Voici le premier concert dans la cave de Buffet Froid auquel j’assiste depuis que ce tout nouveau magasin de disques a ouvert ses portes et s’est installé dans l’ancien local de la librairie Grand Guignol sur les pentes de la Croix Rousse à Lyon. J’en profite pour faire un petit tour d’inspection/repérage/marquage de territoire dans les bacs et les rayons car depuis ma toute première visite quelques semaines auparavant le lieu a bien évolué, ressemble désormais à un vrai magasin et non plus à un chantier/squat décharné/appartement témoin d’un immeuble albanais : il y a plus de disques en vente, la présentation reste sobre mais efficace, un rayon bouquin intéressant et un peu de déco sur les murs ont également fait leur apparition – le nouveau locataire des lieux prend son temps pour faire les choses mais les fait bien.
Il n’empêche que cela fait vraiment plaisir d’avoir maintenant un vrai endroit dans cette ville consacrée aux musiques bruyantes, expérimentales, de travioles et autres – c’est aussi toujours très excitant de fouiller dans des bacs et de constater que l’on ne connait même pas la moitié des trois quarts des références proposées. Pourvu que ça dure… En attendant le concert du jour je patiente avec quelques autres aficionados sur le pas de porte de Buffet Froid et nous devisons paisiblement mais scientifiquement sur les bienfaits curatifs de telle ou telle lotion capillaire anti-calvitie. Une banale conversation de trentenaires déjà bien tassés et de quarantenaires dilatés.
Ce soir nous allons pouvoir revoir les freeteux de Kandinsky moins de deux semaines après le formidable concert que le groupe a donné au Sonic pour une soirée Gaffer records et surtout nous allons découvrir DDJ, autre trio free, tout auréolé d’une solide réputation de foutraquerie homologuée. La cave de Buffet Froid porte désormais bien son nom parce qu’elle est d’une fraicheur plus que bienvenue en cette saison. L’ambiance est en outre plutôt glauque car il n’y a aucun éclairage digne d’un concert, pas de spots ou de lumières indirectes, uniquement une pauvre ampoule électrique qui pendouille lamentablement de la voute en pierres, éclairant le lieu d’une lumière blafarde de cuisine familiale un matin d’hiver.
Place donc à Kandinsky soit Yoann Durant aux saxophones, Mathieu Peyraud à la basse électrique et Sheik Anorak/Franck Gaffer à la batterie. Contrairement au concert d’il y a quinze jours en compagnie de Mario Rechtern, le trio va éviter les attaques trop frontales et préfèrera développer une longue plage d’improvisation démarrant certes franchement mais on décèle rapidement chez Kandinsky la volonté de jouer sur les détails, la modulation, les manipulations, les crissements, bruits de tuyauterie et de bouche, vibrations, échos, tintements ou même silences. Le concert privilégie donc l’écoute à l’ébouriffade, l’attention à la tension bien que Kandinsky, quand même toujours fidèle à son credo d’explosivité, termine sur un long passage très rythmique et répétitif avant d’éteindre – presque en l’étouffant – le feu qu’il avait lui-même allumé. J’ai déjà envie de revoir le groupe en concert.
Les DDJ, je ne les connais pas et je n’ai jusqu’ici presque rien entendu de leur musique mis à part quelques bribes mises en ligne sur des sites communautaires où la musique est aussi compressée que le budget de la Grèce après le remboursement des intérêts de la dette aux investisseurs privés qui avaient daigné prêter des sommes colossales à des conditions prohibitives uniquement par grandeur d’âme et charité financière. La seule chose donc que je connais de DDJ c’est ce dynamique batteur à lunettes – Yann Joussein – croisé au sein d’Heretic Chaos (toujours lors de la soirée Gaffer du 2 juin dernier au Sonic) et Julien Desprez, guitariste de son état et entendu uniquement sur disque dans des formations telles que Linnake et surtout IRèNE. Je me sentais tout excité comme une puce rien qu’à l’idée de découvrir, pour la première fois en concert, ce jeune homme et son jeu de guitare.
Mais, soyons honnête, si je n’ai absolument pas été déçu par monsieur Julien Desprez, DDJ est surtout un vrai groupe où tous les musiciens jouent ensemble, une alchimie convaincante et entrainante. Il y a en particulier Benjamin Dousteyssier, saxophoniste qui ne joue que du baryton et développe un son puissant et légèrement distordu à vous éclater les tympans. La tornade free, c’est donc DDJ qui va l’assurer ce soir, de bien belle façon. Le trio fait partie de ces formations que l’on rejette systématiquement dans la catégorie free jazz mais qui pourraient convenir à tout fanatique de noise et/ou d’expérimentation un tant soit peu ouvert d’esprit et curieux. J’ai cru comprendre que le groupe enregistrait – ce qu’il a d’ailleurs effectué pour ce concert donné à Buffet Froid – afin de publier un deuxième album, un disque que désormais je suis extrêmement curieux d’entendre et de découvrir lorsqu’il sera enfin publié.
On ne peut également que se rejouir de revoir bientôt Julien Desprez en concert mais cette fois-ci aux côtés d’IRèNE, ce sera lors de la quatrième édition du festival Expérience(s) au Périscope du 7 au 9 juillet – on en reparle très bientôt.