jeudi 30 juin 2011

White Suns / Waking In The Reservoir






















Simplement préciser que les White Suns ont publié Waking In The Reservoir sur ugEXPLODE, le propre label de Weasel Walter (également crédité au mastering), devrait suffire non pas pour cerner complètement ce groupe new-yorkais mais au moins pour avoir une bonne petite idée de la chose. Non seulement cela permet de caler cette musique sur une échelle violence/trépanation auditive allant de 0 à 9 – on mettra environ 6.5 ou 7 à White Suns, donc pas beaucoup plus qu’un vulgaire groupe de death metal old school ou de grind core – mais surtout cela en dit long sur le niveau de White Suns car, on l’aura remarqué, ce n’est pas tous les jours que le maître publie lui-même des disques sur lesquels il ne joue pas la moindre note. Merci Weasel.
White Suns c’est donc trois jeunes gens à la guitare, à la batterie/percussions, à la voix et aux bruits divers et variés. Du chaos hurlant au kilomètre, de la dissonance en mode production industrielle, du tribalisme percussif pour faire tomber des pluies acides et déclencher des tsunamis en mer du Japon, des gorets qu’on égorge, une froideur quasi insoutenable malgré le côté on ne peut plus rentre dedans de cette musique et de la haine (musicale, on est ici dans la posture) à tous les étages. Bien. Mille fois bien, je voudrais faire des raccourcis aussi explicatifs que saisissants je dirais que les White Suns c’est le sens du bruit d’un Missing Foundation joué avec toute la furie des Flying Luttenbachers – vous voyez le genre ? L’indus, la noise, le harsh et le metal, moulés ensemble dans la même louche et balancés à l’aveugle ? Voilà.
Sur la deuxième partie de Waking In The Reservoir White Suns se permet toutefois quelques variantes et autres coquetteries d’artistes. En début de face B Voyeur est bien dans la droite lignée de tout le début de l’album mais le morceau titre – faut il y voir comme une profession de foi ? – démarre pas quelques variations pour grincements et stridences qui s’épanouissent au fur et à mesure que quelques impacts percussifs tombent ça et là, sans toutefois basculer dans l’insoutenable (même si vous n’avez jamais bouffé de Merzbow au petit déjeuner). Bedsores c’est à nouveau du White Suns avec voix et instrumentation classique – hum – mais pour la première fois le groupe néglige la confrontation directe ainsi que toute tentative de trépanation à la perceuse électrique en étirant le titre au delà du raisonnable (pense-t-on en premier lieu) mais de façon tout à fait justifiée : ce passage final pendant lequel la musique s’allège enfin pour laisser la place à une atmosphère viciée et donc pas forcément plus respirable que précédemment vous donne des frissons de terreur consentie particulièrement revigorants. Waking In The Reservoir est bien le genre de disque qui vous fait aimer avoir mal.

mercredi 29 juin 2011

Monarch / Sabbat Noir & Sortilège


Certains éprouveraient une certaine lassitude face à la musique de Monarch, finissant par hausser les épaules à chaque fois que le groupe publie un nouvel enregistrement : Monarch ce serait toujours pareil, toujours les mêmes riffs, toujours la même façon de faire monter la sauce et toujours la même façon de placer les voix. Les détracteurs du groupe n’ont pas tout à fait tort, le groupe fait toujours la même chose bien que depuis le tout premier disque en 2004 (un double CD, trois titres seulement…) et le formidable split avec Elyziüm en 2006 le groupe va de plus en plus loin dans la lourdeur et dans la déconstruction par la lenteur de riffs monolithiques et d’ambiances qui parfois n’hésitent plus à flirter davantage avec les flottements lysergiques qu’avec le souffre. Autrement dit la musique de Monarch est de plus en plus fantomatique et terrifiante. Lorsqu’il arrive qu’un riff remonte à la surface, comme celui qui sert de pivot central à la deuxième partie de Sabbat Noir, le résultat est immédiat et foudroyant : Monarch nous entraine aussi loin que possible dans la noirceur et l’innommable – ce disque porte effectivement bien son nom.
Enregistré comme ses prédécesseurs aux studios Amanita par Stephan Krieger, Sabbat Noir est comme toujours un bon album de Monarch et il a cette particularité de nous faire entendre un line-up comprenant pour la première fois Robert MacManus à la batterie (ex Grey Daturas, l’un des groupes les plus regrettés de ces dernières années). MacManus a également publié Sabbat Noir sur son propre label, Heathen Skulls, en vinyle et en CD. Bien que le disque soit paru il y a déjà plus d’une année il reste toujours aussi passionnant car la musique de Monarch, peut être parce qu’elle est extrêmement connotée, finit par gagner un côté intemporel, le groupe étant en quelque sorte devenu la quintessence du doom et du down-tempo.





















Mais ce n'est pas tout : Sabbat Noir a eu une suite inattendue au printemps dernier. Sortilège est un EP ne comprenant à nouveau qu’un seul titre mais cette fois-ci relativement court (onze minutes) et enregistré pendant les mêmes sessions que Sabbat Noir. Ce disque a plus précisément été publié pour accompagner Monarch lors d’une tournée japonaise et australienne mais ne saurait être considéré comme un fond de tiroir ou une banale chute de studio.
Plus que jamais Monarch s’enfonce avec Sortilège dans des terrains évanescents et putrides qui doivent presque autant à la musique ambient qu’au doom. Il ne s’agit pas ici d’un simple et long drone ou d’une plage paresseuse déversant un seul et même son ne variant que trop peu mais d’une construction, répétitive et presque tribale, certes beaucoup plus « cinématographique » qu’à l’accoutumée. On n’en demandait pas tant.





















L’actualité du groupe c’est aussi et surtout sa participation en cette fin d’année (du 21 au 23 octobre) au Supersonic Festival de Birmingham (aux côtés de Tony Conrad, ZU93, Electric Wizard, Scorn, Wolves In The Throne Room, Agathe Max ou Oren Ambarchi – une vraie programmation de malades) et que surtout Monarch s’apprête à publier son tout nouvel album, joie
Pour une fois celui-ci n’aura pas été enregistré aux studios Amanita mais en partie en Australie et au Japon alors que les voix l’ont été à Montréal et que le mix final a été assuré aux Engine Studios de Chicago par Sanford Parker (Minsk, Nachtmystium, Twilight…). Autant dire que ce disque attendu pour la mi-aout risque à nouveau de beaucoup faire parler de lui, seulement on n’attendra pas ici une année entière pour le faire. On peut d’ores et déjà en écouter un court extrait, intitulé Omens.

mardi 28 juin 2011

Report : Unsane versus Raymonde Howard
















Dernier gros concert de la saison 2010/2011 et pas des moindres : les new-yorkais d’UNSANE s’offrent une petite tournée de trois semaines au travers de la vieille Europe et, contrairement à nombre de groupes américains cachetonneurs, ils ne négligent pas notre beau pays et ses charmantes petites villes de province – le groupe a d’ailleurs toujours agi ainsi, son tout premier passage à Lyon datant de novembre 1993 avec en première partie un groupe local qui n’avait même pas encore publié son premier mini album : Condense.
Contrairement à son précédent concert il y a deux ans au même endroit (l’Epicerie Moderne), Unsane est en ce samedi soir au grand complet car même Dave Curran est présent – il avait auparavant été remplacé par Natz, ex Cop Shoot Cop – avec son passeport estampillé de façon tout ce qu’il y a de plus réglementaire et accompagné de cet énorme ampli devant lequel je me suis posté et que je regarde, assez fasciné… Il est hors de question que je rate une seule miette d’Unsane d’autant plus que les américains ont l’air en train grande forme : ils ont parait-il donné d’excellents concerts sur toutes les premières dates de la tournée et, présentement, ils s’activent et se préparent tout bien comme il faut selon des méthodes d’échauffement testées et approuvées de longue date, méthodes qui vont avoir des conséquences incalculables sur la bonne humeur joviale de Chris Spencer et de sa bande – même Vinnie Signorelli se fendra d’une bonne petite blague – ainsi que sur l’ambiance générale du concert, à l’occasion très « muppets » (comme le dira Dave Curran mais je me demande s’il ne voulait pas surtout parler de la partie du public qui n’a pas daigné levé son cul des gradins de toute la durée du set).
















Ils sont donc là tous les trois, après un line check tout ce qu’il a de plus rudimentaire – Dave Curran va envoyer deux ou trois accord qui vont faire hurler de bonheur une bonne partie du public alors présent – le groupe démarre sans hésitation, avec ce son énorme et écrasant qu’on lui connait bien, une saleté à la fois lourde et vicieuse, un groove toujours aussi inimitable sur les (nombreux) mid tempos et qui donne l’impression que le groupe pourrait jouer une chouille plus vite alors qu’en fait non, c’est lui qui a raison, mariant à la fois un état de manque oppressant et la certitude que l’on est juste en train de se faire piétiner.
Unsane va pousser le sens du plaisir vraiment très loin, jouant un maximum de titres anciens, remontant jusqu’au premier album, déballant une collection de vieux tubes tous plus imparables les uns que les autres – Unsane c’est peut être musicalement toujours la même chose mais on reconnait chaque riff, on bondit à chaque intro, on headbangue de plus belle et on assiste tout simplement au concert de l’un des meilleurs groupes de scène encore en activité après plus de vingt années d’activité.
On se laisse alors vraiment aller et on ne fait plus qu’une seule chose, on ne pense plus qu’à une seule chose, on ne vibre que par une seule chose, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane, Unsane.
















