acrobat) qui décidait de prendre en plus le micro. Sauf que jouer de la guitare uniquement et jouer de la guitare tout en chantant ce n’est pas pareil. Des choses que l’on ne peut plus faire. De nouvelles possibilités qui s’ouvrent. Donc une nouvelle musique. Et un nouveau nom.















Settle Down City, le premier album du groupe, était déjà le genre de disque bourré d’une noise entraînante et nerveuse, finalement un vrai disque de rock’n’roll. Un passage en concert (avec Akimbo, remember ?) et deux années plus tard, Young Widows revient donc avec Old Wounds, un album qui comporte la substantifique moelle et le total karma des groupes aimant les guitares racées, les rythmiques élastiques mais tendues et les voix sachant s’énerver sans braillardises de trop. Un arc tangentiel frôlant, reliant sans les toucher, tous les groupes ou presque qui ont compté pendant ces fameuses années 90’s américaines. Une fois de plus Jesus Lizard est très clairement cité via le repompage du visuel du single Mouthbreather de l’ex bande de David Yow et il est vrai que certains riffs tranchants ou certaines intros explosives (celle de Lucky And Hardheaded par exemple) convoquent le fantôme -fantôme plus pour très longtemps puisque une reformation est déjà prévue (!)- du groupe de Chicago. Un effort tout particulier a également été fait au niveau du chant, tout en clarté et en force lumineuse, effort assez rare pour être signalé et pour un peu j’arriverais presque à comprendre ce que raconte le trio. Maintenant tout le monde peut chanter du Young Widows le matin sous la douche.
Chaque titre de ce disque est une perle, 21st Century Invention drivé par une basse bourdonnante et sans bavure, l’émouvant The Guitar et son absence totale de batterie, Delay Your Pressure en mode supersonique -impossible de tous les citer mais il y en a onze et il est hors de question d’en mettre un seul de côté. Quelques applaudissements dérisoires retentissent parfois à la fin d’un titre, habitude légèrement ironique héritée de l’époque Breather Resist mais c’est aussi l’une des caractéristiques de la production de Old Wounds : Kurt Ballou qui s’y est collé a suivi le groupe en concert et a mélangé enregistrements live et studio pour un résultat final au son étonnement homogène et compact. A noter aussi que souvent le tout est mixé au plus simple : la guitare d’un côté, la basse et la voix de l’autre et la batterie au milieu -à l’ancienne. Plus qu’une excellente remise à niveau, Old Wounds est tout simplement l’un des deux ou trois albums de l’année.
[et pour les collectionneurs : Temporary Residence annonce une série de quatre splits comprenant en face A un inédit de Young Widows et en face B un inédit d’un groupe ami -on retrouvera ainsi Bonnie Prince Billy, Melt Banana, Pelican et un groupe surprise… face à tant de, euh, éclectisme on peut vraiment se demander qui ce sera]

mardi 16 décembre 2008

Black Elk / Always A Six, Never A Nine


Les annonces sur le retour de la noise et du son 90’s (Amrep, Touch And Go, les groupes de Chicago et compagnie…) me font de plus en plus rigoler. D’abord c’est un immense plaisir de pouvoir toujours écouter aujourd’hui en 2008 des guitares vicieuses as fuck, des lignes de basses aussi grasses et énormes qu’une érection matinale et du chant d’écorché vif -si avec tout ça je ne me fais pas forcément dessus c’est à n’y rien comprendre. Mais jamais je ne pourrais parler de revival à propos d’un truc qui a à peine quinze ans. C’est quoi le problème si tu avais cinq ou même dix printemps lorsque Jesus Lizard a sorti Liar, Hammerhead Into The Vortex, Unsane son premier album, Dazzling Killmen Face Of Collapse ou Cherubs Heroin Man (quelques exemples seulement) ? Franchement, aucun. Rien du tout.
Bref, c’est comme si moi je me plaignais que Ian Curtis se soit suicidé alors que j’atteignais à peine mon onzième anniversaire (il a bien fait ceci dit, cela lui a évité de se transformer en gros bœuf gobeur de MDMA comme ses ex collègues les futurs New Order) et que j’aille voir Interpol en concert pour me consoler de la nostalgie revivaliste d’une musique que je n’ai connue que sur disques -et encore, Interpol renifle plus la variété que le post punk. Parmi toutes les mauvaises bonnes raisons pour écouter de la musique c’est celle-là qui me fout une bonne grosse nausée et me donne le plus envie de tuer mon prochain : l’attitude du c’était mieux avant, cracher par exemple sur Pissed Jeans ou sur Clockcleaner sous prétexte que ces deux groupes ne proposent rien de neuf, avec option faux retour vers le futur qui bien sûr réactualise le passé -quoi d’autre sinon ? La musique c’est pourtant si simple. Elle te touche ou pas. C’est de la merde ou c’est le bonheur. Il n’y a rien de plus manichéen et de plus réactionnaire. Laissons la science aux amateurs d’art contemporain.
Le vrai rock’n’roll n’a pas d’âge, alors quinze ans c’est vraiment rien. Des groupes à guitares qui font autre chose que du metal en bermudas ou du jazz rock il y en aura encore pendant quelques temps et la chaîne démarrant aux Stooges, continuant avec Birthday Party puis Chrome, Big Black, Table, Slug ou Glazed Baby ne va pas s’arrêter de sitôt -oui j’ai fait exprès de citer des groupes que je n’ai jamais vus en concert et que je ne verrai jamais puisqu’ils n’existent plus depuis longtemps. Et je m’en fous parce que je peux aujourd’hui avoir aussi bien à me mettre sous la dent. Par exemple ?























