Après deux jours passés au Grrrnd Zero – ses concerts festifs, ses bastons, ses saboteurs et son sixième anniversaire célébré dans le bruit et la fureur – retour au Sonic pour un concert (organisé par Ostrobotnie) dont l’éclectisme n’a rien à envier à celui des collègues anoraks : Julien Dupont (bidouille multidimensionnelle), Sheik Anorak (que l’on ne présente plus) et la découverte du jour, Liturgy, un groupe de black metal basé à Brooklyn et entouré d’une aura arty très couleur locale. Le groupe sort ses albums chez 20 Buck Spin, a été produit par Colin Marston (Dysrhythmia, Krallice, etc…), autant d’éléments réconfortants qui laissaient à penser que Liturgy – malgré un nom ridicule – allait faire passer au public lyonnais une excellente soirée. C’est fou comme on peut se tromper, parfois.
Le public lyonnais, justement, n’est pas venu en nombre, comme à chaque fois lorsque joue un groupe de metal intello/arty (genre Wolves In The Throne Room) : les true métallurgistes, les vrais, les purs et les durs ne se déplacent que rarement pour tester la musique que les tapettes binoclardes dans mon genre appellent metal, confirmant ainsi qu’ils sont aussi réacs que les mauvaises langues le disent. D’un autre côté il faut bien avouer aussi que pour rien au monde je ne me déplacerais à un concert de chevelus bardés de cuir, gonflés de sexisme et galvanisés à la testostérone. Plus que jamais, le monde se divise en deux catégories.
Place à Julien Dupont, jeune homme fort discret déjà vu plusieurs fois en concert – seul ou avec Motherfucking. Il joue dans le noir quasi complet, par terre, accroupi au milieu d’un attirail assez invraisemblable composé d’une guitare, d’objets divers et variés (barres métalliques, etc), de pédales d’effets, de binious tibétains, d’un micro, d’un sampleur et autres boites magiques. Je les entends déjà les énervés de la guitare et du binaire coreux : oui Julien Dupont va jouer ce que communément on appelle désormais du drone, qualificatif sous lequel on place n’importe quelle musique à partir du moment où elle est ambient, mouvante ou atmosphérique.
Celle de Julien Dupont est bien plus que ça. Déjà ses attaques et changements de plans sont francs du collier, il n’est pas question ici de ramollissement baba-zen post transcendantal. Les structures élaborées par Julien sont toujours vives, parfois ardues, dynamiques et ne laissent aucune place pour les trous d’air. Je ne sais pas comment il arrive à générer tout ce magma à la fois bruyant et planant (puisqu’il joue dans le noir) mais le résultat est entièrement convaincant et totalement captivant. Pour être franc – une fois n’est pas coutume – c’est même la première fois que je n’ai aucune réserve à émettre sur sa musique.
Suit Sheik Anorak. Notre héro local préféré au monde. Or il se trouve que Sheik Anorak a commencé à en avoir un peu marre de jouer ses noise songs catchy et inventives : c’est toujours la même histoire avec les artistes, ils ne sont jamais contents d’eux ni satisfaits de leurs résultats, même lorsqu’ils sont excellents. Sheik Anorak a donc entrepris de monter un tout autre set que celui qu’il fait tourner en concert depuis déjà quelques mois. Nouvelles compositions et nouvelles façons de faire. Une décision lourde de conséquence d’autant plus qu’elle a été prise peu de temps avant la date du concert d’aujourd’hui. Une façon comme une autre de se mettre la pression. Evidemment, l’info a quelque peu filtré dans les milieux autorisés, des attentes – en provenance directe des nombreux fans hystériques de Sheik Anorak et ils sont nombreux – sont apparues et la pression est aussitôt monté d’un cran supplémentaire.
Pour faire vite, Sheik Anorak a joué un seul titre d’une vingtaine de minutes passant d’une intro bruitiste et minimale à des motifs martelés, déchirants et ultra répétitifs. Ce ne sont plus les mélodies (même un tantinet bruyantes) qui caractérisent ce Sheik Anorak là mais bien l’entêtement jusqu’au tournis hystérique d’un flot strident qui vous arrache des soupirs d’agonie satisfaite. On pense plus d’une fois à Athletic Automaton et ce genre de foutraqueries post Arab On Radar entre noise pyrolysé et aridité électrostatique.
La seule chose est que Sheik Anorak est obligé avec ce nouveau set de préparer ses parties de guitares – plus complexes – avant le concert, on ne le voit donc plus trop avec son instrument en train de faire ses boucles en direct et le rendu est donc quelque peu moins ludique et moins rigolo mais hormis cette réserve purement secondaire et égoïste on peut affirmer que notre homme a bien fait d’avoir envie de changements, qu’il a su mener ces changements dans une nouvelle direction passionnante et que désormais il sait que Sheik Anorak n’est pas un projet figé ou voué à la stagnation.
Dernier groupe de la soirée, Liturgy. Un groupe de black metal made in New York. Ne riez pas. Les gars sont très jeunes et très sympathiques : j’arriverai même, avant le concert, à avoir une simili conversation – en anglais s’il vous plait – avec le batteur du groupe à propos de Weasel Walter (qu’il adule), du set de Sheik Anorak (qu’il a aussi beaucoup aimé), du trio free qu’ils forment tous les deux avec Mario Rechtern (et dont il a beaucoup entendu parler) et de la marque de cigarettes que je fume (il en profite pour m’en taxer une, sale musicien pauvre).
Sur scène c’est tout autre chose. J’ai lu quelque part à propos de Liturgy un descriptif à la con du genre black metal vs Steve Reich. J’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé la moindre trace de Stevie dans la musique de Liturgy. Laquelle est un black metal surpuissant – le batteur est incroyable, condition essentielle pour tout groupe de metal mais ce ne sera pas suffisant – joué à burnes. Tellement à burnes que les plans alambiqués du guitariste passeraient presque inaperçus. Par malheur le bassiste qui joue à l’instar de ces petits camarades comme une brute a aussi zéro présence sur scène mais le pompon revient au guitariste/chanteur qui a le charisme d’une huître et une allure qui me fait bien trop penser à Evan Dando. Liturgy n’arrive donc que très moyennement à recréer sur la scène du Sonic l’horrible déferlement inhumain de ses enregistrements.
Je laisse tomber le groupe et le public de plus en plus clairsemé, sort sur la terrasse du Sonic et me retrouve à converser sur les meilleurs films débiles des années 80 – Meet The Feebles vs Street Trash –, la filmographie commentée de John Cassavetes ou les répliques cultes du Bon, La Brute et Le Truand. Nous y revoilà donc : le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. Allez, pan dans la gueule ce sera pour une autre fois.