En première partie Torticoli a eu la (très) lourde tache de démarrer la soirée. D’abord parce que le trio était un rajout de dernière minute, le groupe initialement prévu (les excellents Neige Morte) ayant du annuler pour cause de batteur soudainement handicapé. Ensuite parce que jouer devant une salle même pas à moitié pleine ne doit pas être évident – il y a des gens qui en ont jamais rien à foutre des premières parties, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, et dans le cas de Torticoli on est pourtant franchement dans la première catégorie. Et enfin parce qu’ouvrir pour Unsane dès son troisième concert ne doit pas être de tout repos pour les nerfs.
Torticoli s’en est pourtant très bien sorti, a donné un concert assez bref mais intense, dans une veine toujours aussi personnelle, un rock instrumental plus influencé par la noise que par les mathématiques, mais le trio nous avait également réservé une surprise : un chanteur a fait son apparition sur deux titres, donnant à la musique de Torticoli une coloration tout autre, bien plus hard core vu le genre de chant pratiqué par ce nouveau venu (qui plus est, pour un braillard, il a un timbre de voix intéressant et il a vraiment assuré vocalement, ne se contentant pas de mettre systématiquement ses cordes vocales dans le rouge). Du coup on sait maintenant que Torticoli peut aussi se montrer beaucoup plus carré et puissant et, plus que jamais, le mélange des genres proposé par ce groupe est des plus passionnants.
















Et maintenant c’est fini ? Pas tout à fait… La personne qui m’a fort gentiment emmener en voiture jusqu’à l’Epicerie Moderne – et qui n’est autre que l’auteur de l’affiche du concert d’Unsane – me propose alors d’aller au Sonic puisque le concert du jour n’y est apparemment pas encore terminé. Le concert en question c’est Raymonde Howard et, renseignements pris, elle n’aurait même pas encore commencé à jouer… Sans être ouvertement menacé physisquement, je sens que je n’ai pas d’autre choix que de suivre le mouvement (l’Epicerie Moderne c’est à Feyzin et Feyzin c’est très loin de Lyon lorsqu’on n'est qu’un pauvre piéton) aussi j’accepte bon gré mal gré cet imprévu du samedi soir même si aller voir un concert de Raymonde Howard après la torgnole infligée par Unsane peut se révéler être une drôle d’idée – mais en même temps c’était aussi une idée assez séduisante.
Arrivé au Sonic, je constate non sans plaisir qu’il y a beaucoup de monde, le toit de la péniche est blindé et j’en déduis que le concert de Raymonde Howard n’a effectivement toujours pas commencé… je déchante en entrant dans la salle puisque notre popeuse stéphanoise préférée à toutes et à tous est déjà sur scène, devant une poignée de spectateurs – il y a plus de
lyonnais
gens dehors que dans la salle.
Pourtant le concert – du moins ce que j’en ai vu – de Raymonde Howard vaut le coup, la jeune femme joue ce soir et peut être bien pour la toute première fois en trio, avec son batteur habituel mais aussi, grande nouveauté, avec une contrebassiste. Cela donne évidemment une toute nouvelle saveur et une dimension différente aux compositions de son bel album For All The Bruises Black Eyes And Peas mais il y a aussi me semble t-il de nouveaux titres que je ne reconnais donc pas. Décidemment Raymonde Howard est pleine de ressources et de (bonnes) surprises.

lundi 27 juin 2011

Katawumpus / La Machoire Déclinante Concasse Des Grenades En Orbite


Voilà un disque – intitulé La Mâchoire Déclinante Concasse Des Grenades En Orbite, j’ai longtemps cherché des contrepèteries mais je n’en ai pas trouvées – voilà un disque, donc, qui a bien failli rater son examen de passage et passer au travers du tamis idéologique, purgatif et hautement sectaire de 666rpm… Si je n’avais pas très récemment (et par un moyen complètement détourné) reçu quelques infos toutes fraiches* à propos de Katawumpus, cet EP de trois titres – qui m’avait pourtant plutôt accroché l’oreille lors de premières écoutes effectuées au moment de son arrivée dans les locaux high-tech de ma petite entreprise de démolition discographique – aurait purement et simplement sombré dans l’oubli, au milieu d’une pile de CD et de CDr, un vrai cimetière.
Commençons par ce qui m’a (peut être) incité à prématurément lâcher la rampe à propos de Katawumpus et de son La Mâchoire Déclinante Concasse Des Grenades En Orbite : le nom du groupe**, le nom du disque, une certaine préciosité et un certain maniérisme*** – oui je ne suis pas tous les jours très chaud pour les expériences trop arty – et puis quoi d’autre encore … ? Et bien rien de rien… Continuons donc avec ce qui me plaisait bien : la pochette faite main, le CDr noir comme un CD pour Playstation, un autocollant pour mon vélo, le tout emballé dans un petit sac congélation doté d’un zip, le genre d’outil très pratique pour conserver les haricots verts du jardin de pépé et mémé à -15° ou pour éviter que la récolte de weed ne s’évente. Finissons par ce qui m’intriguait et m’intrigue toujours : pour être honnête à peu près tout le reste, à commencer par la longueur de cet EP, trente minutes, ce qui nous pousse chacune de ces trois compositions dans les derniers retranchements de la dizaine bien tassée****.





















Katawumpus c’est une chanteuse (vraiment épatante de par ses qualités et sa diversité vocale), un guitariste, une bassiste et un batteur. Une formation somme toute classique pour une musique qui ne l’est guère. Katawumpus aime les guitares qui tranchent – finement –, les rythmiques qui excitent et pourrait, soyons paresseux dans le descriptif, se situer sur une ligne sinueuse qui passerait également par Heliogabale et Berline0.33 ou même Forguette Mi Note et les Banshees. Seulement voilà, Katawumpus a un vice, un plaisir même pas caché, s’étalant au grand jour sur La Mâchoire Déclinante Concasse Des Grenades En Orbite : le groupe préfère imaginer et construire des compositions fleuve – dix minutes, on vous l’a déjà dit, ce qui lorsqu’on fait du noise rock tient purement et simplement de l’inconscience ou, pourquoi pas, de la provocation –, des compositions qui frôlent régulièrement le casse-gueule, flirtent avec le bord du ravin et s’engouffrent dans des plans, pour ne pas dire difficultés, dont il semble impossible de se dépatouiller ou plus simplement de sortir sans en crever aussitôt comme un vrai chien galeux.
Mais Katawumpus pratique l’ambition quand d’autres préfèrent l’agression directe et l’uppercut et le plus fort c’est que cela finit par fonctionner et aboutit à des titres à tiroirs et à rebondissements comme on en entend rarement. Katawumpus serait donc un groupe progressif ? Dans le sens où il faut oublier les structures couplet/refrain ou thème/pont/chorus, alors oui. Et de toute façon le groupe se sera chargé lui-même de vous les faire oublier dare-dare : une fois que l’on est rentré dans ces trois titres, une fois que l’on s’y est bien perdu, cherchant quelques repères rassurants alors que c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire avec ce groupe et sa musique, La Mâchoire Déclinante Concasse Des Grenades En Orbite révèle de bien belles choses, émouvantes et sincères. Sincérité ? Dans ce cas là on oublie aussi définitivement le terme de « progressif » employé juste au dessus car Katawumpus n’est pas un groupe du genre à faire étalage de sa dextérité – ce qui n’empêche pas ses musiciens d’épater plus d’une fois – et à une façon de jouer et à des codes trop embarrassants oppose et privilégie un son charnel et tendu. Katawumpus vacille parfois plus que de raison mais le groupe réussit à produire une musique délibérément torturée et alambiqué qui ne soit ni rébarbative ni trop hermétique. Vivement l’album.

