Jeudi 2 juin, le festival des Nuits Sonores bat son plein. On ne va pas discuter de l’utilité ou pas d’une telle manifestation et d’ailleurs la musique, quelle qu’elle soit, n’a jamais aucune utilité et il y a juste celles et ceux qui en écoutent et celles et ceux qui n’en écoutent pas – donc dans le cas des Nuits Sonores : il y a celles et ceux qui y vont et celles et ceux qui n’y vont pas. Cette année comme tant d’autres je me contente pour ma part de la nuit dite du circuit électronique, celle pendant laquelle des associations et/ou des labels lyonnais investissent un lieu et y programment en toute autonomie ce que bon leur semble – par exemple Bee records qui organise Kid606 au Ninkasi ou SK records et Beastie Noise qui privilégient Movie Star Junkies et NLF3 au Clacson.
La bonne alchimie du jour ce sera donc Gaffer records qui programme et le Sonic qui accueille : Meurthe, les Lunatic Toys, Kandinsky featuring Mario Rechtern, Heretic Chaos et Antilles vont se succéder sur la petite scène de la péniche – au passage on note aucun groupe électro là dedans (le principal credo des Nuits Sonores) et même pas un pauvre groupe indie (le deuxième credo du festival) mais du drone, du jazz, du free, du metal à gratter et de la noise hypnotique. Ce doit être tellement agréable de faire ce que l’on veut avec les subventions et le fric des autres, alors autant en profiter un peu.
Meurthe est censé commencer vers 21h30 mais la soirée prend du retard aussi le discret garçon qui se cache derrière ce pseudonyme mystérieux ne montera sur scène qu’à 22h15 passées. On l’avait déjà vu jouer auparavant sous le nom d’Ulrike Meinhof mais si le nom a changé, la musique et les formes employées sont toujours les mêmes.
Bref, notre garçon se lance dans un drone atmosphérique qu’il intensifie et qu’il fait évoluer plutôt lentement jusqu’à un passage ramasse-poussières (comme un aspirateur défectueux branché sur disto et reverb engloutissant des miettes de pains qui percuteraient des microcontacts collés au fond du sac à poussières avec la violence inouïe d’un grand nettoyage de Printemps), pour faire plus simple on appellera ça un passage plus harsh, honnêtement éprouvant, et auquel notre homme coupe court avant de se vautrer dans les délices herbacés d’un final campagnard quoi que légèrement aquatique et plus mélodique. C’est suffisamment long pour faire son effet, suffisamment court pour éviter le mal de tête, suffisamment bien torché pour donner envie de prendre de la drogue et suffisamment captivant pour aller s’acheter une bière au bar à la fin du set, puisqu’on a rien d’autre à se mettre dans le ventre ou dans le nez.
Les Lunatic Toys montent à leur tour sur scène : un batteur, un altiste et une jeune fille au Fender Rhodes. Ce soir le concert du trio va être assez différent de ceux auxquels j’ai déjà assistés car les Lunatic Toys vont jouer nombre de leurs nouvelles compositions, celles qui figureront sur l’album que le groupe est en train de préparer et qui devrait sortir d’ici la fin de cette année sur Carton records.
On écoute donc avec plus d’attention encore le jazz pointilleux, presque pop, mais nerveux et exigent de ces trois jeunes gens. On y trouve toujours le même ravissement, le même plaisir et le même enthousiasme, reconnaissant sans peine la patte, l’identité Lunatic Toys et on sourit à quelque chose que l’on connait déjà mais on sourit encore plus parce qu’il nous semble être toujours plus intime avec cette musique, en tous les cas on la redécouvre toujours plus passionnante, enlevée et mélodique. Ces nouvelles compositions sont tout simplement excellentes, alors vivement ce deuxième album.
Des fois je me demande pourquoi je parle de pop à propos des Lunatic Toys. La réponse, c’est Kandinsky qui va l’apporter. Le trio (formé d’un bassiste, d’un souffleur et d’un batteur qui n’est autre que le big boss de Gaffer records) a invité Mario Rechtern à jouer avec lui. Dès que les quatre musiciens démarrent on est littéralement happé par la puissance de jeu. Chacun s’en donne à cœur joie, tonitrue de plus belle et entraine l’autre dans un free jazz exactement comme je l’aime, celui du jeu collectif, aux accents libertaires et qui n’en a rien à foutre des convenances.
Les deux saxophonistes y vont de leurs stridences, onomatopées sonores et de leurs inventions de jeu permanentes. Cela crée une stéréo vraiment ébouriffante et Kandinsky privilégie ce soir une musique toute en muscles et toute à l’énergie. Surtout, c’est la première fois que j’ai l’occasion d’entendre Mario Rechtern avec un groupe autre que le trio qu’il forme en compagnie de Sheik Anorak et Weasel Walter et si j’avais déjà pu apprécier toutes les trouvailles et autres exubérances du saxophoniste, c’est également la première fois que j’ai vraiment l’impression de frôler toute l’immense qualité de son jeu, un peu comme s’il bénéficiait ce soir d’un peu plus de place, en tous les cas de toute la place qu’il mérite pour s’exprimer totalement.
