samedi 31 octobre 2009

High Voltage
























Les temps sont durs, c’est la crise économique, bientôt la guerre civile et on va tous crever de faim ou dans d’atroces souffrances. Depuis la rentrée de septembre les gens du Sonic font imprimer des tracts communs pour plusieurs concerts. Comme celui-ci, là, juste au dessus, une sorte de mini programme pour la semaine écoulée. C’est sans doute pour faire des économies. Du moment qu’ils ne mettent pas de la flotte pour couper la bière et que la vodka reste fraîche.
Dans cette liste de trois concerts, je n’ai assisté qu’au dernier, obnubilé par la venue d’Electric Electric et après écoutes répétées et intensives de Sad Cities Handclappers - pour l’instant unique album de ce trio de Strasbourg mais quel album ! Pour les curieux et même pour les autres un camarade d’internet a lui assisté aux deux premières soirées, il raconte ici toute sa déception et son amertume à propos du concert de Swell (ou de Be My Weapon, je ne sais vraiment plus comment il faut désormais appeler ce groupe) et il me ferait presque regretter de ne pas m’être déplacé pour celui de Crocodiles - ça se lit .
Mais maintenant nous sommes le jeudi 29 octobre. J’ai rendez-vous avec un ami qui ne viendra pas, pourtant je croyais bien l’avoir convaincu que la noise disco d’Electric Electric pouvait lui permettre de perdre quelques kilos superflus et j’étais trop désireux d’avoir un solide compagnon de houblonerie pour toute la soirée (le gars en question a une solide réputation, non usurpée). 























Comme d’habitude j’arrive à l’heure indiquée c'est-à-dire en avance et comme d’habitude j’écarquille les yeux parce qu’il n’y a qu’une vingtaine de personnes dans la salle lorsque le premier groupe commence à jouer. J’espère que tout le monde ne va pas avoir le même comportement que mon lâcheur de la soirée et que le Sonic va un peu se remplir.
En fait de premier groupe, il s’agît d’un one man band. Hyacinth Days c’est le nom que s’est choisi un garçon que je croise assez souvent à des concerts, de préférence des concerts avec des guitares qui font mal ou qui assassinent. Il joue de la basse assis, c’est peut être un détail pour vous, devant lui se trouve une petite table sur laquelle est posé un laptop dont il se sert pour envoyer des boucles rythmiques hyper basiques. Il dispose également d’un micro dont il ne se servira que trop peu à mon goût. Son installation est d’un cheap et d’un lo-fi qui font plaisir. Il démarre ses rythmes et les arrête tout aussi brutalement avec une souris, à la punk.
Musicalement, notre garçon joue très technique, expert du point de croix à l’envers, à l’endroit voire même les deux en même temps. Il a surtout un sens mélodique évident et un magnifique son de basse. L’impression de regarder ton meilleur pote en train de jouer pour toi tout seul dans ta chambre s’estompe très rapidement ou alors ton meilleur ami s’appelle Peter Hook et joue comme Pat Morris en pensant à Martin Rev. Vraiment une bonne surprise, avec donc cette réserve qu’un peu plus de chant aurait été le bienvenu pour varier les plaisirs. Et puis l’avant dernier titre joué était tout simplement énorme.























Hyacinth Days ne figurait pas sur le flyer du concert. Par contre Keiko Tsuda oui. On ne présente plus ce duo de rock noise et mathématique mâtiné de schmurtz synthétiques. Les deux premiers enregistrements du groupe sont toujours disponibles sur le site - un et deux - et depuis peu Keiko Tsuda propose également sur son monospace un enregistrement en concert effectué au Clacson. Enjoy.
J’ai toujours été convaincu par les prestations dynamiques et rafraîchissantes du groupe : batteur octopussien, utilisation intelligente des boucles, guitariste plein d’idées, bonne complémentarité entre les deux musiciens (ces deux là quand ils étaient gosses devaient être trop forts dans les cours de récréation à je te tiens par la barbichette) et compositions gorgées d’accroches saisissantes.
Ce soir Keiko Tsuda semble avoir enclenché la vitesse supérieure question énergie et rentre-dedans. Pas de temps morts, des enchaînements haletants, des parties catchy, des breaks impossibles, des cavalcades rythmiques à vous luxer les cervicales. Le batteur qui n’était pourtant pas un feignant en rajoute question force de frappe et exubérance d’enclume. Le guitariste semble également moins se reposer sur ses machines à boucles, gratouille sa guitare plus volontiers et je note un certain durcissement général du son. La musique de Keiko Tsuda que l’on pouvait trouver trop policée et trop pensée - en tout cas sur les enregistrements - a gagné quelques galons supplémentaires dans la catégorie topset et remonté d’organes. Fin du concert et entre temps le Sonic s’est rempli : c’est presque une centaine de personnes qui applaudissent à la fin de la prestation du duo.























Les trois Electric Electric ont installé un bordel pas croyable sur la scène. Trois synthétiseurs, une guitare, une basse, les amplis qui vont avec, des percussions additionnelles et - trônant au beau milieu - la batterie. Encore un groupe qui se prend pour Shellac avec un batteur qui se prend pour Todd Trainer ? Chez ce trio de strasbourgeois la rythmique est effectivement reine, pute juste ce qu’il faut, avec un groove irrésistible (difficile de ne pas danser ou, si on ne sait pas danser comme moi, de ne pas se trémousser stupidement et frénétiquement). Donc un groove allié à une puissance pas loin de faire mal aux oreilles.
Et ce batteur est non seulement doté d’une frappe monstrueuse mais il est également d’une endurance surprenante. Il ne tardera pas à ruisseler de sueur mais gardera toujours ce sourire mi amusé mi surpris de la personne qui a trouvé la bonne formule pour faire danser filles et garçons. Sourire qu’il partage avec son camarade guitariste. Le tout sera à l’avenir de ne pas abuser de cette formule. En attendant les groupes écossais nostalgiques du deuxième reich peuvent aller se rhabiller ou aller s’immoler sur la grande place de Sarajevo en chantant La Dynamite de Martenot. 


















Reconnaissons toutefois que dans la musique d’Electric Electric il n’y a guère de finesses mélodiques, que les titres suivent tous le même schéma et la même tendance, celle, frénétique et turbinée, imposée par une batterie qui jamais ne lâchera l’affaire et que donc faire du beau et du gracieux n’est guère le propos d’un groupe qui a décidé que sur scène rien ne pouvait décidément l’arrêter.
Ainsi lorsque le guitariste pète une corde (la deuxième en partant du bas, le si), il décide de ne pas la changer et de réaccorder autrement sa guitare pour pouvoir poursuivre le concert immédiatement. Immédiatement cela signifie que le set d’Electric Electric n’est qu’une suite de hits qui se télescopent, tous plus affolant les uns que les autres. Des hits il y en avait déjà plein sur Sad Cities Handclappers - comme ce terrible Hydraviolet que le groupe a joué en début de set - mais sur scène l’intégralité de l’album se transforme en grosse machine à danser et à broyer les hésitations, même un titre plutôt bruitiste tel que Electric Electric! est imparable, la faute à cette maudite batterie (je me répète), tenace et explosive. Le concert se termine sur un plan tribal avec les trois membres du groupe qui martèlent en rythme et malgré toute l’insistance d’un public très remonté Electric Electric ne jouera pas de rappel - cette fois ci le batteur semble quand même être au bout du rouleau et il est temps pour moi de remplacer (avantageusement) mon partenaire de crime qui ce soir m’a fait honteusement défaut. Les absents ont vraiment eu tort… à la tienne, mec.

vendredi 30 octobre 2009

Soirée doom et végétarisme / les oreilles en chou-fleur























En attendant que le compte-rendu sur le concert d’Electric Electric et de Keiko Tsuda hier au soir au Sonic sorte tout seul on peut d’ores et déjà en remettre une couche mais cette fois ci dans l’anti festif et le sacrifice de biquettes noires avec les maîtres bayonnais et incontestés du mega doom mondial, j’ai nommé les insurpassables Monarch!.
Pour chauffer la salle du Grrrnd Gerland toujours un peu frisquette à cette saison et pour échauffer les esprits, c’est Carne qui servira de hors d’œuvre, pour amateurs de végétaux et de sludge uniquement. Enfin, afin de s’assurer que tout le monde ressortira complètement sourd de là, Gallagher assurera l’intermède. Une soirée proposée par l’amicale des gens qui n’ont plus rien à perdre (et surtout pas l’audition).