* ces infos les voici : Katawumpus sortira en septembre 2011 son tout premier album (enregistré avec Miguel Constantino) aux Editions Horripeaux… quoi ? chez un éditeur ? oui parce que cet album sera accompagné d’un roman graphique et ça c’est déjà sacrément intrigant
** le groupe explique que Katawumpus est « un ancien mot d’argot anglais qui évoque un parcours en zigzag »
*** vous pouvez aller lire la bio que le groupe a posté sur son monospace, si vous ne l’avez pas déjà lue sur son site
**** OK : à partir de maintenant j’arrête de vous raconter ma vie
***** non, il n’y a pas de cinquième remarque à cette chronique

samedi 25 juin 2011

Revolutions Per Minute / self titled























Aphasia vous connaissez ? Vraiment ? Vous aimez le break core et tous ces trucs épileptiques ? Et bien il semblerait qu’Aphasia ait quelque peu été mis en stand-by et qu’à la place Nicolas Leal (le vrai nom du monsieur et démiurge en chef mais il s'est fait connaître sous l'alias de Jean Ferraille) s’investisse dans un nouveau projet du nom de Revolutions Per Minute. Bruits De Fond avait déjà publié un 12’ d’Aphasia en 2008 et le label remet donc ça pour le premier enregistrement de Revolutions Per Minute, sous couvert d’une nouvelle sous-division appelée Resistance Des Matériaux. Et si vous trouvez l’artwork de la pochette beaucoup trop dégueulasse, alors sachez qu’il est pourtant à l’image d’une musique offensive qui s’enfonce dans vos chairs pour ne plus en ressortir ni vous lâcher.
Mais on arrêtera là les comparaisons entre les deux projets car, musicalement, on ne trouve pas tant de points communs entre Aphasia et Revolutions Per Minute : si le premier vous assommait avec des cascades de rythmes ordonnées selon des algorithmes sans cesse renouvelés et des textures sonores piégées en trois dimensions, le second change d’optique et met la pédale douce au niveau du pilonnage systématique et organisé, les orgues de Staline finissent par s’enrailler et à la place monsieur Ferraille triture littéralement dans la masse rythmique, malaxe, déchire et explose les sons avec un sadisme bruitiste qui évoque aussi bien les débuts de la musique industrielle que le harsh noise le plus radical. Anti Music part 1 placé en début de face B ainsi que Collapsing qui ouvre la face C (car oui ce disque est un double 12’ tournant en 45rpm) évoquent presque un SPK – celui de Information Overload Unit et de Leichenschrei – remixé par un Zbigniew Karkowski sous speed.
Bien sûr on retrouve ici certaines obsessions rythmiques plutôt malveillantes mais ce que l’on retiendra surtout d’un titre tel que Anti Music part 2 c’est ce sifflement aigu aussi perturbant qu’une fraiseuse électrique et dominant des beats lancés à toute vitesse les uns contre les autres et se fracassant dans des gerbes aveuglantes et d’intenses collisions électriques, tout comme Multiphonics met l’accent sur des grincements à la limite de l’intolérable tandis que les pelleteuses digitales ramassent déjà les restes de nos vieux os brisés. On pourra finalement peut être carrément regretter que la disparition totale des rythmiques – même fracassées – n’ait pas lieu dans un processus d’extrusion malade et cannibale mais Revolutions Per Minute s’impose comme un démon tératogène de premier ordre. Les oreilles saignent, la chair souffre et se transforme, un peu comme le personnage principal de Tetsuo mutant en un pantin de metal disloqué.
Pour réaliser ce disque sans titre, Nicolas Leal/Jean Ferraille a très peu fait appel à des samples (on remarquera toutefois quelques voix comme celle de Contre) pour se concentrer sur des vieilles machines analogiques. Quelle différence me direz-vous ? Et bien, au delà de ces sons qui bouillonnent et qui explosent sans cesse, on apprécie la chaleur – relative – qui s’échappe de ce disque et de son fracas nauséeux. On goûte ainsi davantage aux sons de cloche de Sub Natural ainsi qu’à la totalité d’une face D sur laquelle Revolutions Per Minute semble pour la première fois lever le pied et vouloir nous laisser respirer. La musique n’en est pas moins inquiétante car elle est toujours aussi malsaine, à l’image de ce chant d’allumé que l’on peut entendre sur Cauchemar.

vendredi 24 juin 2011

Pygmy Shrews / You People Can All Go Straight To Hell






















 Dès le début du disque, il est bien difficile d’admettre qu’il s’agit là des Pygmy Shrews que l’on connait déjà, ceux d’un premier album – The Egyptian – et d’un single fantastiques, les deux respirant quelques relents noise et no-wave (mais pas trop) comme on les aime. Avec You People Can All Go Straight To Hell, changement de décor, le groupe est toujours le même (Ben Greenberg de Zs à la guitare et au chant, Tia Vincent à la basse et au chant ainsi que Jeremy Villalobos, ex Drunkdriver, à la batterie) mais les Pygmy Shrews ont décidé de faire table rase du passé, au moins du leur, et de (re)mettre en avant tout ce qu’il y avait de plus basiquement punk dans leur musique. Exit donc les éventuelles dissonances de la guitare (sauf au moment de quelques rares solos), exit les tempos ralentis et collant, au mieux on se tape du mid (No Supplies ou Proper Happiness) et bienvenu dans la furie dévastatrice qui fonce « straight » dans le tas sans passer par la case centrifugeuse.
L’effet de surprise passé – parce qu’en général c’est tout le contraire qui se produit : des sales groupes de punk qui se prennent tout à coup pour des artistes, ralentissent la cadence et, pire, se mettent à chanter normalement des mélodies ricanantes – la perplexité s’installe, s’incruste bien fort et finit par rester, telle un glaviot visqueusement gras utilisé pour tenter de redresser encore plus une mèche de cheveux rebelle. Rien à redire à propos de No Supplies malgré ce refrain un peu couillon sur lequel Tia vient soutenir Ben, doubler la voix du guitariste sera malheureusement la seule contribution vocale de la bassiste, chose qu’elle réédite sur un AM Breakout pas très passionnant mais efficace. Rien à redire non plus sur Snake Eyes, Total Bowl, Proper Happiness et le très court Stains, les Pygmy Shrews se la jouent punk as fuck. Très bien. Mais je préférais avant. Ou alors il manque quelque chose – un soupçon d’idées supplémentaires dans le processus de composition ? un son vraiment dégueulasse pour booster tout ça à l’énergie crasse comme sur le second et posthume album de Drunkdriver ? – mais en fait je n’en sais foutre rien. La seule chose que je sais, c’est que cet album, tournera malheureusement moins fréquemment à la maison que son prédécesseur.
Attendez, attendez… pour l’instant on n’a parlé que de la première face, pas vrai ? Et bien la seconde est entièrement occupée par Fuck The Law, un titre instrumental de quelques douze minutes ressemblant à une grosse jam. Je connais un groupe qui aux alentours de l’année 1984 avait déjà fait le pari de terminer son double album par un long titre instrumental*, ce qui à l’époque avait terrifié (parce qu’incroyablement choqué) les puristes de la cause punk/hardcore. Aujourd’hui ce serait presque une boutade, personne n’a plus peur de passer pour un sale connard d’instrumentiste qui se la touche et c’est là précisément que va se réveiller tout le talent de Pygmy Shrews puisque le groupe envoie Fuck The Law directement dans le rouge des vumètres, objectif burnes, et réveille un disque d’une fureur bien plus intéressante et jouissive que celle s’étalant sur la première face du disque. Ce Fuck The Law sauve donc You People Can All Go Straight To Hell d’un (relatif) oubli prématuré et on rectifie tout de suite : ce deuxième album de Pygmy Shrews tournera presque aussi souvent que le premier mais on n’en écoutera principalement que la seconde face, très (très) fort qui plus est.
* Hüsker Dü pour ne pas le nommer, album : Zen Arcade, titre : Recurring Dreams