Black Elk sort un deuxième album sur Crucial Blast : Always A Six, Never A Nine. Dans la catégorie groupes à guitares/rythmiques qui dépotent et voix qui lacèrent ce disque est tout doucement mais sûrement en train de prendre la place du Old Wounds de Young Widows, ce qui n’est pas peu dire. Le premier album sans titre du groupe avait déjà été une très bonne surprise mais Always A Six, Never A Nine le surclasse les deux doigts dans le nez (et dans la prise électrique).
Oui le chanteur gémit un peu comme David Yow. Mais il a un timbre bien plus nasillard et enroué, je suis prêt à parier que ce mec est aussi un grand fan de Bon Scott. Oui la basse est un modèle du genre, attaque de panzers au travers la Pologne pour apporter la bonne parole jusqu'à Brest-Litovsk. Oui je n’aimerai pas me taper un bras de fer contre le batteur, puissant et précis. Tout ça c’est du déjà entendu et du tout cru. Mais la fraîcheur est là, la fraîcheur de l’instantané rageur qui fait toute la différence entre vomi rock’n’roll et décorum de merde. N’en déplaise aux pisse-froids, ce genre de groupes est éternel et Black Elk en est l’un des meilleurs représentants actuels.
Et puis il y a les guitares. Là ça se complique un peu. Des plans denisonien sûrement mais sans le même sens de l’équilibriste dangereux qui te tranche la gorge à tous les coups en voulant t’étrangler avec son fil à couper le coeur. Derrière les arpèges, les descentes de manche et les tourneries acides il y a du bien lourd, du bon gras et du bon gros (qui a dit Tad ?), du grunge au sens littéral et crasseux du terme, du heavy metal assurément -le break et le pseudo solo de guitare sur le titre Always A Six, Never A Nine sont tout à fait le genre de plan qu’un groupe comme Saviours empile à longueur d’albums. J’ai rarement entendu un guitariste aussi décomplexé qui mélange les genres et les goûts avec autant de réussite et d’efficacité et une guitare n’avait peut être pas aussi bien sonné depuis (là tu mets le titre d’album de ton groupe à guitares carnassières préféré). Faut dire aussi que question production c’est la grande débauche : multiplication, superposition, doublage de six cordes à tous les étages et à la moindre occasion sans qu’il y ait un quelconque effet de surcharge. Un véritable exploit. Pas la peine d’en rajouter, ce disque est aussi monumental que ses intentions sont simples et sans prétention.

