lundi 13 mai 2013

Judas Donneger / Des Millions Qui Y Sont Encore




Du temps. Il a fallu laisser passer du temps après le concert donné par Judas Donneger à la fin du mois de février dans la cave de Buffet Froid, à Lyon. Du temps pour digérer et encaisser les déchirures sonores et la terreur industrielle du duo. Une façon quasi insupportable de malaxer les sons puis de vous les recracher à la gueule ; une façon tout aussi insupportable de jouer avec les nerfs de l’auditeur, de le séduire par là où ça fait mal puis de le laisser complètement tomber, perdu au centre d’un cyclone de sentiments contradictoires et cannibales auquel il ne peut ni, finalement, ne veut échapper.
Comme auparavant avec les Suce-Pendus, le précédent groupe de l’un des deux membres de JUDAS DONNEGER, l’écoute de la musique du duo vous place dans une drôle de situation, inconfortable mais en définitive consentie et acceptée, entre abomination et admiration, rejet et séduction. Des Millions Qui Y Sont Encore, premier et terrible album de Judas Donneger, retranscrit parfaitement toute cette ambivalence ressentie lors d’un concert auquel je pense encore.
Après je me suis posé la question des textes éructés par les deux Judas Donneger – l’un en mode stentor halluciné, l’autre façon hurleur en camisole. Faut-il en parler de ces textes ou au contraire se concentrer uniquement sur la musique ? A titre personnel, j’ai tendance à oublier rapidement que telle vieille chanson parle d’un type qui tapine au coin de la cinquante-troisième et la troisième rue pour pouvoir se payer sa dose d’héro ; j’oublie tout autant que celle-ci raconte que l’on s’emmerde à mourir pendant cet été pourri de l’année 1969. Mais je le sais quand-même, alors inutile de nier que mon écoute des chansons en question est forcément imprégnée des textes qu’elles contiennent.
Dans le cas de Judas Donneger c’est encore plus évident. On ne peut pas dire que les textes soient contenus (dans tous les sens du terme : pas d’effet boite à rangement ni de rétention ou de retenue). Des textes écrits en français et si la musique du groupe est violemment offensive et malsaine, les textes le sont tout autant et là encore il est impossible d’y échapper. On peut essayer de les lire aussi, puisque Des Millions Qui Y Sont Encore comporte un insert imprimé, et découvrir la virulence parfois écœurée, souvent putride et toujours révoltée des paroles ou plutôt des mots d’Endroit Clos, Lazare, Satti Oberlé ou 2012 (tiens tiens). Mais cette lecture n’apporte rien de plus ; elle apporte juste, si besoin était, la confirmation que les mots que l’on est en train d’écouter sont bien ceux que l’on a cru entendre et que l’on vient de bouffer par la racine. Aucune illusion, aucun doute, aucune hésitation dans des textes qui font pour moitié dans la puissance dévastatrice de Des Millions Qui Y Sont Encore. Un disque qui me hante au moins autant que ce concert dans une cave obscure et un disque qui va désormais beaucoup compter.