jeudi 23 juin 2011

Honey For Petzi / General Thoughts And Tastes






















Une fois n’est pas coutume, commençons cette chronique de General Thoughts And Tastes d’Honey For Petzi (c’est quelque chose comme le sixième album du trio suisse, déjà) par une citation en bonne et due forme du mode d’emploi/biographie jointe avec le disque : « Les oreilles avisées croiront peut être y déceler l’efficacité pop d’un Pinback, l’art mélodique osé du Genesis de Musical Box ou les synthés vintage de la french touch ». Le service Propagande & Mensonges de 666rpm m’aurait incité à bêtement recopier* de telles assertions que je me serais étranglé de rage dans la seconde. Pinback, passe encore… mais Genesis (en l’occurrence celui où Peter Gabriel et Steve Hackett en étaient encore les chanteur et guitariste) ainsi que la french touch doivent bien faire partie des deux ennemis jurés parmi les plus honnis de toute la galaxie musicale contre laquelle je me bats tous les jours, seul contre tous, ta gueule.
Mais tout est dans ce « peut être » qui laisse quelques portes suffisamment ouvertes pour ne pas avoir envie de les refermer tout de suite. Honey For Petzi était programmé lors de la première édition du festival Africantape, le vendredi 29 avril 2011 à Lyon, et celles et ceux qui ont assisté à ce concert** en sont pour la plupart ressortis enchantés, seuls quelques grincheux ont osé élever la voix et quelques protestations mais s’agissant de vieux noiseux hystériques et traditionnalistes, cela ne compte pas. Pour ma part, je n’ai pas pu assister à ce concert pour des raisons purement techniques et je le regrette encore...
Je le regrette d’autant plus que General Thoughts And Tastes est un disque merveilleux de pop aérienne, élégante et lunaire. On connaissait les Honey For Petzi plus férus de math rock et autres pignolades pour extrémistes musicaux n’acceptant la virtuosité musicale que sous certaines conditions, on redécouvre le trio sous un jour enchanteur, subtilement ensorcelant et magique. Faire de la bonne pop ce n’est pas donné à tout le monde – alors que nombre d’incapables prétendent en faire – or voilà un groupe qui se réinvente effectivement quasiment totalement entre constructions mélodiques doucereuses et harmonies célestes (Strategy, Bravery, Honour ou Made Of Concrete), délaissant totalement les gimmicks chers à l’ancien Honey For Petzi, celui où les tourneries et alambicades fleurissaient à chaque coin de titre.
On pense parfois à Blonde Redhed – pas celui des débuts, ni celui de maintenant mais celui entre les deux, d’un album comme Melody Of Certain Damaged Lemons, une limite au delà de laquelle le groupe new-yorkais n’aurait jamais du se risquer – et c’est même flagrant sur It Comes From Within. Handmade Cloaks et Late Night Tale évoquent plus volontiers le Gary Numan de Tubeway Army (entre l’album Replicas et The Pleasure Principle) alors que Strategy, Bravery, Honour serait comme du Bowie en pleine transition entre glam désincarné et rêve berlinois. Rajoutons même, uniquement pour le plaisir, le très Lennonien Faces. On admettra que derrière ce déluge de références plus ou moins prestigieuses mais incomparablement moins nauséabondes que Genesis***, Honey For Petzi excelle en matière de compositions pop et surtout de l’interprétation de celles-ci. Malgré son titre et sa pochette de conférenciers universitaires, General Thoughts And Tastes ne généralise jamais (sauf certains bonheur tels que l’émotion et le sourire béat qui l’accompagne nécessairement) mais au contraire va droit au but, aussi franchement mais délicatement que possible. Un vrai petit bijou.
* ce qui est une pratique courante, il n’y a pas très longtemps je suis retombé sur cette coupure de presse concernant le deuxième passage de Turbonegro au Pezner en 1998 et que j’avais religieusement conservé en vue d’éventuelles poilades futures, ce qui n’a pas manqué de se produire
** cette vidéo a été filmée et montée par Lionel DarkGlobe, merci à lui
*** mais puisque vous semblez insister… un point commun, même tiré par les cheveux, entre David Bowie et Genesis ? Et bien Phil Collins a joué sur l’album Another Green World de Brian Eno

mercredi 22 juin 2011

Anne-James Chaton / Evénements 09



















Les enregistrements d’Anne-James Chaton sont plutôt rares mais on peut entendre sa voix sur l’album Unitxt d’Alva Noto, sur le titre In The Event de l’album Turn de The Ex – il vient d’ailleurs de publier deux 7’ enregistrés en compagnie d’Andy Moor – et si on a la curiosité d’aller faire un petit tour du côté des Editions Al Dante, on pourra découvrir quelques unes de ses autres productions (livres ou disques). Evénements 09 est le nouvel enregistrement d’Anne-James Chaton, un CD publié par Raster-Noton, le label de Carsten Nicolai/Alva Noto justement, label connu pour être à la pointe de l’electro minimaliste expérimentale.
Anne-James Chaton est-il pour autant un musicien ? Non, pas vraiment. Est-il un poète sonore ? Déjà plus, bien qu’un poète et, à plus forte raison, un « poète sonore » soit une notion bien difficile à définir. Anne-James Chaton, joue avec les mots, leurs sonorités, leur sens parfois (mais beaucoup plus rarement et en tous les cas pas dans le sens de « jeu de mots ») et leur juxtaposition, les répétitions, les mises en parallèles, les croisements… En cela il crée de véritables architectures sonores à l’aide de phonèmes, de mots, de phrases, lesquel(le)s prennent précisément sens au sein de cette construction. Lorsqu’on lit les textes d’Anne-James Chaton figurant dans le livret qui accompagne Evénements 09 on est frappé par le côté énumération sans queue ni tête et inventaire. Mais à la différence des inventaires à la Prévert qui faisaient naître une douce poésie absurde de la juxtaposition tantôt incongrue tantôt loufoque (mais en apparence seulement) de listes de mots et d’expressions, les constructions d’Anne-James Chaton sont elles basées sur les rythmes et les séquences, séquences d’où émergent un mot ou un bout de phrase qui prend alors un sens évident, soit politique (souvent) soit relevant d’un lien plus affectif ou pourquoi pas traumatique lié avec un évènement ou l’actualité d’un jour précis.
Anne-James Chaton est donc bien un compositeur et sa diction monocorde est le socle d’une rythmique abstraite. Les sujets choisis sont volontairement occultés par les titres des neufs pièces proposées ici (qui se nomment toutes Evénement n°… suivi d’une date) mais vous sautent aux oreilles comme ils vous collent à l’esprit – tous ont trait à l’année 2009 comme Evénement n°26 en rapport avec l’Afghanistan, Evénement n°23 qui évoque la mort de Michael Jackson, Evénement n°25 celle de Pina Bausch, Evénements n°28 qui parle du sommet du G20 à Pittsburg, Evénement n°21 pour l’investiture de Barack Obama, etc. Anne-James Chaton réussit alors le périlleux exercice de pointer du doigt et de montrer sans pour autant jouer les prédicateurs ou les moralistes mais donne de curieuses résonnances aux flots d’actualités et d’informations qui nous submergent chaque jour. Sa démarche, presque journalistique, est finalement bien plus subtile et plus fine que les implications parfois irritantes d’une « musique » aussi envahissante que monotone.

mardi 21 juin 2011

Cyclo. / Id





















C’est presque une surprise : dix ans exactement après un premier album sans titre et à l’emballage futuriste, Cyclo. revient avec un tout nouvel album, Id. Cyclo. c’est un peu la dream team de l’electro minimale puisque le duo n’est autre que la réunion de Carsten Nicolai aka Alva Noto et de Ryoji Ikeda – alors autant dire que sur papier on n’a jamais rêvé mieux que ce groupe.
Mais aussitôt un tel disque soulève quelques interrogations : le style dans lequel évoluent les deux hommes est tellement similaire, les deux musiciens ont une façon de composer tellement identique que l’on peut se demander quel est l’intérêt d’une telle entreprise. Car, n’y allons pas non plus par quatre chemins, ni Alva Noto ni Ryiji Ikeda ne s’embarrassent ici réellement de nouveautés ou de digressions stylistiques, nos deux jumeaux musicaux restant parfaitement fidèles à l’esprit et la forme d’une musique qu’ils ont pleinement contribué à mettre en place pour ne pas dire inventer il y a environ une quinzaine d’années. En clair, on aurait directement affaire à un album solo d’Alva Noto ou de Ryoji Ikeda que l’on y verrait que du feu. Impossible également de dire qui a fait quoi sur ce disque, la patte de l’un se confondant parfaitement avec l’autre.
Pourtant Id n’est pas une véritable déception en ce sens que l’on sait depuis longtemps que l’un comme l’autre des musiciens est parfaitement incapable de sortir de son univers habituel – mis à part peut être Alva Noto lorsqu’il a collaboré avec Ryuichi Sakamoto pour une petite poignée d’albums aussi beaux que redondants – mais on en attendait tout de même un peu plus… réécouter le tout premier album de Cyclo. n’apporte d’ailleurs pas grand-chose non plus à l’affaire car si à l’époque (2001) on pouvait encore s’ébahir de ce genre de musique froidement digitale et aux répétitions cérébrales, musique que l’on découvrait alors comme en état de grâce, aujourd’hui on en a vus et surtout entendus beaucoup d’autres, parfois les élèves ayant même à l’occasion dépassé les maîtres (Byetone).
Mais trêves de critiques : Id, malgré son côté déjà entendu, borné et prévisible, est un excellent disque. Non seulement il s’améliore au fil de son écoute – s’il peine à convaincre à son début il se révèle excellent sur sa seconde moitié – mais surtout il se bonifie au gré des écoutes successives. On croit remarquer qu’il est légèrement plus axé sur les cassures et fractures sonores que les autres travaux de Ryoji Ikeda et surtout d’Alva Noto, développant ces effets de boules de flipper rebondissantes et virevoltantes qui ont peut être donné son nom au duo (il est facile d’établir une analogie avec des trajectoires sphériques qui se recouperaient en plusieurs points, un peu ce que montrent les schémas pseudo explicatifs inclus dans le livret du premier album). Mais c’est bien tout. Ce qui règne ici c’est une sorte de mécanique digitale régulièrement perturbée et déviée par des accidents sonores qui à leur tour prennent eux-mêmes la place de la mécanique originelle.
Détail amusant, Id existe également sous la forme d’un vinyle 12’ de couleur blanche, contenu dans une pochette entièrement transparente et qui contrairement au CD 11 titres ne compte que quatre plages. L’objet ne comporte ainsi que les titres Id #3, Id #5, Id #6 et Id #9 et les deux faces tournent à la vitesse de 45rpm. Les geeks et obsédés monomaniaques auront bien évidemment remarqué que sur la deuxième face les titres Id #6 et Id #9 ont tout simplement été inversés au pressage.

