mercredi 15 juin 2011

Liturgy / Aesthethica






















Et voilà donc Liturgy qui débarque, quatre gamins avec des gueules d’anges et des ventres plats, en provenance directe de Brooklyn, New York City, la sensation forte du moment entend-on de toutes parts. Du black metal expérimental pour la jeunesse assoiffée de nouveautés trépidantes, pour les musicologues avertis mais aussi pour les gens chics et de bon goût, donc exactement pour des gens comme moi. Lorsque j’écoute Aesthethica, le deuxième album (double) de Liturgy sur Thrill Jockey, j’ai cette impression que le groupe déverse son flot musical et bruyant en me regardant bien droit dans les yeux, comme pour me dire que ma vie va enfin changer, que la lumière et la vérité vont désormais enfin s’offrir à moi, que le monde qui m’entoure va se parer d’un nouveau voile de beauté sulfureuse et révolutionnaire. D’ailleurs ce disque ne porte t-il pas ce titre, prétentieux entre tous, d’Aesthethica ?
Liturgy c’est d’abord un mini LP en 2008 et enregistré par le seul Hunter Hunt-Hendrix – je vous dis tout de suite que c’est son vrai nom et que s’il faut se moquer de quelqu’un ce n’est pas de ce pauvre garçon qui se serait choisi un pseudonyme aussi ridicule mais de ses parents qui n’étaient apparemment que des pauvres hippies attardés – puis un formidable album, Renihilation, en 2009 sur le label 20 Buck Spin. Liturgy c’est aussi une absence totale de présence en concert, un charisme d’huître et de canette vide de bière crust réunies, bref un moment de flottement pendant lequel on se dit que l’on aurait mieux fait de rester à la maison, à écouter les disques (ou les mp3) terriblement fort pour réussir à s’enivrer pépère. Ce n’est pas très grave parce que ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’un groupe intéressant sur disque se montrait royalement décevant en concert.
Le problème d’Aesthethica – je suppose que lors de cette fameuse soirée ce sont les futurs titres de ce nouvel album que Liturgy avait interprétés – c’est qu’au final l’impression que laisse le disque est exactement la même. Un disque, qui va très très loin, lorgne vers d’autres choses que le black metal (l’excellent Generation et ses répétitions entêtantes mues par des micro décalages à peine perceptibles) mais il est froid, sans éclat et sans passion. On n’en retient pas grand-chose, surtout pas ce vertige ébouriffant et déstabilisant que l’on appelait de tout notre cœur et de toute notre âme. On écoute un disque incroyablement maitrisé, enregistré avec soin, composé avec des idées la plupart du temps efficaces, souvent réussies et parfois lumineuses (l’intro de Tragic Laurel) mais on sort d’Aesthethica comme d’un bon vieux blockbuster animé à l'aide d'effets gore en 3D par un réalisateur fraîchement débauché du cinéma d’auteur indépendant : on s’est bien amusés, on a parfois eu peur, on n’a pas eu trop à réfléchir non plus et puis on oublie ce que l’on vient de voir et supporter en rotant un bon veggie burger au radis noir sans huile de palme hydrogénée.
Renihilation, album beaucoup plus bancal, moins bien ficelé, plus basique, moins calculé, moins ambitieux, moins prétentieux, moins racoleur mais bien plus sale, direct et franc, est bien plus réussi qu’Aesthethica car au moins on y décèle de la vie et même plus, de la trépidation. Aesthethica me fait penser à tous ces groupes gothiques (attention : cette comparaison n’a rien de musical, elle est purement de l’ordre du ressenti) qui faisaient tout pour avoir l’air aussi glauque et déprimé que possible alors qu’ils n’étaient que des suiveurs surfant sur quelques cadavres encore tièdes. Liturgy fait pareil en réchauffant, recyclant, réinventant, actualisant (etc) mais le groupe le fait avec une telle ostentation que même le plus génial des riffs sorti de l’esprit torturé de Hunter Hunt-Hendrix finit par tomber à plat et que Liturgy frise plus d’une fois le ridicule avant de se prendre les pieds dans la complaisance. Plus de vie, oui, c’est bien ça que je vous demande messieurs parce que passer une heure et quelques à écouter et déchiffrer le jeu proprement hallucinant de votre batteur, c’est un peu trop long pour moi.