jeudi 29 octobre 2009

Lightning Bolt / Earthly Delights























Earthly Delights c’est le nom du cinquième album de Lightning Bolt. C’est aussi une référence involontaire (?) au triptyque Le Jardin Des Délices Terrestres - The Garden of Earthly Delights pour les incultes anglophobes - de Jérôme Bosch et en y regardant d'un peu plus près, on constate qu’il y a bien de ça dans la musique de Lightning Bolt : luxuriance et profusion, foisonnement des lignes, saturation des couleurs, cris de jouissance infantiles, créatures hybrides qui s’enculent, saute-mouton sacrilège et le trip courons tout nus dans la nature et jouons au train avant qu’il ne nous rattrape. L’illustration de la pochette - définitivement hippie et régressive - de Earthly Delights va dans le même sens : partouze chromatique avec moult fleurs et papillons, un artwork signé par le petit Brian Chippendale (le batteur du groupe) qui vient tout juste de rentrer au CE2.
Reste que Earthly Delights est un disque parfaitement inutile. A peine moins bon que ces prédécesseurs, également publiés par Load records. Mais, pour qui a déjà vu et revu Lightning Bolt en concert - cette configuration en arène punk au pays des monstres gentils, le bassiste qui de bouge pas d’un poil (sauf des doigts, semblables à de grosses araignées agiles) et au contraire le batteur/hurleur qui en fait des tonnes question show animalier - écouter un enregistrement studio du plus célèbre duo de Providence tient de l’anecdotique et du routinier : on vérifie ainsi que la formule musicale n’a pas trop changé, que ces deux là ont l’air aussi tarés que ce qu’ils veulent nous faire croire, que l’on a toujours droit à notre dose de groove trisomique et de mélodies smarties.
Et c’est bien le cas. Earthly Delights est un vrai album de Lightning Bolt, ne lui manque que deux ou trois hits - car mis à part le deuxième titre, Nation Of Boar, question accroche cœur c’est plus que le désert - pour se hisser au même niveau qu’un Wonderful Rainbow ou qu’un Ride The Sky. Le son est toujours aussi approximatif (il y a même plusieurs sessions d’enregistrement dont une, celle de The Sublime Freak, qui craint du boudin) et comme tous les autres albums de Lightning Bolt Earthly Delights souffre de trop de longueur. Lorsque un titre démarre bien, il finit inévitablement par se dégonfler, l’énergie du groupe sur scène n’est par là (et pour cause !) pour redynamiser tout ça, pour séparer le merdier et relancer un intérêt qui va diminuant.
Voilà où on en est en 2009, voilà où en est Lightning Bolt, groupe excitant en concert malgré tout le cirque perpétré autour par des cohortes de fans idiots et fanatiques. Sortir un disque aussi obsolète et inintéressant alors que les supports phonographiques ne se vendent plus mais qu’au contraire les mp3 volent toujours plus bas, au ras des pâquerettes, est le véritable culot et l’exploit indéniable de Earthly Delight. Pour fan uniquement et ça tombe bien, j’en suis un.

mercredi 28 octobre 2009

Krallice / self titled





















Il va falloir que je me dépêche un peu : voilà plus d’un an que cet album a été publié et déjà Profound Lore annonce son successeur sous le nom de Dimensional Bleedthrought pour le 10 novembre prochain. En bon suiveur de toutes les modes et de toutes les hypes, je n’ai en effet pas pu m’empêcher de jeter une oreille sur le premier album sans titre de Krallice, alléché par des commentaires étonnement élogieux venant de personnes de bon goût me vantant soudainement ce tout nouveau groupe de black metal. Comme je suis également très nettement influençable je peux même dire que j’ai couru, sûrement la peur de rater éventuellement quelque chose d’important et de primordial. Cette chose est donc un groupe composé entre autres d’un membre de Dysrhythmia (dont j’ai un jour décidé qu’il était parfaitement inécoutable) et surtout de Mick Barr - de Orthrelm et de beaucoup d’autres trucs encore, un éternel complice de ce gros cinglé de Weasel Walter et un type capable du meilleur comme d’imiter à la perfection et avec une guitare la mélodie d’une scie sauteuse attaquant la boîte crânienne et les fondamentaux politiques d’un idéologue néolibéral sectaire mais capable également du pire comme de se prendre pour Eddie Van Halen en pleine éruption d’acné guitaristique. A côté le trip équarisseur de tympans de Steve Mattos d’Athletic Automaton c’est de la roupie de sansonnet voire même de la galéjade de sudistes.
Krallice et Profound Lore (également label des excellents Cobalt), les deux font la paire suis-je également tenté de dire, pour en finir définitivement ou presque avec le chapitre de ce qui est hype et de ce qui ne l’est pas. En matière de black metal, si on excepte la fascination morbide exercée par quelques connards norvégiens, on ne peut pas dire qu’il y ait grand-chose de drôle à se mettre sous la dent - et dans la cervelle, fût ce t-elle assaisonnée à la chevrotine - mis à part l’invention du nom black metal par un groupe qui n'avait rien à voir avec l'histoire qui a suivi (Venom) et dont l’apparat et la théâtralité me faisaient mourir de rire lorsque j’étais collégien, les chansons Countess Bathory ou Warhead restant elles d’excellents souvenirs.
Le black pratiqué par Krallice est épique et ultra mélodique mais totalement influencé par les norvégiens si dessus mentionnés : le son de cet album est brut et cru, les rythmes sont effrénés, on est du côté des meilleurs Darkthrone et surtout des meilleurs Emperor (pour ma part l’époque entre Wrath Of The Tyrant et In the Nightside Eclipse), ni plus ni moins. La rugosité de la production n’empêche cependant pas deux immenses qualités : la batterie sonne merveilleusement organique (à mille lieues de l’option boite à rythmes trop prévisible d’un Marduk) et on entend parfaitement la basse, au son puissant presque hardcore, jouée à l’enregistrement par Mick Barr ou Colin Marston, le groupe a depuis engagé un bassiste pour ses concerts. Pour le reste, c’est du black metal avec son lot d’arpèges grandiloquents soutenus par des riffs flirtant avec le monstrueux, ses vocaux possédés et ses structures à tiroirs - le black metalleux emploie forcément le terme de épique, il ne saurait ici être question de progressif. Pointent à divers endroits quelques stridences ébouriffantes - du pur Mick Barr donc, et en très grande forme qui plus est - et des mélodies plus tordues et moins niaises que la moyenne constellent un album surpuissamment évocateur (je veux dire des mélodies pas délicieusement niaises comme chez Wolves In The Throne Room). C’est même la qualité numéro un du disque : un songwriting de haute volée qui vous arrache des frissons de jouissance - putain de montées maléfiques ! - et lorsque une telle qualité est alliée à une violence d’exécution parfaite et une noirceur quasiment intégrale on ne peut qu’en chialer dans son hydromel. Tout simplement énorme et plus que quelques petites semaines avant la parution du deuxième album.

lundi 26 octobre 2009

Last Action Zëro *























Des concerts comme ça j’en veux bien toutes les semaines. Je veux dire des concerts avec une programmation variée et intelligente qui ne donne pas l’impression qu’on se fout de votre gueule - pas en plaçant un groupe saturé et psychotique à la fin d’une soirée consacrée à du hip-hop poppy de blanc-becs neurasthéniques en converses.
Comme d’habitude j’arrive à l’heure indiquée sur le flyer, ça fait plus de vingt ans que je n’ai pas encore compris qu’un concert ne commence jamais à l’heure et je me retrouve tout seul comme un con devant la porte fermée du Clacson, ce qui me laisse allègrement le temps de refroidir et de fumer un demi paquet de cigarettes. C’est que pour arriver en vélo* jusqu’à Oullins la route est un peu longue et en pente et est surtout semée d’embûches (comme les éboulis le long du quai de Saône - certains prétendent même qu’il n’y a pas que les infiltrations d’eau qui sont responsables de ces glissements de terrain mais que les infrabasses des éditions passées des Nuits Sonores à la Sucrière y sont aussi pour quelque chose).
A l’entrée de la salle on me demande si je veux bien prendre la carte de membre : son prix est équivalent à celui du concert de ce soir et donne droit à une place gratuite pour le jour même et à des réductions pour les concerts à venir - pourquoi pas ? je ne fous pas souvent les pieds au Clacson (une fois par an ?) mais quand même. Me voilà donc encarté, camarade.

