dimanche 14 décembre 2008

Zach Hill / Astrological Straits



















Zach Hill, batteur octopode de Hella, a sorti cette année un album solo sur Ipecac (version vinyl sur Anticon). Avant de s’attarder un peu sur Astrological Straits un bref rappel s’impose. En 2007 Hella a publié un album du nom de There’s No 666 In Outter Space (déjà sur Ipecac) qui marquait le passage du duo math noise à une formation à cinq avec deuxième guitare, basse et chant en plus. Cet album très décrié -mais que j’aime bien, sûrement parce qu’il me rappelle mes goûts de chiottes de préadolescent- a marqué la fin de Hella pour beaucoup de vieux fans. Pour d’autres, le groupe était déjà mort avec le diptyque Church Gone Wild/Chirpin Hard (sur Suicide Squeeze en 2005), double album dont le principe était très simple : chacun des deux membres était responsable de l’un de deux disques proposés, fallait surtout pas se mélanger, la partie signée Zach Hill étant Church Gone Wild, une pièce montée composée de douze mouvements et sensée être écoutée d’un seul bloc, attention concept. Bizarre tout ça en tous les cas. Mais la certitude que Hella faisait tout son possible pour ne rien faire comme les autres, quitte à faire vraiment n’importe quoi.
Parait donc cette année Astrological Straits sous le nom seul de Zach Hill, un album qui est également un double CD. Précision importante car le deuxième disque est rarement évoqué : il ne comporte qu’un seul titre d’une durée fatigante d’une demi heure, cela s’appelle Necromancer. Commençons par là parce que Necromancer ne prouve qu’une seule chose : Zach Hill est un mauvais batteur quand il se prend trop au sérieux. Cette improvisation batterie + piano (et quelques bidouilles insignifiantes) lorgne du côté du free jazz et en particulier de Cecil Taylor sauf que question matraquage de piano même Elton John serait plus imaginatif et plus barge (le pianiste s’appelle Marco Benevento) et surtout Zach Hill sur une telle longueur ne démontre qu’une seule chose : il ne connaît que deux (maximum trois) plans de batterie, ses rythmes que je t’en mets de partout virent sans exception à l’exercice stérile et vain, petit lapin électrique tapant sur son tambour en plastique tant que la pile n’est pas à plat. Une fois cette mise au point faite, une fois que l’on accepte que Zach Hill et son jeu de batterie n’ont de quelconque intérêt que lorsqu’ils sont au service d’une musique vraiment tarée -l’album Hold Your Horse Is et le mini The Devil Isn't Red de Hella pour l’essentiel- on peut s’intéresser d’un peu plus près à ce disque. Est-ce que Brian Chippendale de Lightning Bolt a un jour essayé de jouer autrement? Non. Au contraire, il a monté Mindflyer, un truc encore plus inécoutable que son groupe d’origine.
Astrological Straits
et ses treize chansons ou intermèdes est un album ambitieux. Zach Hill s’y est entouré d’invités qui font baver dans les gazettes mais dont je n’ai rien à taper (les gars de No Age ou le bassiste de Primus en première ligne). Le line-up change souvent du tout au tout d’un titre à l’autre mais il y a deux constantes. La première garantie l’homogénéité mélodique et vocale de l’album, Zach Hill devait vraiment savoir ce qu’il souhait produire -un bon point pour lui, même lorsque on n’aime pas le résultat. La seconde concerne évidemment son jeu de batterie et la quasi certitude que Zach Hill joue toujours à côté sans se soucier de ce qui se passe, une constante chez lui et qui faisait le charme débile de Hella, caractéristique encore plus flagrante et dédoublée avec There’s No 666 In Outter Space puisque sur cet album maudit le chanteur Aaron Ross donne avec sa voix de castra métallique exactement le même sentiment, celui de chanter dans sa bulle un peu comme Winslow Leach navigue au seul son de son art dans Phamtom Of Paradise.
Il n’en demeure pas moins que Astrological Straits comporte son lot de pépites mélodiques et de hits indés qui font se trémousser et danser les porteurs d’anorak (Dark Art est même parfait pour faire la vaisselle). Car cet album est réussi, oui, du moins si on accepte le parti pris poppy de son auteur. Maintenant qu’il s’est bien amusé en se caressant le nombril, on aimerait simplement que Zach Hill retrouve Spencer Seim (et qui ils voudront d’autre) pour relancer la machine Hella, ce truc qui par le passé avait plus d’une fois réussi à être aussi improbable qu’inattendu.










C’est la dernière grosse soirée du Grrrnd Zero festival 2008 : Zach Hill joue ce soir au Rail Théâtre mais attention il joue sans aucun autre musicien, en solo tout seul -batterie, bidules, machins, capteurs et voix, une formule qu’il a entièrement et sans aucune vergogne volée à notre Duracell local, le roi des petits lapins à piles électriques évoqués un peu plus haut. Dans la même soirée, notons l’appétissant Magic Barbecue, soit le batteur déjanté de Pneu (groupe de Tours responsable d’un excellent premier album cette année. C’est ça qui me fait le plus chier : je vais encore rater Magic Barbecue en concert, ça m’apprendra à bosser le dimanche.

samedi 13 décembre 2008

Flatulences d'appartement et pop ascensionnelle


We owe you nothing/You have no control : voilà le genre de vieilleries que j’entends dès mon arrivée au Sonic -il n’y a que là bas que j’écoute les disques que pourtant je possède encore et que je connais par cœur mais qui prennent la poussière depuis des lustres sur les étagères familiales. Plaisir garanti. Avec le premier groupe de la soirée je ne vais pas pouvoir dire exactement la même chose. Autant j’aime le nom choisi par ces cinq jeunes gens -Solarium Tremens, un jeu de mot foireux presque échappé de l’imagination d’un grindeux fertilisée à Creutzfeldt Jakob- autant j’ai détesté tout le reste. Sauf peut être la harpiste. Ils sont donc cinq avec de droite à gauche : une violoniste, un premier guitariste, une harpiste (avec une harpe comme je n’en ai encore jamais vue, en plastique bleu et amplifiée, cela me change des soirées à l’opéra), un second guitariste et un joueur de didgeridoo. Dans mon panthéon personnel de la haine ordinaire je crois que j’abhorre cet instrument au même degré que le djembé, la flutte à six schtroumpfs ou le piano à nain. Voir les deux musiciens le plus à gauche enlever leurs chaussures puis leurs chaussettes ne m’a pas rassuré non plus.
La musique de Solarium Tremens est très agréable mais parfaitement incolore, post rock acoustique (je salue l’exploit d’arriver à faire des montées en flèche avec deux guitares sèches) et extrêmement mélodieux. Chaque titre est introduit par un court laïus du souffleur de didgeridoo, laïus que je n’arrive jamais à comprendre, par exemple : ce morceau traite de l’aliénation, il s’appelle «Quatre». Finalement je ne crois pas avoir affaire à de l’humour grind core. Peut être que sinon le groupe se serait appelé un truc du genre Sex Vomica mais en attendant c’est plutôt Sieste Vomica et j’attends qu’il se passe enfin quelque chose : je n’arrive pas à me mettre au rythme de cette musique qui c’est sur ne va rien faire pour parcourir le chemin inverse. A un moment je pense très fort à Crëvecoeur (formule instrumentale similaire, etc) mais sans le côté western/mariachis/eau de feu qui pimenterait l’atmosphère. Je renonce à prendre des photos du groupe (qui en plus joue dans la pénombre) et vais voir ailleurs si j’y suis. 



















