dimanche 7 décembre 2008

Je vais me soigner et je reviens tout de suite


OK, j’étais intrigué d’entendre Kan Mikami mais ce qui m’a le plus motivé pour me traîner jusqu’au Sonic en ce jeudi soir c’était d’avoir des nouvelles fraîches et de vive voix. Et finalement on a plutôt parlé d’autre chose que de ce cambriolage de merde qui en aurait mis sur la paille et découragé plus d’un. Pour l’instant l’équipe du Sonic continue -avec du matériel prêté- et il y aura très certainement un double concert de soutient à la salle au mois de janvier, un premier soir rock’n’roll, sang et sperme avec la crème des groupes lyonnais (et en ce moment j’ai plutôt tendance à trouver qu’il y a un paquet de très bons groupes sur Lyon et alentours…) et un second electro avec de la bonne grosse pointure locale.
Ce soir se sera folk. Ou blues. Avec de la country. Non je ne plaisante pas. Jamais plus d’une guitare et d’un micro sur la scène. Le rêve pour tout technicien son qui du coup n’a rien à faire ou pas grand-chose pour les changements de plateaux. Un concert pépère pour tout le monde, c’est exactement ce qu’il me fallait, la péniche tangue sous les effets du vent d’automne et je tangue aussi, fatigué et complètement paumé.


















C’est assis que j’écoute le premier groupe. J’ai déjà vu The North Bay Moustache League il y a à peine trois mois en première partie d'Enablers et la recette du duo n’a pas changé depuis. Les deux anges blonds ne portent toujours pas la moustache et ils sont toujours aussi beaux et classe. Le garçon chante et joue de la guitare. La fille chante aussi, joue de l’harmonica et d’un instrument indéterminé. Les deux harmonisent admirablement bien ensemble. Le répertoire de The North Bay Moustache League est composé de chansons country folk dont il m’est définitivement impossible de différencier les reprises des titres originaux (s’il y en a), cela me va très bien.
J’assiste au concert dans un état second, bercé à la fois par les roulis du bateau et par les titres lents que joue le duo, c’est le guitariste qui insiste plusieurs fois de suite pour interpréter ces ballades remplies de nostalgie fanée et de désuétude charmante. La jeune chanteuse me parait nettement moins à l’aise que la première fois (son camarade aussi d’ailleurs, comme s’il se trouvait un peu trop mis à nu sans les étincelles électriques de son autre groupe, le très noisy Deborah Kant) mais cela fonctionne à plein avec moi, je suis toujours assis comme un vieux chien de hippie opiomane et je me remplis les oreilles des harmonies vocales de ces deux là, deux voix célestes aériennes.



















Michel Henritzi joue en second. Le guitariste a un pedigree dans les sphères des musiques improvisées aussi gros que mon ego est surdimensionné, il est bien connu pour mettre le bordel avec son groupe Dust Breeders, collabore régulièrement à Revue & Corrigée, a du jouer une année sur deux au festival Musique Action du C.C.A.M de Vandoeuvre (RIP…) tout comme il était un abonné assidu à nombre d’évènements européens du genre. Par la même occasion j’apprends la disparition d’autres festivals français de musiques improvisées/innovatrices dont celui organisé tout les ans à St Etienne par Bruno Meiller et l’association Toto N’Aime Pas La Soupe. Sale temps pour la culture subventionnée (et ce n’est que le début) surtout lorsque celle-ci touche un public jugé élitiste et trop restreint par les pouvoirs publics -quand je pense au Sonic, pauvre petite salle lyonnaise de merde, qui se permet de gueuler parce que ne touchant pas un kopek cette année (contrairement aux promesses faites avant les élections municipales, haha)…
Mais revenons à Michel Henritzi. Si tu aimes le Boxhead Ensemble et Dutch Harbor, si tu aimes les gratouillis de Loren Mazzacane Connors un soir de pluie (dans le meilleur des cas) ou Ry Cooder -la bof de Paris, Texas- et bien cette longue improvisation maniérée et ennuyeuse était faite pour toi. Henritzi joue de sa guitare dans le noir, juste éclairé par les images projetées sur un écran. Des images de ses vacances au Japon par exemple (le bonhomme est nipponphile) ou un profil de vache, puis de cheval ou alors un chat siestant derrière une porte vitrée. Beaucoup de personnes se sont assises, moi je suis au contraire resté debout, plutôt atterré (remarque la contradiction soulevée par cette attitude inconfortable) par tant de vide et de prétention. Les dix dernières secondes virent au suicide noisy pour bien signaler que le concert est fini et cette façon de faire est terriblement frustrante : Michel j’aurais nettement préféré que tu nous fasses du barouf à la con pendant une demi heure plutôt que tu te prennes pour un paysagiste d’ascenseur et une machine à divertir les bobos sans imagination.
