Ils ne sont plus très jeunes mais ils sont toujours aussi beaux, surtout le guitariste. Les Rubiks démarrent donc la soirée, je me demande bien pourquoi je m’étais mis dans la tête que mon trio topaloffien préféré jouerait en milieu de programme. Mais il y a une certaine logique dans tout ça : on commence par la déconnade et après seulement on pourra écouter de la musique sérieuse, pensée et réfléchie.
Sed Radix (basse et chant), Nico Poisson (guitare-hero et chant) et André Duracell (batterie et grimaces de Droopy) aiment bien qu’on les prenne pour des imbéciles mais - à défaut de bosser comme des brutes ou comme des hard rockers - il faut être sacrément intelligent pour avoir l’air idiot à ce point là. Le trio joue quelques extraits de son seul et unique album Universal Satisfaction publié cette année par Rejuvenation et compagnie mais également quelques inédits tel ce Iron Pavement dont ils nous disent qu’il aurait aussi bien pu s’appeler Pavement Iron mais que cela n’aurait rien voulu dire du tout… Iron Pavement comme son nom l’indique c’est une première partie en forme de pop mollassonne à la façon de l’ex futur ex bande de Stephen Malkmus puis une accélération avec breaks qui en foutent de partout : Duracell se prend pour Clive Burr tandis que les deux autres te massacrent à la punk une jolie collection de riffs maideniens.
Autre temps fort, c’est lorsque The Rubiks se lancent dans Manhattan, long titre qui occupe toute la première face de leur LP. On ferme les yeux sur le bassiste qui arrive les doigts dans le nez à péter une corde (faut le faire quand même, non ? quel loser) pour se concentrer sur les quelques moments de bravoure d’une composition fleuve et dont je ne me lasse pas : la guitare en tapping sur fond de rythmique disco fuck, les breaks sabbathiens et les postures héroïques qui voient guitariste et bassiste se prendre pour Buck Dharma et Eric Bloom. Ils s’aiment, ils se sourient, ils s’embrassent.
Moi aussi je souris, bêtement, comme un vieux schnarkbull amoureux de post modernisme et de musique festive - je suis définitivement fan du pot-pourri punk pop disco metal des Rubiks, j’ai comme un retour d’acide alterno.






















Ils sont trois également et ils jouent une musique magnifique qui n’a pas d’âge. Il faut être particulièrement ronchon et/ou ne pas aimer le Gun Club et autres psychoteries des marais pour rester insensible à la musique de The Good Damn. Par rapport aux concerts précédents, on remarque que le guitariste de gauche n’a plus de micro mais que par contre il possède désormais une jolie petite collection de guitares, ne se contentant plus de sa seule Hofner rouge. Le batteur a également perdu son Farfisa.
La musique de The Good Damn s’est donc resserrée, est devenue un tantinet plus nerveuse. Le groupe joue plein de titres que je n’ai encore jamais entendus en concert (ou alors je ne m’en souviens pas…) et si on peut regretter la perte du côté romantique et ténébreux, le groupe y gagne en densité, en maîtrise instrumentale, variant donc ses sons de guitares, alternant rythmes et ambiances - dont un magnifique blues épaissi au goudron et au booze comme là bas dit. Quelques rares soli mais surtout des harmoniques à vous couper le souffle. Le batteur a toujours ce sourire incroyable de plaisir lorsqu’il joue et les deux guitaristes semblent eux de plus en plus à l’aise sur scène, à jouer une musique somme toute sophistiquée et exigeante bien que s’appréciant directement à l’instinct.
Sur les deux derniers titres The Good Damn renoue avec un certain lyrisme sans rien perdre de son énergie et offre à un public médusé un final en forme de crescendo noisy et de monté chaotique. Ce groupe a déjà une grande classe mais je suis sur qu’ils peuvent faire mieux encore. Et au fait : il en est où cet album dont j’avais entendu parler ? Il serait définitivement prévu pour cette fin d’année et en complète autoproduction - donc je l’attends de pied ferme les gars. 



















Il a l’air toujours aussi jeune : Eric Aldea et Zëro sont de retour sur Lyon après quelques dates en compagnie de Marvin (groupe de bal populaire talentueux originaire de Montpellier) en Suisse et ailleurs. Ce soir ils ont l’intention de jouer les titres de leur nouvel album Diesel Dead Machine à paraître en début d’année prochaine - le 25 janvier 2010 nous dit le flyer officiel édité par Ici d’Ailleurs, les lyonnais semblent s’être réconciliés avec le label nancéen qui annonce même une parution en vinyle. On reparlera en temps et en heure, et forcément en bien, de ce Diesel Dead Machine qui va encore en énerver quelques uns. Mais il faudrait peut être arriver à comprendre que Deity Guns et Bästard c’est de l’histoire ancienne. Je les entends déjà les petits malins qui vont affirmer qu’avec un passé pareil c’est difficile de faire abstraction et de considérer qu’il faut repartir à zéro (haha). D’accord, on ne peut pas nier qu’il y a un certain lien de parenté - ce n’est pas pour rien si Zëro rejoue encore et toujours Rock’n’Roll Star en concert - mais voilà, avant/après qu’importe puisque c’est juste différent. Les mêmes (ou presque) mais autrement.
Franck Laurino et Eric Aldea en ont sûrement marre qu’on leur parle toujours de leurs anciens groupes au lieu d’évoquer leur présent et Zëro mais il n’empêche : c’est dans cette même salle du Clacson (sauf qu’à l’époque cela s’appelait Musiques A L’Ouest, une appellation tout aussi pourrie) qu’il y a une vingtaine d’année j’ai du voir les Deity Guns en concert pour la première fois - et si mes souvenirs sont bons ils jouaient en première partie de Treponem Pal, un concert à vous faire arrêter d’écouter du metal pour au moins quinze jours. Je verse une larme d’ancien combattant et je noie mon émotion en descendant en moins de deux la bière que l’on vient gentiment de m’offrir.



















Après l’instrumental introductif d’usage (le bien nommé The Opening), Zëro attaque très fort avec Dreamland Circus Side Show, un extrait du EP Bobby Fischer et qui figurera également sur l’album à venir. Un petit détour par Cars, Buses, etc…, l’un de mes titres préférés du premier album, et Zëro effectivement étale ses nouveaux titres avec au milieu Pigeon Jelly, un titre que le groupe joue depuis longtemps maintenant et qui ne cesse d’évoluer - c’est sans doute pour cette raison que je commence à réellement apprécier une composition avec laquelle j’ai toujours eu un peu de mal. Ce soir, je suis définitivement conquis par ce titre court et incisif dont Zëro donne une interprétation nerveuse et très convaincante.
Par contre je regrette que le son se dégrade quelque peu au moment de Cheeeeese, un titre instrumental du prochain album et dominé par les synthétiseurs, une composition drôle et délicieusement kitsch, sous forte influence Sea And Cake, un de mes nouveaux titres préférés. Dommage car cette fantaisie délicate et richement élaborée aurait méritée un meilleur traitement en concert. La première partie du set se termine avec le désormais incontournable The Cage.
























Pseudo interruption et pseudo rappel, en jetant un coup d’œil sur la playlist on peut s’apercevoir que le groupe a encore prévu de jouer quatre titres. Le premier n’est autre que le Rock’n’Roll Star déjà mentionné, un survivant de l’époque Bästard dont Zëro ne donne pas ce soir la meilleure version qu’il m’ait été donnée d’entendre jusqu’ici. Suit directement un Drag Queen Blues désaxé et pelvien en diable, titre sur lequel Elvis Aldea s’en donne à cœur joie : les soutient gorges volent et les filles s’évanouissent. Logiquement, Zëro enchaîne avec Jocko Homo, l’hymne mongoloïde à la gloire de la devolution composé par les frères Mothersbaugh et hymne non officiel des jeux para olympiques.
Voilà, c’est presque terminé, il n’y aura pas de Bobby Fischer ou de Go Stereo au programme. A la place Eric Aldea annonce un titre que nous ne sommes pas censé reprendre avant d’ajouter vous nous direz ce que vous en pensez. Et Zëro de se lancer dans un truc grandiloquent, presque progressif et avec de fortes tentations symphoniques sur fond de rythmique tribale et avec solo de guitare d’Ivan Chiossone (qui joue très bien, là n’est pas le problème) à hurler. La reprise en question c’est la bande originale de Conan Le Barbare (le type qui a composé ça, Basil
Poledouris, a également bossé pour Paul Verhoeven et John Waters, c’est dire s’il ratissait large) et plus particulièrement le titre introductif, Anvil Of Crom… Les gars, je vous aime bien, mais je ne pense pas que terminer votre concert sur une horreur pareille était une très bonne idée. Conan Le Barbare et Schwarzenegger c’est peut être de votre âge (et du mien) mais ce n’est pas une raison… Bon, allez : mise à part cette incartade, on peut dire que Zëro n’est toujours pas près de nous décevoir.