Quoi qu’il en soit, Kandinsky vient de publier Mnch, son tout premier album, chez Gaffer records évidemment, un disque dont on reparle au plus vite et sinon sachez que le trio sera de nouveau en concert en compagnie de DDJ le mardi 14 juin à Buffet Froid, 91 Montée de la Grande Côte (il s’agit en fait de l’ancien local de la librairie Grand Guignol).
Et puisque on parle de DDJ, on retrouve le batteur de ce groupe dans Heretic Chaos, qui prend immédiatement la suite de Kandinsky. Heretic Chaos ne joue pas une musique du goût de tout le monde : le duo pratique un metal parodique aussi crade que mal joué. Tout est prétexte à faire n’importe quoi, à chanter (hurler) avec des voix de faussets des histoires de viol collectif sur des canards plongés la tête sous l’eau pendant que la guitare écrase toute forme de bienséance à l’aide de riffs alliant stupidité machiavélique et puanteur adolescente.
Quelqu’un me dira après la fin du concert d’Heretic Chaos que le groupe figure aisément dans son top 10 des pires concerts auxquels il a jamais assisté au Sonic – pour ma part il y a bien longtemps que je n’avais pas autant ri, de bon cœur qui plus est, ni que j’avais passé un tel moment libérateur d’idiotie consentie avec autant de plaisir. Les gars, vous revenez quand vous le voulez.
Antilles c'est les deux guitaristes de Sister Iiodine avec le batteur de Berg Sans Nipple. Mais en aucun cas on ne saurait qualifier Antilles de Sister Iodine bis : j’avais cru un instant que le groupe s’appelait ainsi en hommage à la no wave canal historique, puisque la célèbre compilation No New York avait en son temps été publiée sur Antilles records (une division de Island). Tout faux.
S’il faut vraiment chercher et trouver une explication à ce nom plutôt déroutant, il faudrait plutôt opter sur le côté rythmique et répétitif de la musique du groupe, Erik Minkkinen jouant en mode percussif de sa guitare posée à plat sur une table et générant des sons étranges à l’aide d’un dispositif non identifiable alors que le batteur frappe uniquement sur une caisse claire et trois toms basse, privilégiant polyrythmie et tribalisme.
Antilles joue donc sur les répétitions rythmiques, le bruit hypnotique, les montées lysergiques et la transe chamanique. Si les procédés employés sont assez systématiques et finalement sans surprises, on apprécie malgré tout cette force magnétique d’un genre plutôt intraitable (Lionel Fernandez à la guitare est là pour nous rappeler qu’on n’est pas là pour rigoler) et on regrette qu’Antilles ne puisse jouer plus longtemps, le cours de la soirée ayant vraiment pris beaucoup trop de retard.
La bonne alchimie du jour ce sera donc Gaffer records qui programme et le Sonic qui accueille : Meurthe, les Lunatic Toys, Kandinsky featuring Mario Rechtern, Heretic Chaos et Antilles vont se succéder sur la petite scène de la péniche – au passage on note aucun groupe électro là dedans (le principal credo des Nuits Sonores) et même pas un pauvre groupe indie (le deuxième credo du festival) mais du drone, du jazz, du free, du metal à gratter et de la noise hypnotique. Ce doit être tellement agréable de faire ce que l’on veut avec les subventions et le fric des autres, alors autant en profiter un peu.
Meurthe est censé commencer vers 21h30 mais la soirée prend du retard aussi le discret garçon qui se cache derrière ce pseudonyme mystérieux ne montera sur scène qu’à 22h15 passées. On l’avait déjà vu jouer auparavant sous le nom d’Ulrike Meinhof mais si le nom a changé, la musique et les formes employées sont toujours les mêmes.
Bref, notre garçon se lance dans un drone atmosphérique qu’il intensifie et qu’il fait évoluer plutôt lentement jusqu’à un passage ramasse-poussières (comme un aspirateur défectueux branché sur disto et reverb engloutissant des miettes de pains qui percuteraient des microcontacts collés au fond du sac à poussières avec la violence inouïe d’un grand nettoyage de Printemps), pour faire plus simple on appellera ça un passage plus harsh, honnêtement éprouvant, et auquel notre homme coupe court avant de se vautrer dans les délices herbacés d’un final campagnard quoi que légèrement aquatique et plus mélodique. C’est suffisamment long pour faire son effet, suffisamment court pour éviter le mal de tête, suffisamment bien torché pour donner envie de prendre de la drogue et suffisamment captivant pour aller s’acheter une bière au bar à la fin du set, puisqu’on a rien d’autre à se mettre dans le ventre ou dans le nez.
Les Lunatic Toys montent à leur tour sur scène : un batteur, un altiste et une jeune fille au Fender Rhodes. Ce soir le concert du trio va être assez différent de ceux auxquels j’ai déjà assistés car les Lunatic Toys vont jouer nombre de leurs nouvelles compositions, celles qui figureront sur l’album que le groupe est en train de préparer et qui devrait sortir d’ici la fin de cette année sur Carton records.