La surprise et la curiosité de la soirée c’est donc Kan Mikamo. Le chanteur/guitariste est surtout connu pour sa participation à Vajra, groupe dans lequel on retrouve également l’icône maléfique Keiji Haino. Ce groupe a publié une tripotée d’album sur P.S.F. records, label dont Mikano porte un magnifique t-shirt ce qui fait saliver d’envie tous les hipsters présents ce soir au Sonic. Le bonhomme joue sur une Gretsch et chante en montant bizarrement dans le haut des médiums sans jamais réellement atteindre les aigus et ce avec un certain lyrisme.
Jamais je ne me suis senti aussi désemparé face à la barrière de la langue (je ne parle pas un mot de japonais, c’est con). Réflexe complètement stupide de ma part je l’avoue, puisque je ne comprends pas non plus la moitié des trois quarts des paroles chantées par les groupes anglo-saxons et même français anglophiles que je vais voir en concert -j’avais moins de problèmes lorsque j’étais jeune et que j’allais voir Condense. Une fois ce moment de turpitude passé, une fois que mon oreille s’est laissée apprivoisée par les sonorités de la langue japonaise, j’ai pu me concentrer sur ce que j’entendais et ce que je voyais. La musique du japonais ne paie pas de mine. Le chant est lyrique et alterne systématiquement avec des gutturalités pleines de trémolos -entre ça et le son trop clair de la Gretsch, j’avais l’impression d’avoir devant moi une version samouraï du chanteur des Gipsy Kings en solo.
Impression bien trompeuse, tant l’art de Kan Mikami dépasse rapidement tout ce que l’on peut connaître ou prétendre connaître sur le couple chant/guitare (appelez ça comme vous voulez -folk, blues- on s’en fout). Le guitariste esquisse de drôles de pas de danse sur les parties purement instrumentales de sa musique et s’anime lorsqu’il chante, à tel point qu’il me fait à nouveau regretter de ne pas parler japonais mais cette fois ci pour de meilleures raisons : j’imagine même lors d'un moment à la scénographie assez burlesque que ce qu’il raconte doit être du plus haut comique.
Par je ne sais quel miracle, la musique du japonais grimpe rapidement les échelons de la fascination pour l’étrangeté avant de devenir captivante pour ce qu’elle est dans son essence même : une complainte lancinante serpentant insidieusement, un râle déchirant (Kamikami se met à pousser des cris comme jusqu’ici coincés dans sa gorge et enfin libérés non sans une certaine souffrance), une beauté inévitable, un rituel éclatant de simplicité et une vérité criante à laquelle je ne comprends rien mais à laquelle je ne peux qu’adhérer pleinement. Je reste un peu pantois devant autant de charge émotive dispensée par ce petit bonhomme d’allure si modeste qui remercie en s’inclinant entre chaque titre alors qu’il met le public à genoux. Comme si pour une fois j’avais réussi à grimper au sommet de l’arbre le plus haut de la forêt -et voilà maintenant que je me mets à faire des métaphores dignes d’un vieux bab à poils longs, je vais décidément bien mal.