* un titre que n’aurait pas renié The Rubiks
** mais nous repartirons en voiture, moi et mon vélo, pris de pitié par l’heureux proprio d’un kangoo rouge alors que j’étais prêt à repartir dans l’autre sens pour recracher toutes les cigarettes fumées et les quelques bières de la soirée, merci !

vendredi 23 octobre 2009

Zëro, The Rubiks et The Good Damn ce soir au Clacson























Vous aussi vous le trouvez moche et illisible ce flyer ? Oui, parfaitement illisible donc une traduction s’impose : le 15 mai dernier devait avoir lieu au Clacson à Oullins un concert réunissant les excellents The Good Damn (dont j’attends toujours le premier album avec impatience), les pervers polymorphes de The Rubiks (dont ce devait être là la release party du premier album, Universal Satisfaction) et leurs maîtres à tous, Zëro (dont le nouvel album Diesel Dead Machine est attendu pour la fin de l’année mais dont je peux déjà vous dire qu’il va être énorme).
Un chouette concert avec une excellente affiche composée de trois groupes locaux forcément géniaux - si j’avais le sens de la quenelle aussi gonflé que le régionaliste cocardier j’en profiterais évidemment pour sortir des horreurs mais comme ce n’est absolument pas le cas je ne le ferai pas. Un concert qui avait malheureusement du être annulé suite à un malencontreux et raisonnablement grave accident de bicyclette d’Andrew Duracell, batteur des Rubiks, une nouvelle preuve de l’extrême dangerosité du sport.
Aujourd’hui parfaitement remis de ses blessures et de ses émotions, notre batteur fou tiendra enfin ses promesses et sera sur la scène du Clacson avec ses deux petits camarades - Nico Poisson de Ned et Seb Radix de Kabu Ki Buddah, ouais ce que l’on appelle très vulgairement un all-stars band. Les deux autres groupes initialement prévus, The Good Damn et Zëro, seront également présents. Ça coûte 10 euros (8 pour les pauvres) et l’ouverture des portes est prévue pour 20h30. Et comme Oullins c’est moins loin que Feyzin, on peut même s’y rendre à vélo.

jeudi 22 octobre 2009

Brötzmann - Kondo - Pupillo - Nilsen Love / Hairy Bones


Ah ce disque est une excellente surprise. Du free jazz bouillonnant mais avec une légère pointe de modernité : de quoi satisfaire l’amateur intransigeant et conservateur de freeture tout en lui évitant l’ennui récurrent occasionné par une musique désormais fossilisée par pas moins de cinquante années d’existence et de quoi lui éviter également les quelques commentaires acerbes qui vont avec - par exemple : ce genre d’improvisation collective à quatre voix se pratiquait déjà dans la scène loft new-yorkaise dans les années 70 ou les européens n’ont rien inventé en matière de free, devant tout à Saint Albert Ayler.
Déjà, la liste des participants à ce Hairy Bones est un bon indice : le patriarche Peter Brötzmann aux saxophones (alto et ténor) et à la clarinette basse, Toshinori Kondo à la trompette amplifiée et aux effets électroniques, Massimo Pupillo à la grosse basse électrique et Paal Nilssen-Love à la batterie. En résumé nous avons les deux solistes du Die Like A Dog quartet de Brötzmann - l’une des meilleures formations jamais conduite par notre géant allemand préféré du free - et la section rythmique de Offonoff. Nous avons surtout deux instrumentistes acoustiques et deux instrumentistes électriques. Hairy Bones se pose donc d’emblée sur les territoires d’un jazz électrique, cette grande pute qui a engendré tant de méfaits impardonnables (Miles Davis s’y est cassé les dents alors qu’il avait si bien tout commencé avec In A Silent Way, Ornette Coleman mériterait l’euthanasie pour ses disques avec Prime Time) et d’hymnes de variétoche funky. L’électricité dans le jazz est un sujet fort épineux pour ne pas dire désagréable, Harold Alexander et son Sunshine Man (pour le côté le plus soul) et Luther Thomas et ses Funky Donkey volume 1 et 2 (pour le versant le plus free bien que très groove là aussi) sont les deux balises au delà desquelles il vaut mieux ne pas trop s’étendre. John Coltrane lui-même aurait il fait quelque chose de la fée électrique ? Pas sûr. Parmi Les meilleurs disques en la matière on compte un album sans titre du Rashied Ali quintet paru en 1973 avec James Blood Ulmer à la guitare et surtout le Black Woman de Sonny Sharrock - de toutes façons ce génie de la guitare moderne transformait en or tout ce qu’il touchait, voir les albums de Last Exit (avec Brötzmann faut il le rappeler ?), dans une moindre mesure l’album Tauhid de Pharaoh Sanders et même certains Miles Davis.


















Sur Hairy Bones, l’électricité n’est pas utilisée comme un simple renfort pour la rythmique - pour trouver ici une once de groove élastique c’est peine perdue - ni comme matière démonstrative à solo. Massimo Pupillo s’essaie à un jeu plus en retrait que celui qu’il pratique avec Zu mais constituant toujours une solide assise (associé à Paal Nilssen-Love ils forment l’une des meilleures sections rythmiques du genre improvisé). C’est du côté de Toshinori Kondo que l’on trouve l’influence la plus directe de l’électricité tant le jeu de trompettiste en est radicalement modifié, faisant passer sa pratique de l’instrument à un tout autre stade, interstellaire, bien loin de l’effet pittoresque de l’expérimentation pour pas cher. Mieux : le jeu sinueux et coulant de Kondo s’accorde parfaitement avec celui - tout en flux également - de Brötzmann et finit même par influencer celui-ci, qui sur la deuxième moitié du disque altère le son de son instrument (mais tout au long du disque j’ai trouvé qu’il était plus étouffé que d’habitude), lui cherche des similitudes avec celui de la trompette électrique du japonais. On sait depuis les expériences en solo de Peter Brötzmann (comme le très bel album Right As Rain dédié à son vieil ami Werner Lüdi) que le saxophoniste allemand a un phrasé inimitable également lorsqu’il souffle dans le registre du ténu et presque de la pudeur - loin de sa réputation non usurpée d’artificier du free. Il nous livre là une performance passionnée et toute en contrastes, réellement l’une de ses meilleures depuis bien longtemps, et évite de se faire voler le rôle de la vedette par Toshinori Kondo que d’extrême justesse.
Hairy Bones a tout donc tous les éléments pour glisser d’un free jazz hargneux vers quelque chose de plus pâteux et de plus transformiste, le quartet en oublie parfois les idiomes classiques du (free) jazz sans tomber dans les pièges du contemporain et installe une atmosphère captivante et épidermique. Enregistré en concert en 2008 à Amsterdam et publié par Okka Disc, Hairy Bones capte un instantané fulgurant de grâce et d’invention permanente. Peter Brötzmann et ses trois camarades donneront quelques concerts en Europe au mois d’octobre dont le 25 au festival Densités de Fresnes-en-Woëvre (dans la Meuse, pas très très loin de Nancy) et le 26 octobre à la Cave 12 de Genève*.

[*c’est un lundi, et merde…]

mercredi 21 octobre 2009

Offonoff / Slap And Tickle























Il y en a que Clash, le premier album de Offonoff, avait terriblement emmerdés. Ce n’est pas avec Slap & Tickle, deuxième enregistrement - je ne compte pas le 10 pouces sur Gaffer records mais peut être que je le devrais tellement il est excellent - donc ce n’est pas avec Slap & Tickle que les choses vont pouvoir s’arranger. Toujours et encore sur le label Smalltown Superjazz, ce nouveau méfait est un live chaud comme la braise enregistré lors du Kongsberg Jazzfestival en 2007 (le 10 pouces a lui été enregistré également en concert, la même année et vraisemblablement pendant la même tournée mais à Oslo - voilà, je savais bien que j’avais raison de reparler de ce disque). Slap & Tickle est donc un enregistrement pas tout neuf d’Offonoff et j’imagine que le groupe en a des kilomètres de ce genre de bandes (ou des kilo octets s’ils sont modernes et équipés dernier cri) avec des performances comme celle-là dessus. Et admettons qu’il n’y a aucun intérêt pour Offonoff à enregistrer autre chose, autrement, puisque le trio n’a qu’une seule et unique ligne de conduite qui est de balancer toujours la même sauce, assaisonnée avec les mêmes ingrédients mais toujours de façon différente. La musique d’Offonoff est totalement improvisée.
Les ingrédients, reparlons-en encore une fois puisque c’est définitivement un plaisir sans fin : Terrie Hessels de The Ex à la guitare, Massimo Pupillo de Zu à la basse et Paal Nilssen-Love de lui-même mais ayant joué ou jouant encore avec énormément de monde à la batterie (Peter Brötzmann et Mats Gustafsson sont mes préférés de la liste). Un vrai power trio et une bonne grosse cohésion dans le bruit et la défouraille. Cohésion parce que ces trois là jouent vraiment ensemble, arrivent à partir sans se forcer dans des plans à haute teneur énergétique qui rendraient malade de jalousie tous les tacherons noise du monde civilisé (et même des gros bras hardcore pas avares en prétention). Bon, admettons aussi que nos trois stooges se perdent parfois en route, qu’ils peuvent s’essouffler et patiner mais ils retrouvent toujours très facilement la voie de la déraison et du bordel meurtrier… enfin, ça c’est la théorie. Car si Slap tonitrue fort bien au démarrage, la musique d’Offonoff se met par la suite à louvoyer beaucoup trop fréquemment puis se coltine une fin en demi teinte, au bout d’une demi heure on attend toujours que la machine reparte pour de bon mais non, le trio est sur la pente douce et l’auditeur hérite d’une queue de poisson en guise de dessert malgré un vague sursaut de toute dernière minute. Le début de Tickle est dans la même veine, hésitante et bavarde, la crainte que ces trois là soient à leur tour tombés dans les pièges de l’improvisation libre qui n’écoute qu’elle-même quitte à se noyer dans son nombril se confirme malheureusement. Lorsque la guitare reprend les commandes et que basse et batterie embrayent derrière on respire enfin de soulagement et Slap & Tickle se retrouve in extremis sauvé d’un sentiment habituellement très vexant d’indifférence. Bien mais peu mieux faire, et largement.

mardi 20 octobre 2009

The Thing / Bag It !