lundi 20 juin 2011

Jello Biafra & The Guantanamo School Of Medicine / Enhanced Methods Of Questioning






















Jello Biafra a 53 ans et il pète la forme. A tel point que je deviendrais presque impatient de dépasser enfin les cinquante printemps, d’avoir un plus gros bide encore et de pouvoir toiser toujours plus durement les petits merdeux qui me disent que c’était mieux avant. Ah les cons. Avec son groupe The Guantanamo School Of Medicine Jello Biafra a publié, sur son propre label Alternative Tentacles, un deuxième disque, intitulé Enhanced Methods Of Questioning. Le groupe est toujours composé de Ralph Spight (des géniaux Victims Family) et de Billy Gould (des abominables Faith No More) plus deux autres types (Jon Weiss et Kimo Ball). The Guantanamo School Of Medicine : un groupe, un vrai et bien supérieur à ce qu’il nous avait démontré jusqu’ici.
On aimait bien The Audacity Of Hype, malgré ses quelques défauts. Et puis un Jello Biafra toujours capable de faire couler son fiel avec autant de véhémence et d’à propos alors que le premier album des Dead Kennedys date déjà de trente années c’était plutôt inespéré. Enhanced Methods Of Questioning est encore meilleur que son prédécesseur. Du moins sa première face est formidablement ébouriffante et vivifiante, à commencer par ce Dot Com Monte Carlo emmené par un riff aussi énorme que jouissif et sur lequel Biafra assaisonne notre pauvre monde moderne à sa sauce. The Cells That Will Not Die est (peut être) moins percutant question riffage mais il démontre que Enhanced Methods Of Questioning a une excellente production, aussi bien torchée que celle de The Audacity Of Hype mais moins ampoulée, plus efficace et plus vive. Quelques percussions métalliques ou voix féminines attirent l’attention alors que Victory Stinks clôture cette première face parfaite de bout en bout, exactement le genre de perfection qui vous donne envie de ressortir vos vieux albums des Dead Kennedys, non pas pour faire la comparaison mais parce que l’on aime tellement cette musique que l’on veut en écouter toujours davantage.
Il fallait s’y attendre, sur la face B de Enhanced Methods Of Questioning Jello Biafra et ses boys se livrent au petit péché mignon de leur chef : le mid tempo qui racle, l’hymne punkoïde qui déchire (Invasion Of The Mind Snatchers). Puis le groupe continue dans cette veine, ralentissant encore la cadence sur un Miracle Penis Highway dont on a déjà peur qu’il se révèle trop long. C’est presque une constante chez Jello Biafra, le titre (inter)minable placé en fin d’album… heureusement Miracle Penis Highway et son riff quasi stoogien sauvent les meubles et ne viennent pas gâcher un disque qui va, c’est sûr, alimenter une bonne partie de l’été à venir.
Enhanced Methods Of Questioning ne comporte que cinq titres parce que c’est un mini album, ses deux faces tournent à la vitesse de 45rpm et un coupon permettant de télécharger librement l’intégralité du disque dévoile également une sixième plage intitulée Metamorphosis Exploration On Deviation Street Jam, un truc qui serpente pendant plus de 18 minutes et que je n’ai pas eu le courage d’écouter malgré son intro bluesy et halloweenienne. J’ai préféré remettre encore et encore les deux faces de ce très bon petit disque.

samedi 18 juin 2011

Construction Souterraine #1


J’ai toujours eu tendance à trouver suspect cette volonté de regrouper autant de groupes que pouvait en contenir une ville ou un misérable bout de terre sous l’appellation de « scène » : on en arrive forcément à des raccourcis trompeurs et l’œcuménisme, c’est quand même une notion tout juste bonne pour les curés de gauche.
Dans le cas de la compilation Construction Souterraine # 1 (sous-titrée Comme L’Eau Forte Sur Le Fer), la démarche ne me parait somme toute pas réellement différente mais il y a aussi et surtout ce texte de présentation signé par les garçons des deux labels responsables de cette parution et auprès de qui vous pouvez vous la procurer (il s’agit de Fireworks recordings et de La Face Cachée), un texte qui nous donne les informations exactes et vitales concernant l’existence du projet. Intitulé Une Ville, Une Scène, il s’agit en effet d’un véritable manifeste contre l’ensevelissement et l’étouffement généralisé orchestrés par la culture officielle et les politiques culturelles, qu’elles soient locales ou autres. J’aime particulièrement ces deux passages : « comme l’eau forte sur le fer, à faire des trous dans les fondations de cet intouchable édifice que représente la culture dominante » et « Metz est une ville comme les autres, en cela que ses habitants en sont dépossédés ».
Ah oui… c’est parce que Construction Souterraine compile uniquement des groupes messins (« Metz Noire » disent-ils aussi) mais n’importe qui pourrait se retrouver dans ce texte, que l’on habite à Lyon, Montpellier, Lille, Bordeaux ou Nantes : diffuser l’art – et plus particulièrement ici la musique – en faisant fi du formatage et des contraintes « idéologiques » et matérielles imposées par la culture de masse (que le texte oppose avec subtilité et intelligence à la « culture populaire ») est une chose bien difficile et courageuse de nos jours. Choisir en toute bonne conscience la méthode do it yourself et les relais des réseaux alternatifs et parallèles ne pourra jamais devenir un luxe ni une posture, bien que certaines et certains aient déjà essayé d’endosser cette façon de faire uniquement pour des raisons égotiques et le referont certainement encore. Plus que jamais, c’est la nécessité et le combat qui imposent le DIY quasi systématiquement ; il n’y a en effet aucune autre solution si on veut vivre son indépendance tout en partageant sa passion. Et je ne vous dirai même pas ce que je pense de ces « évènements culturels » qui sont financés sur le budget « évènements » des municipalités et dont on mesure l’« utilité » comme on mesure les embouteillages lors des départs en vacances, en comptant le nombre de participants présents, sans se soucier s’ils ont pu voir, entendre, apprendre ou même penser quelque chose.





















Construction Souterraine #1 - Comme L’Eau Forte Sur Le Fer propose donc dix groupes de Metz. Tous les titres gravés ici sont réputés inédits. Sur la première face on découvre Jack Cat & The Devils dont le garage rock’n’roll est des plus convaincants. Das Bunch et son How To Keep His Dignity In The Middle Of The Mess ? l’est tout autant, mais dans un registre bien plus punk et nerveux. Suit Nothing At All de The Feeling Of Love – si on s’est intéressé à Construction Souterraine #1 c’est d’abord à cause de ce groupe. Nothing At All a apparemment été enregistré dans sa chambre par le seul guitariste/chanteur de The Feeling Of Love, comme aux débuts du groupe, et de fait le son est aussi méga lo-fi que méga jouissif. Par contre St John Silver et son Nuclear Power Generator Of Beauty (pourtant doté d’un titre confortablement débile comme je les aime) se montre assommant après seulement quelques mesures – le seul avantage du pub rock c’est qu’on peut boire de la bière en même temps. En fin de face, Thee Verduns charment toujours autant avec leur cabaret bancal et désaxé porté par une contrebasse rachitique mais vibrante et un chant (féminin et masculin) aussi maladroit qu’émouvant.
On continue avec la face B. Les Wad-Billies souffrent du même syndrome que St John Silver sauf qu’on se situe plus du côté du rockab alterno que du pub rock seventies. Puis débarque Le Singe Blanc avec son inédit à lui, Gru… Un inédit ? Vraiment ? Pourtant on croit reconnaitre cette composition mais une rapide vérification de la discographie du groupe permet de se rendre compte que peut être que non, en fait… l’identité du Singe Blanc est tellement perceptible et reconnaissable entre mille (même si ce Gru est loin d’être le meilleur titre du groupe) qu’on s’est fait avoir. Merci pour les grimaces. Le Cœur Noir et son Darkness sont vraiment encore un peu tendre mais on s’y fait : je suis toujours attablé au comptoir du même pub que tout à l’heure mais je crois bien que je vais enfin me décoller un peu pour voir ce qui se passe sur scène (sauf que le chant en français a tendance à réfrigérer mes ardeurs de connard). Bien que jouant du gros rock’n’roll qui tâche avec un chanteur shooté à la reverb qui se prend pour le fils illégitime de Jeffrey Lee Pierce et de Jon Spencer, The Swamp relève honorablement le défi – je crois qu’en fait j’ai toujours aimé la musique de vieux. Reste Kkang, one man band qui sent le souffre et se lance dans un pastiche melvinsien (sans imitation du chant de Buzzo, dommage) qui doit bien faire rire les copains mais seulement eux.
Ajoutons que Construction Souterraine est un objet absolument magnifique : vinyle blanc (pour les cinquante premiers exemplaires), pochette soignée et documentée, surpochette sérigraphiée avec art, belle illustration et donc on a bien remarqué le #1 en bas à gauche, annonciateur d’une suite, un jour, peut être…