On écoute donc avec plus d’attention encore le jazz pointilleux, presque pop, mais nerveux et exigent de ces trois jeunes gens. On y trouve toujours le même ravissement, le même plaisir et le même enthousiasme, reconnaissant sans peine la patte, l’identité Lunatic Toys et on sourit à quelque chose que l’on connait déjà mais on sourit encore plus parce qu’il nous semble être toujours plus intime avec cette musique, en tous les cas on la redécouvre toujours plus passionnante, enlevée et mélodique. Ces nouvelles compositions sont tout simplement excellentes, alors vivement ce deuxième album.
Des fois je me demande pourquoi je parle de pop à propos des Lunatic Toys. La réponse, c’est Kandinsky qui va l’apporter. Le trio (formé d’un bassiste, d’un souffleur et d’un batteur qui n’est autre que le big boss de Gaffer records) a invité Mario Rechtern à jouer avec lui. Dès que les quatre musiciens démarrent on est littéralement happé par la puissance de jeu. Chacun s’en donne à cœur joie, tonitrue de plus belle et entraine l’autre dans un free jazz exactement comme je l’aime, celui du jeu collectif, aux accents libertaires et qui n’en a rien à foutre des convenances.
Les deux saxophonistes y vont de leurs stridences, onomatopées sonores et de leurs inventions de jeu permanentes. Cela crée une stéréo vraiment ébouriffante et Kandinsky privilégie ce soir une musique toute en muscles et toute à l’énergie. Surtout, c’est la première fois que j’ai l’occasion d’entendre Mario Rechtern avec un groupe autre que le trio qu’il forme en compagnie de Sheik Anorak et Weasel Walter et si j’avais déjà pu apprécier toutes les trouvailles et autres exubérances du saxophoniste, c’est également la première fois que j’ai vraiment l’impression de frôler toute l’immense qualité de son jeu, un peu comme s’il bénéficiait ce soir d’un peu plus de place, en tous les cas de toute la place qu’il mérite pour s’exprimer totalement.
Quoi qu’il en soit, Kandinsky vient de publier Mnch, son tout premier album, chez Gaffer records évidemment, un disque dont on reparle au plus vite et sinon sachez que le trio sera de nouveau en concert en compagnie de DDJ le mardi 14 juin à Buffet Froid, 91 Montée de la Grande Côte (il s’agit en fait de l’ancien local de la librairie Grand Guignol).
Et puisque on parle de DDJ, on retrouve le batteur de ce groupe dans Heretic Chaos, qui prend immédiatement la suite de Kandinsky. Heretic Chaos ne joue pas une musique du goût de tout le monde : le duo pratique un metal parodique aussi crade que mal joué. Tout est prétexte à faire n’importe quoi, à chanter (hurler) avec des voix de faussets des histoires de viol collectif sur des canards plongés la tête sous l’eau pendant que la guitare écrase toute forme de bienséance à l’aide de riffs alliant stupidité machiavélique et puanteur adolescente.
Quelqu’un me dira après la fin du concert d’Heretic Chaos que le groupe figure aisément dans son top 10 des pires concerts auxquels il a jamais assisté au Sonic – pour ma part il y a bien longtemps que je n’avais pas autant ri, de bon cœur qui plus est, ni que j’avais passé un tel moment libérateur d’idiotie consentie avec autant de plaisir. Les gars, vous revenez quand vous le voulez.
Antilles c'est les deux guitaristes de Sister Iiodine avec le batteur de Berg Sans Nipple. Mais en aucun cas on ne saurait qualifier Antilles de Sister Iodine bis : j’avais cru un instant que le groupe s’appelait ainsi en hommage à la no wave canal historique, puisque la célèbre compilation No New York avait en son temps été publiée sur Antilles records (une division de Island). Tout faux.
S’il faut vraiment chercher et trouver une explication à ce nom plutôt déroutant, il faudrait plutôt opter sur le côté rythmique et répétitif de la musique du groupe, Erik Minkkinen jouant en mode percussif de sa guitare posée à plat sur une table et générant des sons étranges à l’aide d’un dispositif non identifiable alors que le batteur frappe uniquement sur une caisse claire et trois toms basse, privilégiant polyrythmie et tribalisme.
Antilles joue donc sur les répétitions rythmiques, le bruit hypnotique, les montées lysergiques et la transe chamanique. Si les procédés employés sont assez systématiques et finalement sans surprises, on apprécie malgré tout cette force magnétique d’un genre plutôt intraitable (Lionel Fernandez à la guitare est là pour nous rappeler qu’on n’est pas là pour rigoler) et on regrette qu’Antilles ne puisse jouer plus longtemps, le cours de la soirée ayant vraiment pris beaucoup trop de retard.
Il est donc plus de 2h45 du matin lorsque le concert se termine, c'est-à-dire bien trop tard pour enchainer et faire un saut en transports en commun (il y avait des navettes de prévues tout au long de la soirée) jusqu’au Clacon à Oullins et voir Movie Star Junkies qui eux aussi, vu l’heure avancée, ont très certainement du terminer leur set – pourtant ce n’est pas l’envie qui me manquait…
[quelques photos floues et granuleuses du concert]