The Thing est le plus grand groupe actuel de free jazz. The Thing est le trio emmené par Mats Gustaffson, improvisateur parmi les improvisateurs, jouant principalement du saxophone baryton, parfois de l’alto (presque jamais du ténor, et sur l’album qui nous occupe ici pas du tout) et digne héritier de la scène free européenne des années 70 et des pionniers américains des années 60, Albert Ayler en tête. Difficile aussi de ne pas comparer la texture de son son de saxophone à celui de Peter Brötzmann, même sensation de dureté granulaire et abrasive mais à la différence du grand ancêtre allemand, Mats Gustaffson sous-entend toujours un minimum syndical mélodique, notre homme aime la pop music et le rock’n’roll. Un trio c’est forcément trois personnes : on retrouve à la contrebasse Ingebrigt Håker Flaten (jouant également avec les très hypeux Atomic et le très dispensable Scorch Trio) et surtout le batteur Paal Nilssen-Love au jeu très dynamique, percussif et rentre-dedans.
Bag It ! est le dernier-né d’une discographie accumulant déjà une dizaine de références, un album publié par Smalltown Superjazz et explorant un spectre très large de styles, d’expériences. Mats Gustafsson reste toujours dans le bouillonnement de la freeture et l’incandescence de l’impro libre - au contraire de son confrère et ami Ken Vandermark qui lui n’hésite jamais à dépoussiérer le be-bop d’antan ou à redynamiser le jazz modal - mais ses sources d’inspirations sont multiples et parfois surprenantes. Sur l’album She Knows… de 2001 enregistré avec Joe McPhee, The Thing s’était fendu d’une reprise de To Bring You My Love de PJ Harvey. Sur Bag It ! on compte une reprise de The Ex et une autre de 54 Nude Honeys. Au milieu de tout ça, un hommage à Duke Ellington - Mystery Song avec l’exposition de son thème principal traité de façon très colemanienne (rappelons encore une fois que The Thing est aussi le titre d’une composition de Don Cherry, sur son album Where Is Brooklyn ? de 1966) - et une magnifique version d’Angels (d’Albert Ayler) toute en raclements, frottements, grésillements avec sa partie de saxophone fragile, ténue et particulièrement émouvante… si un ange passe il pourra dire au fantôme du grand Albert que des musiciens pensent encore très fort à lui. Pour compléter le tracklisting ajoutons une composition de Gustafsson et une composition collective de The Thing.
La principale innovation de Bag It! reste l’utilisation de l’électronique. Pas question de rythmiques fiévreuses avec boite à rythmes incorporée ou d’enluminures cosmiques au synthé, non les effets sont utilisés dans une optique uniquement bruitiste : le solo imitant la guitare sur Drop The Gun des 54 Nude Honey et finissant en cacophonie ou les atmosphères frôlées sur Angel. Surtout, cette évolution technique ne parait pas artificielle - on connaît trop bien les effets pervers d’une démarche qui consisterait à évoluer coûte que coûte, comme par obligation -, une évolution qui procède naturellement donc et l’électronique fait déjà partie du paysage sonore de The Thing comme si elle avait toujours été présente. N’étant pas fanatique des incursions technologiques dans un free jazz que je préfère forcément toujours brut(al) et acoustique, cette innovation aux résultats probants est une bonne surprise.

[à noter que les premières versions de Bag It ! sont accompagnées d’un CD bonus comprenant une longue impro collective d’une demi heure et à forte tendance die hard]

lundi 19 octobre 2009

Black Cobra / Chronomega























Le meilleur argumentaire pour sauver Black Cobra et Chronomega, le nouvel album du duo, c’est d’affirmer qu’ici il n’y a pas de place pour les poussées alambiquées et autres boursouflures progressives qui font tellement de ravages dans les pauvres petites cervelles meurtries et flasques de nos contemporains métallurgistes et/ou mélomanes - retourne donc écouter du jazz pauvre mec. Après, dans le détail, il est vrai que Chronomega est moins bon que Feather And Stone qui lui-même l’était moins que Bestial, premier album coup de poing de Black Cobra. C’est la gentille et relative dégringolade d’un groupe qui jusqu’ici proposait un hardcore brutal et épais, pas très loin d’un Buzzov-en joué pied au plancher et la bave aux lèvres avec des passages d’une lourdeur poisseuse et maniaque. Et oui, rappelons qu’il y a un ex Cavity dans Black Cobra (Jason Landrian, à la guitare et à la voix) même si celui-ci est arrivé tardivement dans le groupe - au moment du dernier album On The Lame - et n’y est donc absolument pour rien dans le petit chef d’œuvre buzzovenien de Cavity, le EP Laid Insignificant récemment réédité par Hydra Head.
A l’époque de Bestial Black Cobra n’apportait rien de bien original mais possédait une fraîcheur et un sens du rentre dedans plus que bienvenus. Chronomega (premier album du groupe pour Southern Lord) n’a plus cette fraîcheur. D’abord l’effet de surprise est largement passé - l’effet de surprise c’est cette illusion conceptuelle souvent confondue avec le phénomène de surenchère propre au metal et au hardcore, Black Flag ralentissant et s’alourdissant sur la deuxième face du LP My War en 1984, ça c’était une vraie surprise comme on n’en connaît plus guère aujourd’hui - et deuxièmement le son du groupe a quelque peu évolué. Billy Anderson était derrière la console et il a concocté pour Black Cobra une production un peu trop clean(ique) et lisse. Quelle drôle d’idée aussi.
En sourdine donc les guitares à la sursaturation grésillante et grasse, fini le chant d’écorché néanderthalien. Chronomega arrondit parfois trop dangereusement les angles, étouffe la saleté et écrête les niveaux alors que paradoxalement les titres sont plus speed qu’auparavant (il n’y a pas de vrai passage rampant et boueux) avec des relents disons plus, hum, rock’n’roll - on se rapproche même de High On Fire - et avec également quelques riffs bien désuets, comme des airs de thrash à la Slayer. Si on ajoute que le niveau de composition est également un peu plus faible qu’auparavant, on obtient un disque correct et gentiment efficace, qui glisse tout seul mais qui glisse surtout un peu trop facilement : idéal pour se vider la tête dès le matin mais qui donc ne restera pas en mémoire comme Bestial avait su le faire.

vendredi 16 octobre 2009

Silent Front - Shield Your Eyes / split single























Enfin des nouvelles discographiques des anglais de Silent Front ! Même si ce n’est pas grand-chose : un petit split single en compagnie des camarades de Shield Your Eyes sur We Heart records, un joli disque en vinyle rouge et limitée à 250 exemplaires, numérotés s’il vous plait. Mais c’est mieux que rien, d’autant plus qu’en lisant l’insert on apprend qu’un album - ce sera le premier véritable long format de Silent Front - va enfin être enregistré et ne devrait plus trop tarder à voir le jour. La mauvaise nouvelle c’est que normalement Misanthrope figurera également sur cet album, même si dans une version annoncée comme différente. En regardant plus attentivement l’insert et plus particulièrement la photo du groupe, on s’aperçoit également que celui-ci a encore changé de batteur. Le batteur, c’est la plaie de Silent Front et l’une des principales raisons qui ont fait que ce groupe (en plus d’un dilettantisme option pub à toutes heures à peine pas croyable) n’a jusqu’ici publié qu’un mini album - désormais épuisé mais téléchargeable gratuitement ici - ainsi qu’un split 10 pouce en compagnie d’un groupe assez moyen, Tiger Force.
Va donc pour Misanthrope, encore un presque inédit de Silent Front. Voilà un groupe en forme d’exception qui confirme la règle : on peut ainsi parfaitement être britannique et savoir pratiquer le noise rock, chose fort rare il faut bien l’avouer (oui, je sais bien qu’il y a eu Headcleaner mais c’était déjà au siècle dernier). Avec Misanthrope, Silent Front renforce même son statut d’excellent groupe, n’ayant vraiment rien à envier au maîtres incontestés du genre, américains dans leur écrasante majorité. D’accord mais quel genre ? Du classique mais rien que du grand classique. Bien trop court, Misanthrope laisse entrevoir toutes les possibilités d’un power trio qui, s’il est réellement déchaîné en concert, a réussi à coucher sur disque une finesse de caractère bienvenue et une originalité satisfaisante. Bonne accroche mélodique - simple et efficace - avec rythmique qui tacle (j’adore la basse) et un chant pas trop braillard et ce qu’il faut d’énervé. Une mise en bouche parfaite mais une mise en bouche tout de même, MAINTENANT JE VEUX L’ALBUM.
De l’autre côté Shield Your Eyes réussit le pari de ne pas passer inaperçu (contrairement au concert) avec une noise plus foutraque dotée d’un chant outré (et énervant), d’une guitare bizarrement tordue (un peu trop) et d’une rythmique déboîtée - constituant ainsi une agréable surprise mais les notes de l’insert nous apprennent là aussi que ce Ultra Soul figurera également sur le nouvel album de Shield Your Eyes dans une version toujours différente. Voilà donc un split single qui ne servira plus pour très longtemps encore. Avis aux collectionneurs.

