On se les pèle à Lyon. Vraiment. De mémoire de vieux, personne n’avait plus souvenance d’un tel froid polaire – à moins d’être né avant 1986, la dernière année où la Saône avait commencé à geler pour de vrai – et ce ne sont pas les SDF qui pourront dire le contraire, malgré les conseils fort peu avisés de la secrétaire d’Etat actuelle en charge de la santé (mais également conseillère municipale à Lyon, ville des lumières comme chacun sait), des conseils prodigués aux crevards sans-abris de bien rester au chaud et au sec à la maison, de ne surtout pas sortir dehors. L’incompétence c’est un métier. La connerie aussi. Et avouons qu’en cette palpitante période préélectorale la dite connerie atteint des sommets rarement égalés, alors que le thermomètre continue lui de descendre inexorablement.
La Saône est donc gelée. A certains endroits elle est même complètement bouchée et la rivière a été déclarée non navigable par les autorités fluviales. Si le spectacle est assez beau à regarder, les bateaux sont prisonniers et il en est de même pour le Sonic. Des conditions climatiques extrêmes pour un concert de qualité qui aura tout de même lieu et réunissant Pierre G. Desenfant et John Duncan. Même la glace autour du Sonic s’y est mis de temps à autres, craquant et se fissurant avec des bruits inquiétants. On aurait presque pu rêver d’être du côté d’Odessa pour entendre la poésie violente de toute cette glace qui se rebelle sous les assauts du vent et du froid.
John Duncan est un musicien rare. Déjà parce que ce n’est que son deuxième passage sur Lyon. La première fois c’était au Pezner et John Duncan avait partagé l’affiche avec Dan Burke/Illusion Of Safety. Il avait joué dans le noir complet, installé à la table de mixage du Pezner d’où il avait envoyé tous ses sons et toutes ses bidouilles tout en jouant sur les axes et les sources de diffusion. Le public était resté attentif – dans le noir on a de toute façon pas trop le choix – et captivé par la musique industrielle ambient de John Duncan. Un pionnier du genre.
Ce soir au Sonic c’est à peu près le même topo. De la diffusion sonore plus qu’un concert. Sauf que John Duncan a disposé tout son matériel sur une table au centre de la salle et que l’on peut remarquer quatre enceintes délimitant un espace sonore distinct. John Duncan va se servir de cette configuration pour mélanger les sons à sa guise. Des sons préenregistrés voire des compositions gravés sur des CDs qu’il conserve soigneusement dans un drôle de porte-disques en forme de boite à rythmes ou de séquenceur (?). Au passage un peu de théâtralité à l’aide d’une main gauche un rien précieuse – comme si John Duncan manipulait un thérémine ou un système équivalent lui permettant de déclencher des ondes – et surtout une musique profonde, envoûtante et d’une beauté violente.
Après une trentaine de minutes le musicien propose « malgré le froid » de jouer une autre pièce. Si la première partie du concert était vraiment bien, la seconde frisera l’exceptionnel au niveau des sensations et du rendu sensoriel : des fréquences basses bourdonnantes, des sonorités urbaines et industrielles très expressives mais aussi un peu d’humour glacial avec cette voix samplée répétant inlassablement It’s colder and colder/As we descend… une bonne idée, vraiment de circonstance vu le froid qui continuait effectivement à régner au Sonic.
En début de soirée Pierre G. Desenfant – que certains connaissent peut être sous le nom de Blackthread – a présenté un autre aspect de son travail musical, basé sur des nappes ambiantes (générées avec un Moog) et fourmillantes de petits détails quasi rythmiques apparaissant puis disparaissant en arrière plan. De la musique ambient, donc, très belle assurément, et plutôt tendrement électrique.
Sur la scène du Sonic était disposé un vieil Atari et sans que je sache trop comment, ce que jouait Pierre ressortait sur l’écran de cet ordinateur éculé façon ondes d’oscilloscope, lesquelles étaient à leur tour captées par une caméra pour être diffusées sur l’écran de fond de scène du Sonic. La qualité assez médiocre de l’image rendue n’arrivait pas à faire oublier qu’il ne s’agissait là que d’un gadget mais qu’importe, la musique que l’on goutait pendant ce temps là était d’une finesse assurée et d’une délicatesse toute appréciable.