vendredi 17 juin 2011

Fordamage / Belgian Tango


Belgian Tango
est le deuxième album de Fordamage, publié en 2008 chez Kythibong. 2008… soit un gouffre temporel en matière de musique, un laps de temps suffisant en tous les cas pour tout oublier d’un disque, de la musique qu’il contient et pour se dire, après une réécoute aussi tardive que dilettante « non mais qu’est ce que c’est que cette horreur ? comment ai-je pu écouter ce disque ? comment ai-je pu aimer ce groupe ? rhââââ la honte, il faut vite que je me débarrasse au plus vite de cette chose aussi encombrante que préjudiciable à ma réputation d’homme de bon goût ».
Voilà… Tu écoutes des disques à la chaine, tu chroniques à la vitesse de l’éclair, tu distilles du jugement de manière aussi péremptoire qu’inappropriée, tu es profondément injuste, tu craches sur des disques que quelques mois ou quelques années plus tard tu trouveras positivement excellents – alors qu’à l’époque tu les avais jugés tellement merdiques que pour l’affirmer haut et fort tu avais déployé des trésors de méchanceté qui t’avaient alors valu le courroux de quelques uns mais l’admiration de tous les amateurs de bons mots – ou alors tu encenses des groupes innommables mais tu ne t’en rends même pas compte, lorsque tu le feras ce sera trop tard, ce sera la honte ultime et tu n’auras plus, si tu n’es qu’un pauvre webzinard ou un blogueur obscurantiste, qu’à effacer la dite chronique de ton site que personne d’autre que toi ou quelques uns de tes potes chômeurs ne lit, hop, ni vu ni connu, comme si de rien n’était, vive le réajustement dialectique, les bienfaits du politburo, la propagande de la vérité absolue et indéfectible. Car oui, comme le disait l’autre, les chroniqueurs de disques sont de sacrés trous du cul. Mais ils aiment ça. J’aime ça. Donc je continue.





















2008 c’est donc l’année de la première parution de Belgian Tango, aujourd’hui réédité en vinyle, évidemment sur le même label. Que l’on se rassure, ce disque est toujours aussi bon, on apprécie toujours autant Fordamage et, trois ans après, on se dit que l’on a été bien inconstant et bien idiot de ne pas avoir réécouté cet album un peu plus souvent. On regrette seulement que le groupe n’ait pas réellement quelque chose de neuf à nous proposer bien que sur ce LP il y ait une version réenregistrée de Clean Dirty Water – oui on veut un nouvel enregistrement, du concret quoi, mais mon petit doigt me dit que cela ne saurait peut être tarder.
Pour celles et ceux qui auraient raté les premiers épisodes – un premier album sans titre certes moins réussi en 2006 puis ce Belgian Tango totalement revigorant bien que touffu – Fordamage c’est quatre jeunes gens qui pratiquent une noise offensive et spectaculaire mais toujours pleine de ressources, bien proportionnée, haletante et hérissée de toutes parts, jamais inutilement tarabiscotée ou ostentatoire mais toujours avec non pas une certaine délicatesse mais des surprises qui surgissent ça et là, des (bonnes) idées qui fusent pour un noise rock toujours offensif et urgent, rarement caressant quoi que finaud à l’occasion et définitivement trépidant.
On reconnait certains emprunts à The Ex – cette fin surprise sur Minefield & Cannonmen, quelques réminiscence également sur Blitz To Target ou Clean Dirty Water, surtout dans son ancienne version – alors que Bounce Up ferait plutôt carrément penser à du Chinese Stars. Mais surtout Fordamage reprend à son compte ce son que l’on aime tant, la basse omniprésente qui claque et les guitares qui tranchent vif et bien (Monosourcil est il réellement un hommage velu à Todd Trainer ?). On se délecte de ces dix compositions rondement menées qui alternent expositions mélodiques et explosions soniques, du travail d’orfèvre mais surtout un intérêt jamais démenti. On apprécie la complémentarité des voix car oui il y a une fille dans le groupe et elle ne fait pas que jouer de la guitare (désolé, pas de blague machosexiste sur les filles bassistes dans les groupes de rock cette fois ci).
L’autre intérêt de ce LP – en dehors du fait qu’il permet comme tous les LPs d’admirer en grand la superbe illustration de la pochette – laquelle illustration est précisément l’œuvre de la guitariste/chanteuse de Fordamage, on parle toujours de la même personne – c’est donc une version rallongée de Clean Dirty Water enregistrée en concert au Ferrailleur de Nantes en compagnie des Wagys c'est à dire une tripotée de musiciens et amis du groupe parmi lesquels on reconnait (dans le désordre et parfois de manière totalement incestueuse) des membres de Room 204, Papier Tigre, Pneu, Papaye, Marvin mais aussi un Healthy Boy ou un ingénieur du son renommé. Du beau linge et une partouze sonique fort réjouissante bien que, fort malheureusement, le fuckfest d’after concert n’a pu être filmé. Le tango belge, c’est un peu comme le pot du même nom, on ne sait pas trop ce qu’il y a dedans mais les effets sont radicaux.

jeudi 16 juin 2011

Report : Kandinsky et DDJ à Buffet Froid























Voici le premier concert dans la cave de Buffet Froid auquel j’assiste depuis que ce tout nouveau magasin de disques a ouvert ses portes et s’est installé dans l’ancien local de la librairie Grand Guignol sur les pentes de la Croix Rousse à Lyon. J’en profite pour faire un petit tour d’inspection/repérage/marquage de territoire dans les bacs et les rayons car depuis ma toute première visite quelques semaines auparavant le lieu a bien évolué, ressemble désormais à un vrai magasin et non plus à un chantier/squat décharné/appartement témoin d’un immeuble albanais : il y a plus de disques en vente, la présentation reste sobre mais efficace, un rayon bouquin intéressant et un peu de déco sur les murs ont également fait leur apparition – le nouveau locataire des lieux prend son temps pour faire les choses mais les fait bien.
Il n’empêche que cela fait vraiment plaisir d’avoir maintenant un vrai endroit dans cette ville consacrée aux musiques bruyantes, expérimentales, de travioles et autres – c’est aussi toujours très excitant de fouiller dans des bacs et de constater que l’on ne connait même pas la moitié des trois quarts des références proposées. Pourvu que ça dure… En attendant le concert du jour je patiente avec quelques autres aficionados sur le pas de porte de Buffet Froid et nous devisons paisiblement mais scientifiquement sur les bienfaits curatifs de telle ou telle lotion capillaire anti-calvitie. Une banale conversation de trentenaires déjà bien tassés et de quarantenaires dilatés.






















Ce soir nous allons pouvoir revoir les freeteux de Kandinsky moins de deux semaines après le formidable concert que le groupe a donné au Sonic pour une soirée Gaffer records et surtout nous allons découvrir DDJ, autre trio free, tout auréolé d’une solide réputation de foutraquerie homologuée. La cave de Buffet Froid porte désormais bien son nom parce qu’elle est d’une fraicheur plus que bienvenue en cette saison. L’ambiance est en outre plutôt glauque car il n’y a aucun éclairage digne d’un concert, pas de spots ou de lumières indirectes, uniquement une pauvre ampoule électrique qui pendouille lamentablement de la voute en pierres, éclairant le lieu d’une lumière blafarde de cuisine familiale un matin d’hiver.
Place donc à Kandinsky soit Yoann Durant aux saxophones, Mathieu Peyraud à la basse électrique et Sheik Anorak/Franck Gaffer à la batterie. Contrairement au concert d’il y a quinze jours en compagnie de Mario Rechtern, le trio va éviter les attaques trop frontales et préfèrera développer une longue plage d’improvisation démarrant certes franchement mais on décèle rapidement chez Kandinsky la volonté de jouer sur les détails, la modulation, les manipulations, les crissements, bruits de tuyauterie et de bouche, vibrations, échos, tintements ou même silences. Le concert privilégie donc l’écoute à l’ébouriffade, l’attention à la tension bien que Kandinsky, quand même toujours fidèle à son credo d’explosivité, termine sur un long passage très rythmique et répétitif avant d’éteindre – presque en l’étouffant – le feu qu’il avait lui-même allumé. J’ai déjà envie de revoir le groupe en concert.
















