dimanche 11 octobre 2009

Napalm Death, le discours et la méthode























Ce vendredi c’est metal. Et pour une fois, je ne vais pas me rendre à un concert en vélo. Faut dire que l’Epicerie Moderne est plutôt éloignée, à Feyzin pour être plus précis (là où on raffine du pétrole à outrance pour le compte de quelques multinationales néo colonialistes et où un micro climat particulièrement pluvieux sème le trouble sur les bretelles d’autoroute). Autant dire qu’en ce qui me concerne Feyzin c’est au bout du monde. Je n’y vais donc pas tous les jours : le vélo c’est bien mais dans un rayon de cinq/six kilomètres et c’est tout. Au-delà ça devient du sport, de la fatigue injustifiée et irrécupérable. Je deale donc adroitement un covoiturage avec un camarade d'internet qui par le plus grand des hasards n’habite pas non plus trop loin de chez moi, ce qui est très pratique pour l’option dépose minute. Quand le monde est bien fait comme ça, quand tout semble rouler à la perfection et qu’en plus c’est définitivement la fin de la semaine, le bonheur devient presque concret et palpable, aussi confortable qu’une bière bien fraîche vous retapissant le gosier d’une fraîcheur revigorante et irradiante.
Lorsque nous arrivons à la salle, le parking est déjà plein et une bonne file d’attente s’est formée devant l’entrée. Il y a des chevelus de partout, je ne compte plus ceux qui mangent vite fait bien fait une pizza, accoudés au coffre de leur bagnole. La grande classe. J’arrête également de comptabiliser le nombre de t-shirts Napalm Death, nombre qui va aller en s’accroissant au fur et à mesure que la soirée avancera, le métallurgiste étant un gros consommateur de merchandising - on prétend même que certains groupes n’arrivent à équilibrer les comptes de leurs tournées que grâce à la vente de ces produits dérivés. Bref, ce parking paumé au milieu de nulle part a comme une ambiance de stade de foot avant le match : les fanatiques sont parmi nous.
Le temps de rentrer à l'intérieur, de se faire tripoter le sac par les vigiles (oui, je sais : ils ne font que leur boulot…), de récupérer deux invitations honteusement soutirées et de repérer quelques têtes amies et l’ambiance tendance beau fixe se confirme au bar. J’en profite parce que bien évidemment ce n’est pas moi qui conduit.


















C’est devant une bonne petite audience que Knut commence son set. Je gardais un bon souvenir des genevois mais dès les premiers instants je sens qu’il y a quelque chose qui cloche. Déjà le son est très loin d’être formidable - pourtant j’ai cru comprendre que c’était Serge Morattel derrière la console - et surtout nos cinq garçons manquent d’un entrain certain. La petite étincelle qui met le feu aux poudres n’est pas là, le batteur a beau tendre les bras au dessus de sa tête et mettre ses baguettes en croix avant chaque début de morceau, tout ça manque sérieusement de vie. Le chanteur est presque inexistant et ce n’est pas en en rajoutant comme il le fait entre chaque titre - en prenant des postures typiques de métalleux, il nous gratifie même d’un oh les cornes vintage - que ça s’arrange, bien au contraire : Knut c’est du bourrin mais aussi du cérébral, jouer à la brute épaisse et intellectuellement limitée va à l’encontre d’une musique plus intelligente et fine que le niveau de saturation des guitares ne le laisserait supposer.
Par contre, à la différence du dernier album studio en date (Terraformer en 2005) qui faisait la part belle à un métal plutôt atmosphérique et instrumental, le set de Knut est très majoritairement chanté ce soir, le groupe nous gratifiant de deux ou trois nouveaux titres bienvenus - un nouvel album devrait être enregistré bientôt. Et puis, la seconde moitié du concert s’est révélée être bien meilleure que la première, le son du groupe s’améliorant et sa performance s’épaississant nettement. Enfin du grand Knut mais c’est peine perdue : une bonne partie du public a quitté la salle et le groupe ne joue pas les deux derniers titres prévus pour la fin (c’est dommage parce qu’il me semblait bien que la set list indiquait H/Armless), dégoûté devant le peu de réaction suscitée, il n’y aura pas de rappel. 


