Le début du concert de Pas Chic Chic est catastrophique. Le son est très fort pour un groupe de pop/chansons et ressemble à une vraie bouillie. Les différents musiciens ont l’air de jouer les uns à côté des autres, rien n’est en place et surtout pas la voix de Roger (Tellier-Craig : ex Godspeed You! Black Emperor et surtout ancien Fly Pan Am) qui chante comme une casserole -aussi faux qu’Alain Chamfort si cela peut te faire plaisir et sans s’être fait banana-splité par Lio. Encore une mauvaise pioche me dis-je, dommage car ce soir c’est sûrement le dernier concert de l’année auquel je vais assister.
Le son s’éclaircit enfin, les voix dont celle de la claviériste aussi. Cette dernière semble faire un concours avec Leah Buckareff -la bassiste de Nadja- pour les lunettes et les fringues les plus moches du monde : Marie-Douce (c’est son nom) ne porte pas de chemisier mais rattrape son retard esthétique grâce à une étole, égalité les filles. Les deux chanteur(se)s/synthétiseurs jouent tout devant par terre et derrière eux on aperçoit (sur la scène cette fois) le couple basse/batterie et un guitariste qui ne quittera ni écharpe ni bonnet de tout le concert. Les québécois sont vraiment des gens frileux.


















C’est lorsque ce guitariste se mettra lui aussi au synthétiseur -pour une nouvelle pièce longue mais bien nous précise Roger- que Pas Chic Chic deviendra enfin intéressant, croisement entre Kraftwerk et Dutronc/Gainsbourg/Bashung avec une rythmique hypnotique as Can et infernale en arrière-plan, du kraut variété comme personne n’en avait rêvé avant ce groupe. Même lorsque le guitariste reprendra son instrument d’origine pour un dernier titre (il consentira enfin à en sortir quelques notes déchirantes à défaut d’un peu de charisme), Pas Chic Chic éclatera les barrières entre mélodies sucrées, tribalisme synthétique et vapeurs noisy. Ce sera amusant de voir le soundman du groupe (c’était pas trop fort les gars ? c’est que j’ai plus l’habitude de travailler dans des grandes salles) quitter la table de mix derrière laquelle il n’a pas arrêté de se trémousser comme un hippopotame pour se précipiter sur l’ampli du guitariste et en baisser le volume alors que celui-ci imitait plutôt bien My Bloody Valentine and C° en pleine phase d’explosions sonores de fin de partie.
Au total une cinquantaine de minutes d’une musique improbable avec plein de bonnes surprises et surtout des perspectives intéressantes et imaginatives. Va juste falloir apprendre à maîtriser un peu plus ce son protéiforme à la palette riche et variée -comme sur le premier LP du groupe, Au Contraire, qui dévoile des trésors de pop miraculée et addictive. A suivre et à revoir, donc.

jeudi 11 décembre 2008

Agenda de loser


Deux choses aujourd’hui. D’abord un détour par le palais de justice pour aller saluer et soutenir Colas qui est le suivant sur la liste des procès contre l’affichage libre à Lyon. A ce propos signalons aussi la soirée du 20 décembre au Rail Théâtre en soutient à cette cause perdue avec une programmation éclectique mais qui devrait rameuter du monde et de l’argent pour payer les amendes et les frais d’avocat (car c’est bien le but) tout en sensibilisant le plus grand nombre à ce problème récurrent. Le programme détaillé quelque part sur le site de Grrrnd Zero.
























Ce soir, retour au Sonic et retour de Roger Tellier-Craig avec son ambitieux projet pop futuriste Pas Chic Chic. Première partie de soirée assurée par Solarium Tremens, formation lyonnaise qui à défaut d’autre chose remporte la palme du meilleur jeu de mots foireux comme nom de groupe.

mercredi 10 décembre 2008

Oxbow en acoustique (part 2)





















