mardi 23 décembre 2008

Enablers / Tundra























2008 aura vu la parution du troisième album d’Enablers, Tundra, un album dans l’exacte lignée de ses deux prédécesseurs sur Neurot records. Deux labels se sont partagés le boulot, Majic Wallet de Los Angeles pour la version CD et le britannique Lancashire And Somerset pour la magnifique version LP (ce même label avait déjà publié un joli single partagé entre Enablers et Red Panda). Le bon goût absolu et la recherche perpétuelle de plaisirs d’esthète m’ont imparablement conduit à faire l’acquisition du vinyl. Jugez plutôt : un tirage limité à 400 exemplaires numérotés et une pochette en carton épais qui se referme à l’aide de deux attaches parisiennes dorées, exactement comme pour le célèbre maxi de June Of 44, The Anathomy Of Sharks. Une éternité que je n’ai pas réécouté ce groupe, June Of 44, groupe dont le souvenir reste agréable malgré une fin de carrière en eau de boudin (difficile à admettre pour une formation qui a longtemps joué sur l’esthétique maritime). S’il fallait trouver un autre point commun entre Enablers et June Of 44 ce serait Joe Goldring puisque dans le passé celui-ci s’est fourvoyé avec Doug Sharin -batteur de plein de groupes dont June Of 44- dans Out Of Worship (un album sur Sub Rosa et un autre sur Perishable records sous le nom de Out In Worship, à éviter). Et Joe Goldring est un sacré guitariste, un fin dentellier, très discret sur scène -surtout en comparaison avec l’autre guitariste d’Enablers, Kevin Thompson- et surtout un type capable de vous sortir des plans de guitare à pleurer, juste à la frontière de ce qu’était le rock noisy et de ce qui n’était pas encore du post rock c'est-à-dire exactement sur le terrain de chasse jadis fréquenté par June Of 44. La réussite musicale exemplaire d’Enablers c’est que Thompson le rend bien à Goldring : ces deux là sont symbiotiques, à la fois différents et complémentaires, une sacrée paire. On parachève le tout avec un batteur qui ne fait aucun effort pour se retenir (il n’y a rien de plus pénible que ces enclumeurs qui prennent un air inspiré dès qu’ils sortent les balais alors que l’on se doute pertinemment qu’ils continuent de compter les mesures -Joe Byrnes n’est vraiment pas de ceux là).
Reste le cas de Pete Simonelli, poète, écrivain, parolier (on est en droit d’hésiter un peu, pour le situer vaguement disons qu’il se déclare ouvertement influencé par la beat generation) mais surtout performer. Lorsque on ouvre la délicate enveloppe qui contient la lyrics sheet de Tundra c’est le mystère total de l’incompréhension. Il ne faut pas compter sur moi pour faire le traducteur et même un anglophile chevronné aurait du mal. Par contre lorsque on écoute Simonelli déclamer ses mots on est immédiatement captivé, la force de l’interprétation comme dirait l’autre ou quelque chose d’approchant (et il faut le voir en concert). Le genre de phénomène incontrôlable qui prend même lorsque on écoute Bob Dylan ânonner avec une patate dans la bouche -je parle du Dylan encore motard stellaire, bien avant qu’il ne se convertisse au christianisme- c’est de la magie pure qui nous coule entre les oreilles et les quelques phrases, parfois juste quelques mots, qui nous parviennent en entier sont là pour nous perdre autant que pour nous émerveiller. Sauf que contrairement au Zim Simonelli a un timbre de voix (grave) et un phrasé à se damner, il pourrait réciter des recettes de cuisines (ce que Dylan fait d’ailleurs depuis quelques années) que mes synapses palpiteraient de façon identiquement compulsive.
Si on veut résumer simplement ce bien trop court Tundra, disons qu’il reprend les ingrédients déjà utilisé sur End Note et Output Negative Space. Des jazzeries minimalistes tel le très bel et introductif A Blues jusqu’à l’énervé Tundra en passant par une version raccourcie de l’excellent The Achievement et un final d’exception avec une reprise du Four Women de Nina Simone -pour le plaisir : une version longue enregistrée à Jazz à Antibes et une version courte et studio (tronquée) avec craquement du vinyl d’origine- un blues là aussi, majestueux et profond. Avec Tundra Enablers confirme sa place unique dans le paysage musical -qui est capable comme ces quatre mecs de lâcher, tel un flux électrique et poétique, une invitation à l’apesanteur et un mystère de mots qui nous touchent autant ? Je ne vois personne.