mardi 14 juin 2011

Kandinsky / MCHN





















D’abord duo guitare/batterie puis quintet à géométrie variable, Kandinsky semble s’être stabilisé autour d’un trio comprenant El Sheik Anorak alias Franck Gaffer (batterie et bidouilles), Mathieu Peyraud (basse électrique) et Yoann Durant (Saxophone, objets, gadgets et humour). Si on connait bien le premier, les deux autres musiciens ne sont pas des inconnus pour autant : Mathieu Peyraud a participé en compagnie de Franck Gaffer à l’aventure des excellents Lewis Karloff et joue avec d’autres au sein de Trivial Beauté ou en solo sous le nom de Malice Fink ; Yoann Durant est carrément un boulimique puisque on le retrouve au sein de RYR, IRèNE, Retroviseur et sûrement aussi quelques autres formations encore inconnues de nos services de renseignements.
MCHN est le premier enregistrement de Kandinsky sous ce line-up et ce disque a logiquement été publié sur Gaffer records dans la collection Free Jazz Series. De freeture il va donc en être très fortement question ici, et plus que ça même, Kandinsky semblant annoncer la couleur dès le début d’un Machin 1 aux accents telluriques et ardents. La basse résonne, très en avant, gorgée de reverb, avec des ramifications dynamiques et offensives réjouissantes. D’une manière générale on peut dire que la qualité de l’enregistrement et sa restitution sur support sont vraiment étonnantes, très brutes, organiques, et généralement saturées. On est à mille lieues d’une production trop lisse et trop propre – défaut que l’on retrouve trop souvent dans le jazz, même sur les disques de free. On a même cru à plusieurs instants que la batterie avait été enregistrée tout en haut d’un escalier métallique en colimaçon mais non : tout a été plus couramment mais parfaitement mis en boite à Grrrnd Zero par Damien, aka Pif Le Chiant et guitariste (de gauche) de Chevignon.
Du cru et du méchant, Kandinsky nous en donne donc à plusieurs reprises et de fort belle façon mais le trio ne saurait être réduit à cette caricature offensive et dérangeante. Les trois musiciens font également preuve d’une finesse et d’une imagination qui explosent les critères qualitatifs de la musique qu’ils interprètent ici : le batteur bidouille également de l’électronique, le bassiste aime les effets (on l’a déjà vu également en concert modifier son accordage en direct ou jouer de son instrument avec l’apport d’un ebow), quant au saxophoniste (baryton et soprano), c’est le roi des bruits de bouche et de la bricole avec tous les ustensiles qu’il aime utiliser comme un gamin – dont un long tuyau flexible sur lequel il a placé une embouchure de saxophone. Ainsi des plages plus délicatement bruitistes ou même atmosphériques parsèment MCHN. On remarque aussi ce très beau et mystérieux passage à la fin de Machin 3 avec ses motifs répétitifs presque tribaux et très sombres. Alors ? Kandinsky c’est le schéma classique de l’alternance du chaud et du froid ? De l’échevelé et de l’accalmie ? De la gueulante de pervers pépères et du repos du guerrier ?
Non, pas seulement. Kandinsky, reprenant les codes du free jazz libertaire et militant des 70’s et y apportant les dérèglements salutaires de l’électricité, arrive à creuser sa petite niche, propose une lecture fraiche, dynamique et osée d’un genre qui décidemment a tout pour garder son éternelle jeunesse – à partir du moment bien sûr où les musiciens font preuve d’imagination et d’audace, ce qui est le cas ici. Et puis il n’y a pas beaucoup de groupes ou de formation free capables de maintenir un tel niveau de pression, de rendre les passages plus calmes aussi passionnants que les moments les plus pointus de leur musique – autrement dit on n’a jamais cette impression désagréable que les baisses de volume et d’intensité ou les bidouillages/manipulations plus abstraites sont là pour permettre aux trois musiciens de se reposer. MCHN est réellement un disque haletant de bout en bout.












Pour les lyonnais, si vous avez raté l’excellente prestation que Kandinsky a récemment donné en compagnie de Mario Rechtern, il reste une occasion de vous rattraper : le trio donne un concert ce mardi 14 juin avec les parisiens de DDJ (également membres de la confrérie des chevaliers du zodiac et du free jazz) à Buffet Froid, le nouveau magasin de disques qui vient d’ouvrir au 91 montée Saint Sébastien, Lyon 1er, à l’emplacement de l’ancienne librairie Grand Guignol.
Pour tous les autres, ce concert sera en fait le point de départ d’une tournée d’une semaine, principalement dans le sud de la France et en Espagne : le 15 juin à Marseille (L’Entropy) avec Zeena Parkins, le 16 à Montpellier (Up & Down), le 17 à Bilières (La Route Du Son) avec Tetsuo et Cheer Accident, le 18 à Getaria (Gaztexte) et le 19 à Barcelone.