Encore du Oxbow et encore de l’acoustique, cette fois ci uniquement en vinyl et toujours en tirage plus ou moins limité. Live At Supersonic 07 est une réalisation de Capsule records dont la méthode (si j’ai bien tout compris) est simple et efficace : on organise quelques concerts puis un maousse festival tous les ans, on enregistre ce qui s’y passe et on publie ça sous la forme d’une galette en plastique noire joliment emballée dans une pochette en carton épais avec insert comprenant un dessin plutôt moche, des photos d’Eugene Robinson en slip et des notes du guitariste Niko Wenner (lui en costard de thèseux récipiendaire sur les photos) qui explique le comment du pourquoi de la chose.
C’est cet enregistrement qui est le plus proche de l’expérience acoustique que j’ai d’Oxbow, et pour cause puisque on retrouve -du moins sur la première face- le duo voix et guitare tel qu’il avait enflammé le [kafé mysik] il y a quelques années. Du blues et encore du blues, rongé jusqu’à l’os et recraché avec tous les postillons qui vont bien. Je ne suis pas très convaincu par l’interprétation de The Geometry Of Business qui paradoxalement perd une bonne partie de son évidence en acoustique sûrement parce qu’il se prête un peu trop facilement à cet exercice de m’as-tu-vu mais cela s’arrange dès A Winner Everytime et surtout la tension culmine sur le magnifique 3 O’Clock et sur le superlatif Bomb (avec un accompagnement discret mais bienvenu au violoncelle de la part de Charlotte Nichols -qui ça ?). Eugène Robinson éructe de l’intérieur et éclate ses couilles en direct dans une interprétation habitée.
On retourne la galette et on écoute You Pay Firt, le seul et long titre qui l’occupe entièrement. Le duo Robinson/Wenner se mue en Love’s Holiday Orchestra grâce à l’adjonction de quelques musiciens : Justin Broadrick, Dave Cochrane et Stephen O’Malley (plus la violoncelliste susnommée). Du beau monde et du lourd. Et une bonne variation autour de la musique d’Oxbow : Robinson balance son texte tandis que Wenner tient le gouvernail à la guitare sèche et que les quatre autres improvisent un drone de larsens et de feedback. Le chant est magnifique, la musique insidieuse. Dans la partie proprement instrumentale du milieu le Love’s Holiday Orchestra délaie la béchamel pour le meilleur (ou pour le pire, si on n’aime pas la musique de branleurs encapuchonnés) avant un retour triomphal de la voix, rien ne serait possible sans Eugène Robinson. Au passage on se demande quel est l’intérêt d’avoir rajouté une basse tellement ce que fait Cochrane est inintéressant. Les deux guitaristes additionnels s’en sortent beaucoup mieux.
























Dernier témoignage acoustique, un single à forte valeur spéculative torché par Midmarch records comprenant sur sa face A le titre Stallkicker et sur l’autre face A (ne cherchez pas à comprendre) le titre Frankly Frank. Soient deux versions anesthésiées et enregistrées dans un placard de deux magnifiques chansons pour l’heure massacrées par quelques procédés lounge/jazz/balayette qui font un peu pitié. Un argument imparable de plus contre cette terrible manie qui a gangrené le music business des 90’s à savoir le unplugged (mais à chaque décennies sa tare incontournable : les 80’s ont bien été plombées par ces saletés de synthétiseurs Yamaha). Ça c’était ma première impression, une impression qui a tellement perduré que je pensais l’affaire emballée et pesée.
Un bref retour sur ce disque dont la pochette évoque le détail d’une plaque de marbre en plastique dans la salle de bain de ta cagole préférée ou plus simplement un bout de moisi artistique à base fromage savoyard m’a presque fait changer d’avis : Oxbow est toujours le meilleur groupe du monde (et d’ailleurs) puisque les quatre petits gars arrivent à faire passer un certain sens de la tension et les qualités intrasèques de leur musique au travers de ces deux pauvres malheureux titres rachitiques et racornis comme la radio des poumons d’un fumeur en phase terminale de cancer, OK. Mais cela ne fait que me conforter dans l’idée qu’Oxbow est un groupe électrique et puis c’est tout.

mardi 9 décembre 2008

Oxbow en acoustique (part 1)