Pas besoin du bide rencontré par Knut pour se rendre compte que l’écrasante majorité du public est venue pour Napalm Death : le nombre de t-shirt au nom du groupe de Birmingham a du augmenter de moitié en moins d’une heure. Eux aussi je ne les ai pas vus en concert depuis des temps immémoriaux. Un ami me confie qu’il espère secrètement que les anglais vont jouer un ou deux titres lents et lourds, comme ceux avec lesquels ils ont pris désormais l’habitude de clore leurs derniers albums en date. Personnellement, je n’y crois absolument pas. Je m’attends à une bouffée asphyxiante de grind, du hautement inflammable, à du furieux et à du blast supersonique. Napalm Death est peut être désormais un vieux groupe - je rigole en découvrant le doublé sandales/chaussettes du guitariste - mais ses albums sont toujours aussi hautement écrasants et puissants.
Sitôt arrivés sur scène les quatre ne perdent pas de temps et c’est parti pour plus d’une heure d’un festival de titres récents (les cinq derniers albums, ceux parus en ce nouveau millénaire) mâtinés de quelques vieilleries - un Suffer The Children - joué en troisième ou quatrième position par exemple ou bien les passages obligés tels que You Suffer ou l’éternelle reprise du Nazi Punks Fuck Off des Dead Kennedys (entendre l’un de ses groupes préférés à quinze ans repris par l’un de ses groupes préférés à vingt ans a une saveur toute particulière lorsque on en a bientôt quarante). Et tant pis si le son là aussi est très moyen pour ne pas dire pourri puisque riffs carnassiers et rythmiques en mode tachycardie sont là également. 























Reprendre les Dead Kennedys pour Napalm Death n’est certes pas anodin. Barney Greenway fait à plusieurs reprises son Jello Biafra : tandis que Mitch Harris et Shane Embury se réaccordent régulièrement et tandis que Danny Herrera bien planqué derrière sa batterie se repose les biceps et les cuisses (ce type n’est pas humain tellement il tape fort et métronomiquement), le chanteur anglais en profite pour y aller de son prêche idéologique : pacifisme, antimilitarisme, antiracisme, antifascisme, anticapitalisme, refus de la religion, tolérance sexuelle, etc. Pour connaître les opinions politiques de Greenway, il suffit de regarder les tatouages sur ses mollets : je ne parle pas de celui reprenant le logo de Motörhead mais de celui indiquant Religion ? No Thanks ! avec un gros sigle d’interdiction.
Invariablement, le chanteur continue ses diatribes pendant les temps de pause et tout comme il ne comprend pas les cris du public français (d’ailleurs cela a plutôt l’air de l’amuser), ce même public ne semble pas comprendre toute la portée des paroles de Napalm Death et des locutions introductives de son chanteur. Le décalage est saisissant entre une implication politique marquée et un public majoritairement venu pour se prendre un morceau d’ultra violence musicale au travers de la gueule ou tout simplement pour se défouler comme de vulgaires sportifs - et ça tapait parfois vraiment dur dans le pit et contre la scène, j’en ai encore quelques bleus. C’est finalement lorsque Barney Greenway applique des recettes simples avec un décalage tout british qu’il est le plus drôle et le plus efficace - par exemple il mime le zinzin à la fin de Nazi Punks Fuck Off... unless you think disent à la fin du morceau les paroles écrites par Biafra à l’aube des années 80.
Et c’est cette impression là qui prédominera et qui restera : Napalm Death, un groupe emmené avec classe par un hurleur patenté tournant comme un lion en cage, un groupe capable de se surpasser à tout moment alors que l’on pensait les limites de l’extrême déjà atteintes et capable également de légèrement varier les plaisirs (les quelques parties de chant clair vers la fin du set). Le groupe ne fait pas de rappel mais chanteur et bassiste prennent le temps de serrer quelques mains et de donner l’accolade.