jeudi 15 octobre 2009

Wolf Eyes / Always Wrong























A toutes celles et tous ceux qui se demandaient ce qu’un groupe comme Wolf Eyes pouvait bien foutre sur un label comme Sub Pop la réponse est : rien. Tout comme le haut parrainage de Sonic Youth, cela a quand même permis au trio originaire d’Ann Arbor et relocalisé à Seattle (la voilà l’explication ?) de faire parler de lui et de donner quelques frissons aux bonnes gens désireuses de se faire un peu peur. Oulala Wolf Eyes c’est du brutal ! Wolf Eyes c’est du bruit ! Wolf Eyes c’est du chaos ! Dommage que Whitehouse n’ait jamais publié d’enregistrement chez Matador records, on aurait encore plus rigolé. L’aventure Sub Pop n’a duré que le temps de deux albums, s’achevant prématurément fin 2006 et maintenant que le groupe n’intéresse plus cette illustre et aventureuse maison - qui malheureusement par les temps qui courent est dans la merde financière comme tout bon label qui se respecte mais aussi comme les mauvais qui n’ont rien respecté ni personne (ce qui n’a jamais été le cas de Sub Pop) - maintenant, oui, on peut dire que les choses sont rentrées dans l’ordre. Wolf Eyes ne sera plus jamais un groupe de freaks destiné à amuser ou à choquer (?) la populace, Wolf Eyes est redevenu une anecdote parmi tant d’autres dans toute une vie de musique et de concerts. Une virgule.
Ce qui n’empêche pas le groupe de continuer à exister et de se livrer à sa pratique favorite : enregistrer et publier des disques, une vraie chiasse bruitiste. Tous supports confondus, Wolf Eyes culmine à deux cents références, beaucoup en mode DIY sur AA records, le label de Nate Young (l’homme à l’origine de Wolf Eyes). Always Wrong a été publié par Hospital Productions, petite maison abritant également des gens comme Kevin Drumm, les excellents Hair Police et Prurient, voilà un voisinage nettement plus recommandable que The Obits ou The Shins.
Les connaisseurs de Burned Mind et de Human Animal qui voudraient se risquer dans Always Wrong ne seront pas déçus : Wolf Eyes a toujours trente années de retard. On a parlé de Whitehouse mais c’est toujours et encore Throbbing Gristle qui vient à l’esprit à l’écoute d’un groupe qui reprend des vieilles recettes, les réactualise à peine et les enregistre avec un sens de la cradeur jouissif et radical. Tout comme leur collègue Dominick Fernow (Prurient), Nate Young, Mike Connelly - également dans Hair Police, le monde est petit - et John Olson n’inventent rien parce qu’ils ne veulent rien inventer, ce qui importe c’est de tout détruire et de laisser l’auditeur au mieux dans l’état d’un ver de terre pétri d’angoisses.
En concert le nihilisme de Wolf Eyes m’avait semblé de pacotille, la faute peut être à une sono déficiente : puisque le son ce soir là n’avait rien de méchant, il ne restait sur scène qu’une parodie maladroite de groupe s’adonnant à la provocation et à la facilité. Revoir le trio en live permettrait peut être de se rendre compte si Wolf Eyes est autre chose ou non qu’un groupe de poseurs réalisant des disques aux pochettes sérigraphiées avec dans la tête un concept arty de la destruction. Quelle que soit la réponse Always Wrong reste une illustration venimeuse de la violence urbaine et industrielle et un rempart nostalgique contre l’ennui. Un bon disque, comme celui d’avant et comme celui d’après.

mercredi 14 octobre 2009

Ultralyd / Renditions























Chouette, un nouveau disque d’Ultralyd. Et en vinyl qui plus est. Une galette dans une pochette gatefold et limitée à cinq cents exemplaires, numérotés. Et puisque on en est à la présentation de l’objet, continuons. Renditions est composé de quatre titres : Renditions I et II, Pentassonance IV et Mélopée Inutile. Le vert de la pochette est assez ignoble mais ne doit pas faire oublier le livret au format 12 x 24 centimètres et dont l’intérêt pictural pour ne pas dire l’utilité reste également à démonter : seize pages de dessins ectoplasmiques à mi chemin entre ovocytes fécondés de Barbamama et pets foireux d’alien. Le tout dans les tons bleu, blanc et bronze. Ces œuvres sont dues au collectif Grand People que l’on ne félicite donc pas. Détail amusant, les notes précisent qu’il y a une face Blue et une face Black mais les ronds centraux sont - dans l’ordre : il suffit de lire les numéros des faces directement gravés dans le vinyle- donc les ronds centraux sont bleu et vert. Ce disque a été pressé par The Last Record Company qui n’est jamais qu’une sous division de Rune Grammafon (le label habituel d’Ultralyd) uniquement consacrée à l’édition de disques vinyle.
Ce descriptif détaillé est l’arbre qui cache la forêt. Malheureusement, Renditions est un album complètement vide et inintéressant. Bien loin des préoccupations habituelles d’Ultralyd. OK, les habitudes sont faites pour être changées mais était ce une bonne raison pour ces norvégiens de verser comme ils l’ont fait ici dans une sorte de musique contemporaine ultra minimale et lancinante ? Ils ont essayé de faire une reprise du 4’33 de John Cage en ajoutant malgré tout quelques (notes) sons ou quoi ? Ou alors ils se sont amusés au jeu du papillon cher à Fluxus - on lâche un papillon dans la salle et les musiciens jouent n’importe quoi tant que le papillon ne s’est pas posé quelque part. Pour l’instant Renditions n’est pas mauvais en soi mais c’est un disque extrêmement décevant. Et soporifique.
La face B (rond central vert pour ceux qui ont du mal à suivre ou qui se sont endormis en cours de route) relève très légèrement le niveau. Pentassonance IV décèle un semblant de construction, une tension mélodique due à l’utilisation contradictoire des différents instruments (vibraphone, guitare, saxophone, percussions) à peine reconnaissables. On est toujours dans le registre d’une musique pseudo savante mais il y a du relief. La surprise c’est quand Pentassonance IV renoue avec l’Ultralyd que l’on connaît et que l’on aime pour évoluer vers un dub chaotique et urbain drivé par la basse de Kjetil D Brandsdal (le bûcheron sans pitié également dans Noxagt). Enfin. Le trop bien nommé Mélopée Inutile est aussi le titre le plus court de ce LP et comme par hasard il redonne un sacré coup de mou à Renditions bien qu’il soit plus à rapprocher de la première partie de Pentassonance IV que de la première face du disque. On y entend même distinctement chaque instrument mais, comme on n’entend pas les intentions des musiciens qui jouent, c’est un nouveau coup d’épée dans l’eau et la conclusion tristounette d’un disque prétentieux et pétomane.