Mon incommensurable lâcheté n’a eu de cesse depuis cet été de me faire repousser l’écoute et la chronique des enregistrements acoustiques d’Oxbow. Pour l’écoute c’est fait, plusieurs fois et même plus que ça. Pour la chronique, étant donné que les américains ont multiplié les disques avec guitares qui font bling bling à la vitesse d’un prophète multipliant les verres de pinard pour une populace obscurantiste assoiffée par trop de misère et d’ennui, on fera ça en deux fois. Aujourd’hui : 12 Galaxies. Le LP Live At Supersonic et le single Lover Ungrateful ce sera pour la prochaine tournée.
12 Galaxies
est un live -portant le nom d’une salle à San Francisco parait il absolument pas faite pour y donner des concerts et où il a donc été enregistré- un live acoustique avec tout le monde sur le pont : Greg Davis à la batterie (mais pas trop fort), Dan Adams à la contrebasse, Niko Wenner à la guitare en bois et Eugene Robinson à la voix et (et quoi ? sur Gal ou Frankly Frank on l’entend distinctement taper sa cuisse comme il en a l’habitude mais pour un live acoustique, s’il est simplement resté en costard, peut être n’a-t-il tapé que dans ses mains, ce qui reste très difficile à imaginer). On rajoute Kyle Bruckmann au hautbois et on a le line-up complet.
12 Galaxies
fait partie d’un pack incluant également Fuck Fest, le premier album d’Oxbow, et constituant une édition limitée à 300 exemplaires pressés pour la tournée européenne du groupe au mois de juillet dernier. Tout le monde aime Oxbow mais personne ne se précipite sur leurs disques (j’ai encore vu celui-ci dans la liste d’un célèbre mail order parisien pas plus tard que la semaine dernière). Hydra Head a réalisé l’objet, non sans préciser que Fuck Fest sera à nouveau réédité plus tard (en LP et CD) avec des bonus (je me demande bien lesquels), c’est donc ce que l’on appelle du teasing, bravo les gars.
J’ai un excellent souvenir d’un passage de Love’ Holyday au défunt [kafé mysik] de Lyon, Love’s Holiday c’est le nom donné par Eugene Robinson et Niko Wenner à leur duo acoustique et pas uniquement le titre d’un hit disco d’Earth Wind And Fire. A cet occasion on avait même pu découvrir pour la première fois les images du documentaire Music For Adults (par contre pour la compréhension il avait fallu attendre son édition en DVD sous titrée, toujours chez Hydra Head). Durant tout le concert, outre le fait qu’Eugene Robinson était donc sapé comme à un mariage de riches et qu’il n’avait pas fait de strip, j’avais eu cette sensation grandissante et enivrante de découvrir enfin la trame essentielle, la substantifique moelle de la musique d’Oxbow -puisque Love’s Holiday ne joue que des chansons écrites par et pour la maison mère, si j’ai bien compris au départ ce projet était né de l’impossibilité pour la section rythmique d’Oxbow de partir en tournée avec le reste du groupe. A la fin, un ami -dont je tairai le nom pour ne pas lui faire honte- m’avait demandé si je connaissais les versions originales des titres joués par le duo, persuadé qu’il était d’avoir entendu des reprises de delta blues ou je ne sais quoi. Grossière Erreur.
12 Galaxies
n’a pas le côté aussi rude de cette performance du passé. La contrebasse, la batterie au balai et les instruments à vent donnent un faux air jazzy à la musique d’Oxbow et surtout laissent moins de place à Niko Wenner. C’est lui qui se trouve le plus dénudé par l’absence d’électricité et non pas Eugene Robinson qui se taille la part du lion et chante comme la bête en cage qu’il sait être mais sans en rajouter, ses feulements et ses couinements virant régulièrement à l’obsessionnel. Le groupe évite très bien les artifices de l’exercice acoustique (le côté écoute ma musique de salon et bois ton cocktail connard) mais c’est évident qu’Oxbow sans électricité n’est pas réellement Oxbow. Reste que les titres interprétés apparaissent -pour celles et ceux qui en douteraient encore- comme ce qu’ils sont vraiment : des chansons magnifiques et possédées.