Les DDJ, je ne les connais pas et je n’ai jusqu’ici presque rien entendu de leur musique mis à part quelques bribes mises en ligne sur des sites communautaires où la musique est aussi compressée que le budget de la Grèce après le remboursement des intérêts de la dette aux investisseurs privés qui avaient daigné prêter des sommes colossales à des conditions prohibitives uniquement par grandeur d’âme et charité financière. La seule chose donc que je connais de DDJ c’est ce dynamique batteur à lunettes – Yann Joussein – croisé au sein d’Heretic Chaos (toujours lors de la soirée Gaffer du 2 juin dernier au Sonic) et Julien Desprez, guitariste de son état et entendu uniquement sur disque dans des formations telles que Linnake et surtout IRèNE. Je me sentais tout excité comme une puce rien qu’à l’idée de découvrir, pour la première fois en concert, ce jeune homme et son jeu de guitare.
Mais, soyons honnête, si je n’ai absolument pas été déçu par monsieur Julien Desprez, DDJ est surtout un vrai groupe où tous les musiciens jouent ensemble, une alchimie convaincante et entrainante. Il y a en particulier Benjamin Dousteyssier, saxophoniste qui ne joue que du baryton et développe un son puissant et légèrement distordu à vous éclater les tympans. La tornade free, c’est donc DDJ qui va l’assurer ce soir, de bien belle façon. Le trio fait partie de ces formations que l’on rejette systématiquement dans la catégorie free jazz mais qui pourraient convenir à tout fanatique de noise et/ou d’expérimentation un tant soit peu ouvert d’esprit et curieux. J’ai cru comprendre que le groupe enregistrait – ce qu’il a d’ailleurs effectué pour ce concert donné à Buffet Froid – afin de publier un deuxième album, un disque que désormais je suis extrêmement curieux d’entendre et de découvrir lorsqu’il sera enfin publié.
On ne peut également que se rejouir de revoir bientôt Julien Desprez en concert mais cette fois-ci aux côtés d’IRèNE, ce sera lors de la quatrième édition du festival Expérience(s) au Périscope du 7 au 9 juillet – on en reparle très bientôt.

mercredi 15 juin 2011

Liturgy / Aesthethica






















Et voilà donc Liturgy qui débarque, quatre gamins avec des gueules d’anges et des ventres plats, en provenance directe de Brooklyn, New York City, la sensation forte du moment entend-on de toutes parts. Du black metal expérimental pour la jeunesse assoiffée de nouveautés trépidantes, pour les musicologues avertis mais aussi pour les gens chics et de bon goût, donc exactement pour des gens comme moi. Lorsque j’écoute Aesthethica, le deuxième album (double) de Liturgy sur Thrill Jockey, j’ai cette impression que le groupe déverse son flot musical et bruyant en me regardant bien droit dans les yeux, comme pour me dire que ma vie va enfin changer, que la lumière et la vérité vont désormais enfin s’offrir à moi, que le monde qui m’entoure va se parer d’un nouveau voile de beauté sulfureuse et révolutionnaire. D’ailleurs ce disque ne porte t-il pas ce titre, prétentieux entre tous, d’Aesthethica ?
Liturgy c’est d’abord un mini LP en 2008 et enregistré par le seul Hunter Hunt-Hendrix – je vous dis tout de suite que c’est son vrai nom et que s’il faut se moquer de quelqu’un ce n’est pas de ce pauvre garçon qui se serait choisi un pseudonyme aussi ridicule mais de ses parents qui n’étaient apparemment que des pauvres hippies attardés – puis un formidable album, Renihilation, en 2009 sur le label 20 Buck Spin. Liturgy c’est aussi une absence totale de présence en concert, un charisme d’huître et de canette vide de bière crust réunies, bref un moment de flottement pendant lequel on se dit que l’on aurait mieux fait de rester à la maison, à écouter les disques (ou les mp3) terriblement fort pour réussir à s’enivrer pépère. Ce n’est pas très grave parce que ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’un groupe intéressant sur disque se montrait royalement décevant en concert.
Le problème d’Aesthethica – je suppose que lors de cette fameuse soirée ce sont les futurs titres de ce nouvel album que Liturgy avait interprétés – c’est qu’au final l’impression que laisse le disque est exactement la même. Un disque, qui va très très loin, lorgne vers d’autres choses que le black metal (l’excellent Generation et ses répétitions entêtantes mues par des micro décalages à peine perceptibles) mais il est froid, sans éclat et sans passion. On n’en retient pas grand-chose, surtout pas ce vertige ébouriffant et déstabilisant que l’on appelait de tout notre cœur et de toute notre âme. On écoute un disque incroyablement maitrisé, enregistré avec soin, composé avec des idées la plupart du temps efficaces, souvent réussies et parfois lumineuses (l’intro de Tragic Laurel) mais on sort d’Aesthethica comme d’un bon vieux blockbuster animé à l'aide d'effets gore en 3D par un réalisateur fraîchement débauché du cinéma d’auteur indépendant : on s’est bien amusés, on a parfois eu peur, on n’a pas eu trop à réfléchir non plus et puis on oublie ce que l’on vient de voir et supporter en rotant un bon veggie burger au radis noir sans huile de palme hydrogénée.
Renihilation, album beaucoup plus bancal, moins bien ficelé, plus basique, moins calculé, moins ambitieux, moins prétentieux, moins racoleur mais bien plus sale, direct et franc, est bien plus réussi qu’Aesthethica car au moins on y décèle de la vie et même plus, de la trépidation. Aesthethica me fait penser à tous ces groupes gothiques (attention : cette comparaison n’a rien de musical, elle est purement de l’ordre du ressenti) qui faisaient tout pour avoir l’air aussi glauque et déprimé que possible alors qu’ils n’étaient que des suiveurs surfant sur quelques cadavres encore tièdes. Liturgy fait pareil en réchauffant, recyclant, réinventant, actualisant (etc) mais le groupe le fait avec une telle ostentation que même le plus génial des riffs sorti de l’esprit torturé de Hunter Hunt-Hendrix finit par tomber à plat et que Liturgy frise plus d’une fois le ridicule avant de se prendre les pieds dans la complaisance. Plus de vie, oui, c’est bien ça que je vous demande messieurs parce que passer une heure et quelques à écouter et déchiffrer le jeu proprement hallucinant de votre batteur, c’est un peu trop long pour moi.

mardi 14 juin 2011

Kandinsky / MCHN





















D’abord duo guitare/batterie puis quintet à géométrie variable, Kandinsky semble s’être stabilisé autour d’un trio comprenant El Sheik Anorak alias Franck Gaffer (batterie et bidouilles), Mathieu Peyraud (basse électrique) et Yoann Durant (Saxophone, objets, gadgets et humour). Si on connait bien le premier, les deux autres musiciens ne sont pas des inconnus pour autant : Mathieu Peyraud a participé en compagnie de Franck Gaffer à l’aventure des excellents Lewis Karloff et joue avec d’autres au sein de Trivial Beauté ou en solo sous le nom de Malice Fink ; Yoann Durant est carrément un boulimique puisque on le retrouve au sein de RYR, IRèNE, Retroviseur et sûrement aussi quelques autres formations encore inconnues de nos services de renseignements.
MCHN est le premier enregistrement de Kandinsky sous ce line-up et ce disque a logiquement été publié sur Gaffer records dans la collection Free Jazz Series. De freeture il va donc en être très fortement question ici, et plus que ça même, Kandinsky semblant annoncer la couleur dès le début d’un Machin 1 aux accents telluriques et ardents. La basse résonne, très en avant, gorgée de reverb, avec des ramifications dynamiques et offensives réjouissantes. D’une manière générale on peut dire que la qualité de l’enregistrement et sa restitution sur support sont vraiment étonnantes, très brutes, organiques, et généralement saturées. On est à mille lieues d’une production trop lisse et trop propre – défaut que l’on retrouve trop souvent dans le jazz, même sur les disques de free. On a même cru à plusieurs instants que la batterie avait été enregistrée tout en haut d’un escalier métallique en colimaçon mais non : tout a été plus couramment mais parfaitement mis en boite à Grrrnd Zero par Damien, aka Pif Le Chiant et guitariste (de gauche) de Chevignon.
Du cru et du méchant, Kandinsky nous en donne donc à plusieurs reprises et de fort belle façon mais le trio ne saurait être réduit à cette caricature offensive et dérangeante. Les trois musiciens font également preuve d’une finesse et d’une imagination qui explosent les critères qualitatifs de la musique qu’ils interprètent ici : le batteur bidouille également de l’électronique, le bassiste aime les effets (on l’a déjà vu également en concert modifier son accordage en direct ou jouer de son instrument avec l’apport d’un ebow), quant au saxophoniste (baryton et soprano), c’est le roi des bruits de bouche et de la bricole avec tous les ustensiles qu’il aime utiliser comme un gamin – dont un long tuyau flexible sur lequel il a placé une embouchure de saxophone. Ainsi des plages plus délicatement bruitistes ou même atmosphériques parsèment MCHN. On remarque aussi ce très beau et mystérieux passage à la fin de Machin 3 avec ses motifs répétitifs presque tribaux et très sombres. Alors ? Kandinsky c’est le schéma classique de l’alternance du chaud et du froid ? De l’échevelé et de l’accalmie ? De la gueulante de pervers pépères et du repos du guerrier ?
Non, pas seulement. Kandinsky, reprenant les codes du free jazz libertaire et militant des 70’s et y apportant les dérèglements salutaires de l’électricité, arrive à creuser sa petite niche, propose une lecture fraiche, dynamique et osée d’un genre qui décidemment a tout pour garder son éternelle jeunesse – à partir du moment bien sûr où les musiciens font preuve d’imagination et d’audace, ce qui est le cas ici. Et puis il n’y a pas beaucoup de groupes ou de formation free capables de maintenir un tel niveau de pression, de rendre les passages plus calmes aussi passionnants que les moments les plus pointus de leur musique – autrement dit on n’a jamais cette impression désagréable que les baisses de volume et d’intensité ou les bidouillages/manipulations plus abstraites sont là pour permettre aux trois musiciens de se reposer. MCHN est réellement un disque haletant de bout en bout.