mardi 13 octobre 2009

Thee Oh Sees / Help























Ce disque a bien failli finir à la poubelle dès la première écoute. En un mot comme en cent : au secours ! Thee Oh Sees c’est le projet le plus actif (mais demain cela aura déjà changé…) quoique déjà ancien de John Dwyer, un psychopathe dont le pedigree n’en finit pas de s’allonger - Burmese, Pink & Brown, Coachwhips, Landed, je ne cite que les groupes que je connais le moins mal. Un type qui question rock’n’roll/punk/garage fait haut la main la nique à tout le monde. En l’occurrence avec Thee Oh Sees il y a de quoi enterrer tous les revivalistes sixties nés après 1980 et qui ne sont toujours pas sortis de leur complexe d’Œdipe. La musique de papa/maman tu l’aimes et tu l’imites. Alors pourquoi la poubelle ? A cause de cette atroce pochette animalière gay friendly ? Elle n’est pourtant pas pire que celle de l’album précédent. A cause de ce solo de fluttiot magique vers la fin du troisième titre de la première face ? Il y a bien du pipeau sur le Wild Thing des Troggs. A cause de ce son trop propre, on va dire bien dégagé derrière les oreilles ou plutôt gentiment balayé dans les coins ? Oui, déjà beaucoup plus. Un joli son, comme il faut, quand il faut mais qui heureusement n’arrive pas à bousiller totalement les éjaculations sixties/psyché/garage de Dwyer. Il suffit de ressortir Help de la poubelle, de se dire non ce n’est pas possible, j’ai forcément du me tromper et de réécouter ce disque en vinyle rose tapette (plait également aux fillettes) pour se convaincre rapidement que tout le bien que l’on pensait jusqu’ici de John Dwyer n’est pas usurpé.
Ce dernier est loin d’être seul dans l’aventure. Thee Oh Sees est un vrai groupe avec une pépette de compétition qui vocalise et tambourine, un deuxième gars à la guitare saccadée et un batteur qui minimalise comme une bête. Et puis le son n’est pas aussi lisse et ripoliné que cela : on n’est pas chez les Hives non plus et d’ailleurs on s’en fout de savoir si Randy Fitzsimmons s’appelle en réalité Charly ou Robin Masters. Donc, on aurait juste préféré un peu plus de cradeur, un peu plus de surprises au lieu de cette reverb systématiquement dosée de la même façon sur la voix criarde de Dwyer. Bref.
Ce qui séduit le plus sur Help c’est au contraire la saturation par l’excès de sucre et l’effet bublegum écoeurant. Les jolies ritournelles qui font chavirer. Les mélopées de
Brigid Dawson (la pépette déjà mentionnée) qui pousse le bouchon aussi loin qu’elle le peut. Les refrains ultimement niais (le ba ba ba ba ba ba ba de Rainbow et que l’on retrouve immédiatement après sur Go Meet The Seed, à faire mourir de jalousie les dandys surfers de feu Barracudas qui pourtant en connaissaient un sacré rayon question niaiserie). Help n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’enfonce dans la pop (le titre du disque n’est donc peut être pas si innocent que cela) et que son garage trempe avec candeur le bout de ses orteils dans les remous tiédasses de la mélodie enivrante. Un disque de pure insouciance (sexuelle) et de juvénilité rafraîchissante dont Peanut Butter Oven et ses arrangements pour cordes et voix représente le climax. John Dywer a encore trouvé le moyen de ne pas tourner en rond.

dimanche 11 octobre 2009

Napalm Death, le discours et la méthode























Ce vendredi c’est metal. Et pour une fois, je ne vais pas me rendre à un concert en vélo. Faut dire que l’Epicerie Moderne est plutôt éloignée, à Feyzin pour être plus précis (là où on raffine du pétrole à outrance pour le compte de quelques multinationales néo colonialistes et où un micro climat particulièrement pluvieux sème le trouble sur les bretelles d’autoroute). Autant dire qu’en ce qui me concerne Feyzin c’est au bout du monde. Je n’y vais donc pas tous les jours : le vélo c’est bien mais dans un rayon de cinq/six kilomètres et c’est tout. Au-delà ça devient du sport, de la fatigue injustifiée et irrécupérable. Je deale donc adroitement un covoiturage avec un camarade d'internet qui par le plus grand des hasards n’habite pas non plus trop loin de chez moi, ce qui est très pratique pour l’option dépose minute. Quand le monde est bien fait comme ça, quand tout semble rouler à la perfection et qu’en plus c’est définitivement la fin de la semaine, le bonheur devient presque concret et palpable, aussi confortable qu’une bière bien fraîche vous retapissant le gosier d’une fraîcheur revigorante et irradiante.
Lorsque nous arrivons à la salle, le parking est déjà plein et une bonne file d’attente s’est formée devant l’entrée. Il y a des chevelus de partout, je ne compte plus ceux qui mangent vite fait bien fait une pizza, accoudés au coffre de leur bagnole. La grande classe. J’arrête également de comptabiliser le nombre de t-shirts Napalm Death, nombre qui va aller en s’accroissant au fur et à mesure que la soirée avancera, le métallurgiste étant un gros consommateur de merchandising - on prétend même que certains groupes n’arrivent à équilibrer les comptes de leurs tournées que grâce à la vente de ces produits dérivés. Bref, ce parking paumé au milieu de nulle part a comme une ambiance de stade de foot avant le match : les fanatiques sont parmi nous.
Le temps de rentrer à l'intérieur, de se faire tripoter le sac par les vigiles (oui, je sais : ils ne font que leur boulot…), de récupérer deux invitations honteusement soutirées et de repérer quelques têtes amies et l’ambiance tendance beau fixe se confirme au bar. J’en profite parce que bien évidemment ce n’est pas moi qui conduit.


















C’est devant une bonne petite audience que Knut commence son set. Je gardais un bon souvenir des genevois mais dès les premiers instants je sens qu’il y a quelque chose qui cloche. Déjà le son est très loin d’être formidable - pourtant j’ai cru comprendre que c’était Serge Morattel derrière la console - et surtout nos cinq garçons manquent d’un entrain certain. La petite étincelle qui met le feu aux poudres n’est pas là, le batteur a beau tendre les bras au dessus de sa tête et mettre ses baguettes en croix avant chaque début de morceau, tout ça manque sérieusement de vie. Le chanteur est presque inexistant et ce n’est pas en en rajoutant comme il le fait entre chaque titre - en prenant des postures typiques de métalleux, il nous gratifie même d’un oh les cornes vintage - que ça s’arrange, bien au contraire : Knut c’est du bourrin mais aussi du cérébral, jouer à la brute épaisse et intellectuellement limitée va à l’encontre d’une musique plus intelligente et fine que le niveau de saturation des guitares ne le laisserait supposer.
Par contre, à la différence du dernier album studio en date (Terraformer en 2005) qui faisait la part belle à un métal plutôt atmosphérique et instrumental, le set de Knut est très majoritairement chanté ce soir, le groupe nous gratifiant de deux ou trois nouveaux titres bienvenus - un nouvel album devrait être enregistré bientôt. Et puis, la seconde moitié du concert s’est révélée être bien meilleure que la première, le son du groupe s’améliorant et sa performance s’épaississant nettement. Enfin du grand Knut mais c’est peine perdue : une bonne partie du public a quitté la salle et le groupe ne joue pas les deux derniers titres prévus pour la fin (c’est dommage parce qu’il me semblait bien que la set list indiquait H/Armless), dégoûté devant le peu de réaction suscitée, il n’y aura pas de rappel. 


















Pas besoin du bide rencontré par Knut pour se rendre compte que l’écrasante majorité du public est venue pour Napalm Death : le nombre de t-shirt au nom du groupe de Birmingham a du augmenter de moitié en moins d’une heure. Eux aussi je ne les ai pas vus en concert depuis des temps immémoriaux. Un ami me confie qu’il espère secrètement que les anglais vont jouer un ou deux titres lents et lourds, comme ceux avec lesquels ils ont pris désormais l’habitude de clore leurs derniers albums en date. Personnellement, je n’y crois absolument pas. Je m’attends à une bouffée asphyxiante de grind, du hautement inflammable, à du furieux et à du blast supersonique. Napalm Death est peut être désormais un vieux groupe - je rigole en découvrant le doublé sandales/chaussettes du guitariste - mais ses albums sont toujours aussi hautement écrasants et puissants.
Sitôt arrivés sur scène les quatre ne perdent pas de temps et c’est parti pour plus d’une heure d’un festival de titres récents (les cinq derniers albums, ceux parus en ce nouveau millénaire) mâtinés de quelques vieilleries - un Suffer The Children - joué en troisième ou quatrième position par exemple ou bien les passages obligés tels que You Suffer ou l’éternelle reprise du Nazi Punks Fuck Off des Dead Kennedys (entendre l’un de ses groupes préférés à quinze ans repris par l’un de ses groupes préférés à vingt ans a une saveur toute particulière lorsque on en a bientôt quarante). Et tant pis si le son là aussi est très moyen pour ne pas dire pourri puisque riffs carnassiers et rythmiques en mode tachycardie sont là également. 