lundi 8 décembre 2008

Monno / Ghosts























Je ne m’attendais pas à être déçu par Monno et le nouvel album du groupe, Ghosts. Une réalisation signée Conspiracy records et qui confirme malgré tout un certain retour en forme du label après le prenant Art Des Poussières de Maninkari (les disques de Kiss The Anus Of A Black Cat, celui de Jakob ou le split Envy/Jesu n’ayant pas très été de mon goût). Monno, groupe suisse émigré à Berlin, a été l’une des plus belles claques en concert de l’année 2006 et les deux premiers albums -trois si l’on compte un CDr autoproduit en 2004- mélangeaient de façon assez inédite noise (dans le sens bruitiste), rythmes tribaux, indus paroxystique et metal en fusion. Le tout avec un sens du groove rappelant éventuellement le meilleur de Godflesh/God/Ice et alternant avec des grinderies impitoyables. Vraiment très très fort.
Pour Ghosts Monno a délibérément choisi l’option ralentissement à l’extrême et lourdeur angoissante. Ça sent presque le doom aux entournures avec des grosses vibrations maléfiques telles que les pratiques Sunn et consorts -pas le doom post sabbathien seventies. Une telle initiative pourrait apparaître plutôt déroutante venant d’un groupe qui cultive son petit jardin isolé sans se soucier de ce que font les autres mais je ne doute pas un seul instant de la sincérité d’une telle démarche : Monno est bien toujours le genre de groupe à ne faire que ce qu’il souhaite exactement, qu’il aille dans le sens du vent (qui souffle des Enfers) n’est après tout qu’une péripétie de la part d’une formation qui ne souhaite pas rester figée dans sa musique. Ceci dit, le doom version Monno est de loin l’un des plus originaux qu’il m’ait été donné d’entendre jusqu’ici, à la fois poisseux comme un ectoplasme vomi par une jeune vierge possédée et fraîchement exorcisée par un moine priapique et industriel comme une vieille aciérie lorraine abandonnée à la rouille.
Le premier titre, Negative Horizon, n’est a priori pas dans mes cordes, la faute à cette voix fantomatique qui prend toute la place au début puis cède le pas à une rythmique ultra répétitive qui se meut en exercice de style swanesque sur les cinq dernières minutes, cinq minutes qui donnent enfin du sens à tout ce qui s’est passé juste avant. Troye a un groove imparable, ondulant et méchant, le groove de Godflesh dont Monno sait emprunter les lignes de basses sismiques lorsque il le faut. Une voix caverneuse façon alien en rut vient compléter le tableau. Mérule a un peu les mêmes caractéristiques sauf que le groove y est encore plus démentiel et que le saxophone s’entend en tant que tel (très souvent Antoine Chessex l’utilise de deux façons opposées : ultra saturé au travers d’amplis guitare ou comme générateur d’infrabasses), on pense largement à Ice (celui du premier album sur Pathological) et God, les deux hydres crées par Kevin Martin dans les années 90. Monstrueux. On se lève du fauteuil et on change la face de ce LP bien lourd.
Hull est la première speederie du disque, le batteur accelère au delà de l’insoutenable et tout le monde le suit dans ce tourbillon grind as fuck. Les petits gars de Monno ont-t-il décidé de nous faire le coup d’une face lente et d’une face rapide, ce bon vieux gimmick qui rassemble les fans tout en les divisant ? Malheureusement non. Endfall a les mêmes défauts que toute la première partie de Negative Horizon c'est-à-dire que l’on doit se taper un doom industriel (un peu trop propre cette fois) qui joue la carte de la répétition comme seul argument. Un titre qui ne prend tout son ampleur qu’avec une écoute attentive au casque -ou alors très fort dans les enceintes pendant que madame et les enfants sont partis rendre visite aux beaux-parents- tant il fourmille de détails microscopiques d’arrière plan. La longue plage finale qui se veut angoissante est la pire des portes de sortie d’un disque moins direct et donc moins séduisant que ses prédécesseurs. Alors oui je suis (un peu) déçu mais franchement j’ai quand même connu largement pire comme déception. J’espère tout simplement que Ghosts est un disque qui se bonifiera avec le temps…

dimanche 7 décembre 2008

Je vais me soigner et je reviens tout de suite


OK, j’étais intrigué d’entendre Kan Mikami mais ce qui m’a le plus motivé pour me traîner jusqu’au Sonic en ce jeudi soir c’était d’avoir des nouvelles fraîches et de vive voix. Et finalement on a plutôt parlé d’autre chose que de ce cambriolage de merde qui en aurait mis sur la paille et découragé plus d’un. Pour l’instant l’équipe du Sonic continue -avec du matériel prêté- et il y aura très certainement un double concert de soutient à la salle au mois de janvier, un premier soir rock’n’roll, sang et sperme avec la crème des groupes lyonnais (et en ce moment j’ai plutôt tendance à trouver qu’il y a un paquet de très bons groupes sur Lyon et alentours…) et un second electro avec de la bonne grosse pointure locale.
Ce soir se sera folk. Ou blues. Avec de la country. Non je ne plaisante pas. Jamais plus d’une guitare et d’un micro sur la scène. Le rêve pour tout technicien son qui du coup n’a rien à faire ou pas grand-chose pour les changements de plateaux. Un concert pépère pour tout le monde, c’est exactement ce qu’il me fallait, la péniche tangue sous les effets du vent d’automne et je tangue aussi, fatigué et complètement paumé.


















C’est assis que j’écoute le premier groupe. J’ai déjà vu The North Bay Moustache League il y a à peine trois mois en première partie d'Enablers et la recette du duo n’a pas changé depuis. Les deux anges blonds ne portent toujours pas la moustache et ils sont toujours aussi beaux et classe. Le garçon chante et joue de la guitare. La fille chante aussi, joue de l’harmonica et d’un instrument indéterminé. Les deux harmonisent admirablement bien ensemble. Le répertoire de The North Bay Moustache League est composé de chansons country folk dont il m’est définitivement impossible de différencier les reprises des titres originaux (s’il y en a), cela me va très bien.
J’assiste au concert dans un état second, bercé à la fois par les roulis du bateau et par les titres lents que joue le duo, c’est le guitariste qui insiste plusieurs fois de suite pour interpréter ces ballades remplies de nostalgie fanée et de désuétude charmante. La jeune chanteuse me parait nettement moins à l’aise que la première fois (son camarade aussi d’ailleurs, comme s’il se trouvait un peu trop mis à nu sans les étincelles électriques de son autre groupe, le très noisy Deborah Kant) mais cela fonctionne à plein avec moi, je suis toujours assis comme un vieux chien de hippie opiomane et je me remplis les oreilles des harmonies vocales de ces deux là, deux voix célestes aériennes.



