Pour les lyonnais, si vous avez raté l’excellente prestation que Kandinsky a récemment donné en compagnie de Mario Rechtern, il reste une occasion de vous rattraper : le trio donne un concert ce mardi 14 juin avec les parisiens de DDJ (également membres de la confrérie des chevaliers du zodiac et du free jazz) à Buffet Froid, le nouveau magasin de disques qui vient d’ouvrir au 91 montée Saint Sébastien, Lyon 1er, à l’emplacement de l’ancienne librairie Grand Guignol.
Pour tous les autres, ce concert sera en fait le point de départ d’une tournée d’une semaine, principalement dans le sud de la France et en Espagne : le 15 juin à Marseille (L’Entropy) avec Zeena Parkins, le 16 à Montpellier (Up & Down), le 17 à Bilières (La Route Du Son) avec Tetsuo et Cheer Accident, le 18 à Getaria (Gaztexte) et le 19 à Barcelone.

lundi 13 juin 2011

Hawks / Rub






















[…] Et bien donc n’attendons pas davantage et arrêtons de tergiverser : Rub, le deuxième album des Hawks, circule déjà dans le monde libre depuis le tout début du printemps 2011 grâce à Trans Ruin records – label montée par un ou deux types de Hawks, si je ne m’abuse et me souviens bien. Evidemment les fanatiques du disque et autres fétichistes de l’objet ont du patienter quelques semaines (mois ?) à l’aide de mp3 avant de pouvoir écouter cet album en vrai et le serrer entre leurs petits bras possessifs. Rub c’est en effet un superbe LP, emballé dans une pochette en noir et blanc mais sans que rien ne puisse laisser entrevoir la teneur d’un disque qui va rapidement se montrer bien plus mature (hum) que son illustre prédécesseur, Barnburner.
Malgré une entrée en matière aussi virulente qu’énervée (le génial Royalty, sous la haute influence des Cows), ce qui se remarque le plus sur Rub c’est le ralentissement généralisé des rythmes, la tournure de plus en plus grasse de cette musique, le blues qui remonte à la surface comme les yeux dans le bouillon et le fantôme de Jesus Lizard qui semble définitivement lâcher prise. A tel point qu’il disparait presque totalement et que même les inévitables comparaisons avec ces flambeurs de Pissed Jeans deviennent elles aussi inappropriées. En fait, pour être plus précis, on peut même dire que dans leur genre les Hawks distancent et éclatent largement toute forme de concurrence.
On se retrouve donc acculé avec presque uniquement des tempos ralentis ou médium mais quand je dis « acculé » ce n’est pas pour faire joli ou pour balancer un bon mot : les Hawks ont pris encore plus de carrure et de ventre, se sont alourdis, épaissis et se montrent désormais écrasant avant toute chose. Les titres rapides n’étaient pas ce qu’il y avait de plus réussi sur Barnburner – sans être mauvais pour autant, hein, il y a des choses à respecter – et mis à part quelques accélérations (le déjà cité Royalty, l’endiablé Late Bloomer ou bien la toute fin de White Buffalo, en début de seconde face) ils ont presque totalement disparu de Rub au profit de ce blues suintant et puant et même quelques incartades limite australiennes (et du piano en prime). Le guitariste a surtout fait de significatifs progrès dans l’art de torcher du riff de boucher prédicateur tout comme dans celui de distiller du solo sans avoir l’air d’être un instrumentiste ridicule ni un pauvre clampin amateur d’astiquage. Et plus c’est lent, plus c’est lourd et plus on vibre, meilleure aussi est cette musique qui prend à l’occasion des accents vraiment sombres (A Future Reaping) en plus de sa hargne habituelle (White Buffalo, élu hit incontournable de l’album).
De manière aussi mystérieuse qu’énervante, le coupon mp3 joint avec le disque et permettant de télécharger gratuitement l’intégralité de Rub (sous le nom d’Extended Rub), permet surtout d’écouter un titre supplémentaire, très loin d’être un fond de tiroir : on y goûte une fois de plus à la sourde violence d’une musique habitée et perverse, à l’image du chant qui avait déjà dominé cet album de bout en bout, entre feulements malodorants et rauqueries malsaines – y a-t-il en ce moment sur le côté obscur de cette planète un meilleur chanteur que ce Michael P. Keenan Jr ? Et bien non, je ne le pense pas.

dimanche 12 juin 2011

Hawks / Barnburner


C’est avec un retard conséquent que l’on se lance dans la chronique de Barnburner, premier album des Hawks, groupe d’illustres inconnus et originaire d’Atlanta. Barnburner – publié par Army Of Bad Luck, un label au nom plutôt risqué – date en effet de 2009 alors qu’il a été enregistré en aout 2008. Donc, me direz-vous, pourquoi en parler seulement maintenant ? Parce que cette pochette est l’une des plus laides de la décennie écoulée ? Et encore, je ne vous raconte pas la gueule du poster offert avec le LP, un peu dans le même genre mais avec une touche de dégueulis chamallow/ketchup en sus. Le bon goût, ce n’est pas ce qui semble étouffer ces quatre petits gars.
Pour remettre les choses en place, on avait déjà évoqué les Hawks à l’occasion d’un formidable double split single partagé avec d’autres bouseux, français ceux-ci, les Café Flesh. Devant l’impression durable qu’a toujours laissée la musique de ce groupe d’Atlanta dans nos pauvres petits esprits de noiseux réactionnaires, à œillères opaques et intolérants comme un curé breton, on aurait vraiment eu tort de ne pas effectuer un salvateur retour en arrière.




















2009, donc. Et, dès les premières secondes de l’énorme Borne Of Wasps, la certitude qu’avec les Hawks on tient un nouveau disciple de cette noise des années 90 qui, quelques 15 ou 20 années après, nous donne encore de ces érections homologuées à rendre jaloux un ex patron du FMI (je vous l’avais bien dit que cette chronique allait être placée sous le signe du bon goût). On peut même ajouter : noise 90’s, option Jesus Lizard. Mais on s’en tiendra là pour les comparaisons réductrices car les Hawks n’ont pas le tranchant chirurgical et maniaque de la bande à Yow et Dension mais préfèrent se vautrer dans le gras et l’épaisseur d’un tapis de crasse. Le groupe est d’ailleurs bien meilleur lorsqu’il ralentit la cadence et revisite le terroir local (Chocolate Vultures et son mid tempo en croquenots boueux et Maritime Scarring, placé juste après et dénotant d’un blues vicieux avec en son milieu un bon passage à tabac orchestré dans les règles). Des titres tels que The Thurst That Missed paraissent au contraire une chouille moins maîtrisés, impression fugace qui disparait au fur et à mesure que le plaisir de la folie Hawks se fait malgré tout ressentir dans toute son urgence salutaire.
Question mode opératoire et options tous-terrains, on pourrait également rapprocher les Hawks des Pissed Jeans d’Allentown. Sauf que si le guitariste des Pissed Jeans semble avoir des idées de riffs bien meilleures que celui des Hawks – on exclura de cette remarque trop bienveillante Your Life Is Worth, le décevant et dernier single en date des Pissed Jeans –, le chanteur des derniers supplante largement celui des premiers. Je ne suis alors pas très loin de penser que chez les Hawks c’est vraiment le chant qui fait toute la différence et qui rend ce groupe aussi unique qu’irremplaçable, ce type étant un vrai malade. Les Hawks développent également un côté plus roots encore, renforcé par une production pas loin d’être dégueulasse mais comme on les aime quand même. On se demande sincèrement pourquoi le groupe d’Atlanta est moins connu et apprécié que ses émérites collègues.
Il est possible d’écouter quelques extraits de tous les disques du groupe ici, on se rendra alors compte que les Hawks viennent de publier un nouvel LP, Rub, et nous n’allons certainement pas attendre deux ans pour en parler un peu plus en détails. […]