Reprendre les Dead Kennedys pour Napalm Death n’est certes pas anodin. Barney Greenway fait à plusieurs reprises son Jello Biafra : tandis que Mitch Harris et Shane Embury se réaccordent régulièrement et tandis que Danny Herrera bien planqué derrière sa batterie se repose les biceps et les cuisses (ce type n’est pas humain tellement il tape fort et métronomiquement), le chanteur anglais en profite pour y aller de son prêche idéologique : pacifisme, antimilitarisme, antiracisme, antifascisme, anticapitalisme, refus de la religion, tolérance sexuelle, etc. Pour connaître les opinions politiques de Greenway, il suffit de regarder les tatouages sur ses mollets : je ne parle pas de celui reprenant le logo de Motörhead mais de celui indiquant Religion ? No Thanks ! avec un gros sigle d’interdiction.
Invariablement, le chanteur continue ses diatribes pendant les temps de pause et tout comme il ne comprend pas les cris du public français (d’ailleurs cela a plutôt l’air de l’amuser), ce même public ne semble pas comprendre toute la portée des paroles de Napalm Death et des locutions introductives de son chanteur. Le décalage est saisissant entre une implication politique marquée et un public majoritairement venu pour se prendre un morceau d’ultra violence musicale au travers de la gueule ou tout simplement pour se défouler comme de vulgaires sportifs - et ça tapait parfois vraiment dur dans le pit et contre la scène, j’en ai encore quelques bleus. C’est finalement lorsque Barney Greenway applique des recettes simples avec un décalage tout british qu’il est le plus drôle et le plus efficace - par exemple il mime le zinzin à la fin de Nazi Punks Fuck Off... unless you think disent à la fin du morceau les paroles écrites par Biafra à l’aube des années 80.
Et c’est cette impression là qui prédominera et qui restera : Napalm Death, un groupe emmené avec classe par un hurleur patenté tournant comme un lion en cage, un groupe capable de se surpasser à tout moment alors que l’on pensait les limites de l’extrême déjà atteintes et capable également de légèrement varier les plaisirs (les quelques parties de chant clair vers la fin du set). Le groupe ne fait pas de rappel mais chanteur et bassiste prennent le temps de serrer quelques mains et de donner l’accolade.

vendredi 9 octobre 2009

Maninkari / Un Souffle De Voix





















Un Souffle De Voix est déjà le troisième album publié par Maninkari depuis 2007, après Le Diable Avec Ses Chevaux (un double CD sur Conspiracy) et Art Des Poussières (toujours chez Conspiracy et uniquement en vinyle). Neuropa records est la maison de disques des parisiens pour ce nouvel enregistrement, aux côtés d’autres signatures qui - au choix - donnent envie de rire ou de fuir : Death In June, Brighter Death Now ou Nordvargr. Mais Maninkari ne s’adonne pas pour autant au dark folk douteusement nazillon ou à l’indus d’opérette pour garçons coiffeurs gothiques. Au contraire, l’univers du groupe, les sonorités mises en avant, les instruments utilisés, les compositions progressives, les tonalités inhabituelles - ce que certains appelleraient sans aucun complexe de la world music sauf qu’ici tout est parfaitement digéré et restitué sous une nouvelle forme, originale et décalée qui n’a rien à voir avec le décorum exotique pacotillé à la mode occidentale - tout donc est immédiatement reconnaissable, à la virgule près. Une syntaxe bien établie, un vocabulaire bien défini, des portes aventureusement ouvertes et d’autres sciemment fermées parce que débouchant sur des pistes déjà explorées avec des groupes précédents ou tout simplement jugées trop banales. Manikari nous ressort les mêmes recettes que sur ses deux premiers albums et pratiquement dans les mêmes plats. Encore me direz vous.
Et oui encore, Maninkari ne cherche pas vraiment à s’extraire de son petit monde, celui que le groupe a construit pierre après pierre, note après note, improvisation après improvisation, à l’abri des regards scrutateurs et des oreilles indiscrètes. Je crois pour ma part que ce n’est pas que Maninkari ne souhaite pas faire autre chose, c’est tout simplement que ce duo pourtant imaginatif composé de deux frères laborantins ne pourrait pas le faire, à la fois prisonnier et libéré par ce que l’on appelle une création extrêmement personnelle. Bientôt, si ce n’est pas déjà fait, on ne saura ni ne pourra plus différencier Maninkari de sa musique, ne plus savoir qui a donné naissance à l’autre tant cette dernière, céleste et magique s’impose d’elle-même comme un secret colossal et mystérieux - la vieille histoire de la poule et de l’œuf : l’impérieuse nécessité est là mais d’où vient elle ? d’une musique que l’on sent profondément encrée en soi ? d’une formation réduite (le duo) utilisant des instruments disparates et inconnus ? Qu’importe, en voici le résultat, une forme parfaite et un vecteur mystérieux, presque une construction lynchienne.
Ceci dit, Un Souffle De Voix laisse plus de place encore aux atmosphères étrangement en suspens, s’installe dans un doux flottement stellaire et délaisse presque totalement le côté noise tribal pour batterie et violon - il y a bien des parties avec ces deux instruments mais toute forme trop lisible en a été comme délibérément froissée, déviée, presque éliminée - et des neuf titres de ce disque entre mantras free et mystique vaporeuse se dégage à nouveau toute la magie à la fois solaire et ombrée d’une musique inclassable et profondément belle.

jeudi 8 octobre 2009

Nisennenmondai / Destination Tokyo


Si j’en crois les moqueries et autres railleries d’usage, en 2008 j’aurais tout simplement manqué le concert de l’année. Le groupe en question est japonais et entièrement féminin, son nom : Nisennenmondai. Que s’est il passé exactement ce jour là ? Evidemment je n’en sais foutrement rien puisque je n’étais pas là, sans aucune excuse ni autorisation d’absence, victime consentante du syndrome du gros pépère fatigué - oui c’était un samedi soir, au printemps, au Sonic, quel loser.
Le trio a une discographie honorablement consistante pour un jeune groupe et c’est l’incontournable label norvégien Smalltown Supersound qui se charge de diffuser à travers le monde entier les œuvres musicales de ces jeunes femmes précédées d’une flatteuse réputation. C’est exactement là le problème : Nisennenmondai est un groupe japonais et même si on est très loin de la folie furieuse du milieu des années 90 qui faisait apprécier au premier binoclard venu n’importe quel groupe du moment qu’il était originaire du pays du soleil levant (c’était l’éclosion des merveilleux Melt Banana, la découverte d’Otomo Yoshihide et de Ground Zero, l’âge d’or de Zeni Geva mais il y avait également des groupes très surestimés tels que Ufo Or Die ou Space Streakings), j’ai depuis cette époque bénie tendance à me méfier de la branchitude ne retenant comme seul critère que le pays d’origine du groupe en question. Il y a des légendes qui sont nées pour moins que ça et des zones géographiques qui jouissent d’un statut incroyable - prenons le cas de New York : quelqu’un peut il me citer le nom d’un groupe originaire de Big Apple ayant pondu un bon disque ces dix (quinze) dernières années ? Quoi ? A Place To Bury Strangers ? On en reparlera.























Nous sommes en 2009 et Nisennenmondai publie un deuxième enregistrement à l’échelle mondiale : Destination Tokyo. Son prédécesseur était de fait une compilation de deux EPs - Neji et Tori - et il m’avait laissé comme un goût d’inachevé dans la bouche. Exactement le genre de disque dont on se dit en l’écoutant que ce groupe doit être cent, mille fois supérieur en concert (cela s’appelle remuer le couteau dans la plaie). Et pour l’analyse stylistique du bordel, pas la peine d’aller chercher très loin puisque Nisennenmondai y pourvoit en nommant les titres de ses instrumentaux du nom de ses groupes favoris : Pop Group, This Heat et Sonic Youth. Mais j’ai eu beau chercher, il n’y a pas de Can sur Neji Tori et je me demande bien pourquoi.
Destination Tokyo
est un véritable album et après un passage à la Villette Sonique au printemps 2009, ça y est tout le monde parle de Nisennenmondai, en bien comme en mal : batteuse extraordinaire avec un sens du grove métronomique à faire baver de jalousie un Jaki Liebezeit ou batteuse approximative incapable de frapper droit (choisis ton camp camarade). Mais de toutes évidences, tout le monde s’accorde à dire que c’est bien elle le noyau central de la musique du groupe, avis dont on ne saurait douter à l’écoute de Destination Tokyo qui reprend les mêmes ingrédients que Neji Tori en jouant sur les dosages : encore plus de répétitivité, plus de funk robotique et irrésistible (avec au cas où on n’aurait pas bien compris un deuxième morceaux sobrement intitulé Disco, pelvien en diable et le meilleur du lot) et des titres d’une longueur suffisante pour une séance d’hypnose collective en bonne et du forme. Pour les moins on remarque une certaine tendance au lissage (le un peu trop post rockeux et autoroutier Destination Tokyo) et donc forcément moins d’explosions énergisantes et de bruit, autrement dit la lame de fond que l’on sent venir de loin, qui vous fricote dans les jambes, qui va vous tordre d’un bonheur quasi charnel bien que mécanique finit par tomber à plat (Mirrorball, à l’arrière goût trop sucré).
Deux bons titres, deux titres plus faiblards et un interlude destiné aux enfants, Destination Tokyo laisse comme son prédécesseur l’auditeur en tête à tête avec ses éternels regrets. On sent que les trois filles de Nisennenmondai peuvent faire bien mieux, qu’elles doivent faire beaucoup mieux en concert - ce putain de couteau qui fait mal… - et on les attend au tournant. See you later.