Michel Henritzi joue en second. Le guitariste a un pedigree dans les sphères des musiques improvisées aussi gros que mon ego est surdimensionné, il est bien connu pour mettre le bordel avec son groupe Dust Breeders, collabore régulièrement à Revue & Corrigée, a du jouer une année sur deux au festival Musique Action du C.C.A.M de Vandoeuvre (RIP…) tout comme il était un abonné assidu à nombre d’évènements européens du genre. Par la même occasion j’apprends la disparition d’autres festivals français de musiques improvisées/innovatrices dont celui organisé tout les ans à St Etienne par Bruno Meiller et l’association Toto N’Aime Pas La Soupe. Sale temps pour la culture subventionnée (et ce n’est que le début) surtout lorsque celle-ci touche un public jugé élitiste et trop restreint par les pouvoirs publics -quand je pense au Sonic, pauvre petite salle lyonnaise de merde, qui se permet de gueuler parce que ne touchant pas un kopek cette année (contrairement aux promesses faites avant les élections municipales, haha)…
Mais revenons à Michel Henritzi. Si tu aimes le Boxhead Ensemble et Dutch Harbor, si tu aimes les gratouillis de Loren Mazzacane Connors un soir de pluie (dans le meilleur des cas) ou Ry Cooder -la bof de Paris, Texas- et bien cette longue improvisation maniérée et ennuyeuse était faite pour toi. Henritzi joue de sa guitare dans le noir, juste éclairé par les images projetées sur un écran. Des images de ses vacances au Japon par exemple (le bonhomme est nipponphile) ou un profil de vache, puis de cheval ou alors un chat siestant derrière une porte vitrée. Beaucoup de personnes se sont assises, moi je suis au contraire resté debout, plutôt atterré (remarque la contradiction soulevée par cette attitude inconfortable) par tant de vide et de prétention. Les dix dernières secondes virent au suicide noisy pour bien signaler que le concert est fini et cette façon de faire est terriblement frustrante : Michel j’aurais nettement préféré que tu nous fasses du barouf à la con pendant une demi heure plutôt que tu te prennes pour un paysagiste d’ascenseur et une machine à divertir les bobos sans imagination.
























La surprise et la curiosité de la soirée c’est donc Kan Mikamo. Le chanteur/guitariste est surtout connu pour sa participation à Vajra, groupe dans lequel on retrouve également l’icône maléfique Keiji Haino. Ce groupe a publié une tripotée d’album sur P.S.F. records, label dont Mikano porte un magnifique t-shirt ce qui fait saliver d’envie tous les hipsters présents ce soir au Sonic. Le bonhomme joue sur une Gretsch et chante en montant bizarrement dans le haut des médiums sans jamais réellement atteindre les aigus et ce avec un certain lyrisme.
Jamais je ne me suis senti aussi désemparé face à la barrière de la langue (je ne parle pas un mot de japonais, c’est con). Réflexe complètement stupide de ma part je l’avoue, puisque je ne comprends pas non plus la moitié des trois quarts des paroles chantées par les groupes anglo-saxons et même français anglophiles que je vais voir en concert -j’avais moins de problèmes lorsque j’étais jeune et que j’allais voir Condense. Une fois ce moment de turpitude passé, une fois que mon oreille s’est laissée apprivoisée par les sonorités de la langue japonaise, j’ai pu me concentrer sur ce que j’entendais et ce que je voyais. La musique du japonais ne paie pas de mine. Le chant est lyrique et alterne systématiquement avec des gutturalités pleines de trémolos -entre ça et le son trop clair de la Gretsch, j’avais l’impression d’avoir devant moi une version samouraï du chanteur des Gipsy Kings en solo.
Impression bien trompeuse, tant l’art de Kan Mikami dépasse rapidement tout ce que l’on peut connaître ou prétendre connaître sur le couple chant/guitare (appelez ça comme vous voulez -folk, blues- on s’en fout). Le guitariste esquisse de drôles de pas de danse sur les parties purement instrumentales de sa musique et s’anime lorsqu’il chante, à tel point qu’il me fait à nouveau regretter de ne pas parler japonais mais cette fois ci pour de meilleures raisons : j’imagine même lors d'un moment à la scénographie assez burlesque que ce qu’il raconte doit être du plus haut comique.
Par je ne sais quel miracle, la musique du japonais grimpe rapidement les échelons de la fascination pour l’étrangeté avant de devenir captivante pour ce qu’elle est dans son essence même : une complainte lancinante serpentant insidieusement, un râle déchirant (Kamikami se met à pousser des cris comme jusqu’ici coincés dans sa gorge et enfin libérés non sans une certaine souffrance), une beauté inévitable, un rituel éclatant de simplicité et une vérité criante à laquelle je ne comprends rien mais à laquelle je ne peux qu’adhérer pleinement. Je reste un peu pantois devant autant de charge émotive dispensée par ce petit bonhomme d’allure si modeste qui remercie en s’inclinant entre chaque titre alors qu’il met le public à genoux. Comme si pour une fois j’avais réussi à grimper au sommet de l’arbre le plus haut de la forêt -et voilà maintenant que je me mets à faire des métaphores dignes d’un vieux bab à poils longs, je vais décidément bien mal.