Deux concerts de suite la même semaine au Sonic, voilà une éternité que cela ne
m’était pas arrivé. Tant mieux… Pour être tout à fait franc, je n’avais au départ
absolument pas l’intention d’y retourner aussi rapidement et surtout pas pour assister
à un concert du duo Ted Milton/Sam Britton. Mais lorsque à la dernière minute
il a été question que Papier Tigre, alors en pleine vadrouille entre Dijon et
l’Espagne, se rajoute au programme, mon cœur d’artichaut n’a fait qu’un bon.
C’est peut dire qu’ici on est fan de ce groupe de voltigeurs invétérés.
Apparemment je ne suis pas le seul à avoir eu cette
réaction : nombre de personnes dans le public se sont déplacées uniquement pour
les nantais, lesquels ont d’une certaine façon sauvé le concert en rameutant un
peu plus de monde. C’est dur pour Ted Milton mais selon toutes vraisemblances son seul nom n’aurait pas suffi à attirer les
foules, à peine une poignée de vieux fans de Blurt, des fans qui ne l’ont pas
encore oublié. Il faut dire aussi que son projet Odes en compagnie de
l’électronicien Sam Britton n’a pour l’instant pas encore fait grand bruit, à
condition bien sûr qu’il en fasse un jour. Ce qui n’est pas sûr du tout,
malheureusement.
Ils sont donc bel et bien là les PAPIER TIGRE : ils sont jeunes et ils
sont magnifiques même s’ils sont tous les trois en short. Encore des idéologues
sportifs ? Des exhibitionnistes amateurs de performances et d’onanisme
musical ? Non : plutôt des jeunes gens tendance lutins électriques et
facétieux, certes des garçons qui se donnent à fond et qui pour cela préfèrent se
mettre à l’aise (de la même façon qu’il n’y a rien de mieux, pour écrire sur un
ordinateur capricieux un report ou une chronique de disque que personne ne lira,
que de porter un vieux pantalon de survet informe et fatigué – tu imagines un
peu le tableau ? non ? OK : rajoute une ou deux canettes de bière
et tu auras enfin l’image complète).
Donc le plus important c’est la musique, pas
l’attitude. Et, à dire vrai, on s’en fout complètement des physiques
d’athlètes, de la prestance ultrabright, de la pilosité défrichée ou du glamour
bogoss en ce qui concerne les trois Papier Tigre. Lesquels se contentent, si on
peut dire, d’une humilité – paradoxalement – conquérante et ultra enthousiaste en guise de
carburant supersonique. Je pourrais éventuellement vous raconter aussi que ces
garçons sont des extra-terrestres mais non : pour avoir (à peine) discuté
avec eux après le concert je peux vous assurer qu’au contraire ils sont tout ce
qu’il y a de plus humains et amicaux. Mais quel est donc leur secret ?
Ils n’en ont pas : incontestablement, Papier
Tigre est l’un des meilleurs groupes actuels dans la catégorie pop noisy, savamment
et intelligemment décalée. Et c’est tout. On répondra également aux quelques détracteurs
du trio – forcément des gens sans aucun goût – et qui lui reprochent son côté
trop cérébral et trop habile que Papier Tigre est un formidable groupe de scène.
Un groupe dont l’une des principales qualités est de transformer des
compositions souvent imparables (mais toujours hérissées de pointes,
d’aspérités et autres pièges à frissons) en système de télé-transportation
moléculaire à effet immédiat : l’euphorie étrange de Papier Tigre ne
faiblit jamais, la force passionnelle qui anime les trois musiciens
n’appartient qu’à eux mais ils savent également très bien la faire partager, aussi
généreusement que frénétiquement.
Je reste toujours admiratif face à une telle exaltation
qui ne me parait jamais feinte ni artificielle. Pourtant cela fait des années
que les Papier Tigre donnent des concerts et tournent sans relâche alors
on pourrait imaginer qu’il leur arrive parfois de se lasser… Bien au
contraire : le groupe est déjà parti à l’autre bout de la Terre, a du
connaitre des expériences musicales et humaines dont je suis incapable de
soupçonner l’existence et, là, devant une poignée de pauvres petits lyonnais
surexcités, ils jouent ensemble, comme si de rien n’était, avec une sorte de
dévouement conquérant qui donne une merveilleuse idée ce que peuvent signifier
les mots « naturel » et « bonheur » associés ensemble.
Allez, maintenant, tout le monde en short.
Malheureusement il n’en sera pas ainsi pour le duo
TED MILTON / SAM BRITTON. Il est vrai
que lorsque les trois quarts du public se barrent après le groupe de première
partie, cela n’aide pas non plus. Surtout lorsque parmi les quelques survivants,
une moitié abandonne à son tour en cours de route… Les deux musiciens
présentent donc Odes, un vieux projet de Milton (des années 2006/2007) réactivé
pour l’occasion. A l’époque un disque avait été publié, un CD accompagné d’un
vinyle 7’, un disque ultra limité et vendu uniquement lors d’une tournée. Sur Odes Ted Milton jouait accompagnés de
différents musiciens, l’improvisateur Steve Beresford par exemple ou encore le
musicien allemand Andreas Gerth et, pour un seul titre, par Sam Britton.
Le principe du duo est plutôt simple : Ted
Milton chante des textes (pas forcément de lui), joue du saxophone alto alors
que Britton s’occupe de tout le reste derrière son laptop. La classe de Ted
Milton – toujours en costard clair à larges épaules – et ses allures de vieux
dandy punk destroy n’y feront rien et la prestation du duo souffre de
beaucoup trop de défauts : rien qu’en ce qui concerne Ted Milton, le son de
son alto est noyé sous une tonne d’effets qui trop souvent le rendent
abominable ; ensuite les textures, sonorités et rythmiques torchées par
Sam Britton sont toutes plus atroces les unes que les autres. Comme si le
musicien venait de découvrir que l’on peut s’amuser à faire de la musique avec
un ordinateur mais que le résultat ne faisait vraiment rire que lui.
On souffre donc à ce concert de Ted Milton. On
souffre d’autant plus que l’on a adoré Blurt et qu’ici le chanteur/saxophoniste
anglais devient pathétique, perdu dans un projet qui ne lui convient guère et
qui donc ne convainc pas. Alors on oublie tout de suite et on réécoutera un de
ces jours les vieux disques de Blurt, histoire de se rappeler des concerts parfois
magiques qu’a donnés ce groupe assez fabuleux à Lyon depuis 25 ans (avant, je
n’y étais pas).
[quelques photos du concert ici]