lundi 20 février 2012

Report : One Lick Less à La Triperie - 17/02/2012





Un concert à La Triperie. Bien. Sauf que lorsque je débarque rue Imbert-Colomès, au beau milieu des pentes de la Croix Rousse, je me retrouve nez à nez avec un bâtiment dont le rez-de-chaussée est entièrement muré. Lorsque j’habitais encore dans ce quartier (c’était au siècle dernier) La Triperie était un squat installé dans une ancienne triperie désaffectée (donc), un squat vraiment crade et peuplé de punks à chiens aussi insomniaques que junkies. Naïvement j’ai tout d’abord cru que mon concert avait lieu au même endroit, un bel endroit désormais réhabilité, or le mur de parpaings qui me faisait alors face semblait bien signifier que cet immeuble de la Croix Rousse que je connais bien est resté un vestige de l’ancien temps et résiste toujours à la gentrification et la muséification des vieux quartiers de Lyon.
Renseignements pris, La Triperie en question, celle de 2012, se trouve dans la même rue, juste à côté, au 22, et occupe des locaux qui au cours des années 80 abritaient le Via Colomès, célèbre et très pointu lieu dédié au free jazz et aux musiques improvisées, un lieu alors géré par l’A.R.F.I. et où les pontes du free obscurantiste du monde entier venaient jouer. Un endroit dont j’ai beaucoup entendu parler mais où je n’ai jamais pu me rendre parce qu’il a fermé que peu de temps après mon arrivée sur Lyon*.
Mais qu’importe… c’est donc ici que se trouve désormais La Triperie et c’est ici que va se dérouler le concert du jour – tendrement coorganisé par Active Disorder et Bigoût records – avec à l’affiche Hyacinth Days, Imagho, Sabrina Lorre et surtout One Lick Less. 




Hyacinth Days est un one man band et on aurait tort de penser que ce garçon est un loser sous prétexte qu’il utilise encore myspace en 2012 et qu’il ne donne au grand maximum qu’un seul concert par an. En ce qui me concerne, voilà bien deux années que je n’avais pas vu ce bassiste solitaire jouer devant un public. Assis sur une chaise Hyacinth Days a encore dégraissé (si possible) sa formule : avant il utilisait un vieil ordi pour générer un beat de conserve mais il n’y a plus d’ordi ; avant il lui arrivait de chanter sur au moins un titre mais il ne chante plus.
Tout est recentré sur la basse et des compositions courtes mais denses, au fort pouvoir mélodique et rondement menées. Si on admet que souvent les structures des titres se ressemblent, on pense également que ce jeune homme possède un réel talent de mélodiste et que surtout il sait faire sonner son instrument magnifiquement – oui un vrai beau son de basse, sans effets, bien rond et chaleureux a vraiment quelque chose d’envoutant.




Suit Imagho, encore un one man band. J’ai passé tout le concert à me demander où j’avais bien pu déjà voir cette vieille tête là, dans quel groupe du passé – Ultra Milkmaids ? Fragile ?** – et à admirer la technique et le savoir-faire du monsieur pour distiller une musique instrumentale, très orientée post rock sous influence Dead Man avec une pointe d’expérimentation sonore. Certains titres m’ont réellement plu alors que je ne suis habituellement guère friand du genre (qui à mon sens s’accommode bien mieux du home listening et de la pantouflardise). Vu la petitesse de la salle on avait par contre du mal à se rendre réellement compte des jeux de constructions élaborés à l’aide de trois amplifications différentes.
En deuxième partie de concert Sabrina Lorre, comédienne, est montée sur scène. Elle prépare avec Jean-Louis Prades/Imagho un spectacle autour des textes de Richard Brautigan et le duo a pensé profiter de l’occasion de ce concert pour en présenter un « état des lieux ». Malheureusement le résultat ne permettait pas de se laisser suffisamment guider par les textes de Brautigan. On peut dire que le côté musical prenait trop de place et d’ailleurs, malgré tout le bien que l’on peut penser de cet écrivain américain magnifique et à l’écriture subtile mais parfois délirante, est-ce réellement une bonne idée que de l’adapter dans un spectacle incluant également de la musique ?***




Le clou de la soirée c’est bien sûr One Lick Less. J’attends le duo parisien avec une certaine impatience, son disque & We Could Be Quiet ayant particulièrement illuminé l’année 2011 de toute sa finesse et de toute sa beauté. Je n’ai pas été déçu bien qu’un peu surpris par le côté assez frontal du concert – le batteur du groupe m’assurera après que parfois One Lick Less joue davantage sur les flottements, les attentes, le blues qui s’enlise et empoisonne, etc. – mais j’ai complètement été séduit par le dispositif original du duo : d’un côté une batterie minimaliste mais équipée d’un tom basse manipulé à l’aide d’un pédalier, une batterie également régulièrement rehaussée par l’utilisation d’objets, d’accessoires ainsi qu’une impressionnante collection de baquettes en tous genre ; de l’autre côté une lapsteel fabriquée maison, parfois de la guitare et un peu de chant (quelques problèmes évidents de sonorisation au niveau de la voix ont toutefois un peu entaché le concert).
On aura du mal à mettre en mots toute la finesse et toute l’inventivité des compositions de One Lick Less. Avec un côté blues noise évident, le duo s’entiche également d’un peu de mathématiques (le jeu de ce batteur que l’on retrouve également dans Xnoybis est aussi épatant qu’il a l’air naturel : malgré toute la maîtrise mise en œuvre on ne pensera jamais, à le voir se démener, en termes de démonstration) et d’une étrangeté qui n’a rien de perturbante mais génère nombre d’émotions. On pourrait croire qu’il y a du Captain Beefheart dans One Lick Less, mais il y a également un peu de Gastr Del Sol ou de Storm & Stress (celui du premier double album uniquement) et toujours une sensibilité et une poésie musicale, deux choses qui, aussi mystérieuses quelles sont, sont également devenues rares de nos jours. Ce fut vraiment un très beau concert.

* mais juste une rue en dessous, rue des Tables Claudiennes, il y avait le Local, là où les Silly Hornets ont organisé tant de merveilleux concerts punk, hardcore et noise et encore une rue après, rue Burdeau, se trouvait le Wolnitza
** comme on m’a affirmé que Fragile/Hervé Thomas n’avait jamais donné de concerts, j’en ai déduit que ce n’était pas la bonne réponse…
*** plus j’y pense et plus je crois que la réponse est non : ce genre d’expérience me semble d’ailleurs très aléatoire, les textes littéraires sont rarement faits pour ça et seul le travail des poètes sonores me semble y correspondre, puisque ceux-ci écrivent avec l’idée non seulement de rythmes mais avec celle de correspondances sonores – le meilleur exemple actuel étant la collaboration entre Anne-James Chaton et Alva Noto, les interrelations entre la déshumanisation de la scansion de l’un et la répétitivité électronique de l’autre