Neneh
Cherry + The Thing = The Cherry Thing.
Oui, vous avez bien lu. Une chanteuse de variétés qui s’associe à la
crème du free jazz actuel. Bon, gardons notre calme et tentons de trouver
quelques bonnes raisons pour expliquer cette association. Et commençons par
celles qui n’ont rien à voir ou presque. Premièrement Neneh Cherry s’appelle en
vrai Neneh Mariann Karlsson et est
à moitié suédoise (par sa mère), tout comme Mats Gustafsson de The Thing.
Deuxièmement The Thing est le nom
d’une composition du trompettiste Don Cherry, lequel n’est autre que le beau-papa
de Neneh Cherry – l’histoire raconte que Don Cherry, après avoir épousé Monica
Karlsson, a élevé Neneh comme sa propre fille aux côtés de son demi-frère
Eagle-Eye et que celle-ci n’a pas pu s’empêcher de prendre le nom de Cherry
lorsqu’elle a à son tour décidé de faire de la musique.
Un peu plus sérieusement, Neneh Cherry dans sa
prime jeunesse jouait dans un groupe post punk (comme on dit maintenant) plutôt
recommandable du nom de Rip Rig + Panic
(qui est aussi le titre d’un album de Rahsaan Roland Kirk) en compagnie
de Gareth Sager et Bruce Smith, deux anciens membres de The Pop Group –
accessoirement Bruce Smith était également le mari de Neneh Cherry.
Encore plus sérieusement, si je ne veux pas que
cette chronique de disque se termine en billet mondain digne d’un magazine
pipole pour ménagères débordées je suis obligé d’arrêter là. Car en fait il n’y
aucune raison valable pour expliquer qu’un jour Mats Gustafsson, Ingebrigt
Håker Flaten et Paal Nilssen-Love ont décidé de donner des concerts en
compagnie de Neneh Cherry puis d’enregistrer un disque avec elle, aucune raison
valable mise à part l’envie de le faire et ça c’est déjà beaucoup. C’est même
l’essentiel.
C’est Eugene Robinson d’Oxbow qui je crois a
déclaré que le jazz a perdu beaucoup de son âme et de sa raison d’être en
délaissant le chant et en devenant quasiment instrumental. The Cherry Thing est un disque qui donne entièrement raison à
monsieur Robinson. D’un côté vous avez une chanteuse rompue à toutes les sauces
plus ou moins indigestes des hit-parades mondiaux – oui, bon, d’accord, il y a
vraiment pire comme chanteuse – et qui a été contrainte d’enregistrer un disque
d’une heure en moins de quatre jours et sans avoir recours à la tricherie des
studios modernes ni à l’informatique musicale (question sophistication on note
quelques rajouts avec une petite section de cuivres sur nombre de titres, quelques
overdubs de saxophone, un peu d’orgue, d’électronique ou du vibraphone). De
l’autre côté vous avez un trio aventureux qui aime multiplier les
collaborations (Otomo Yoshihide, Joe McPhee, Ken Vandermark, etc.) et qui pour
la première fois ose se frotter à une « personnalité » qui n’est pas
vraiment de son bord.
On peut détester la façon de chanter de Neneh
Cherry mais il n’empêche qu’elle a un grain de voix et un feeling qui colle on
ne peut mieux avec un groupe de (free) jazz. Les trois garçons de The Thing,
puisqu’on en parle, sont très bons dans le rôle d’accompagnateurs de luxe, ont
concocté des arrangements aux petits
oignons et ne s’interdisent jamais quelques digressions free dont ils sont
coutumiers. En résumé l’association des deux fonctionne et la petite Neneh joue
de sa voix avec tact, sensibilité, conviction et ce qu’il faut de beauté,
boostée par un Gustafsson qui ne fait rien pour l’étouffer non plus.
Comme toujours avec The Thing, The Cherry Thing est un album bourré de
reprises. Outre le What Reason Could I
Give d’Ornette Coleman (de son album Science
Fiction en 1972) et Golden Heart
de Don Cherry (de l’album Complete
Communion en 1973), on remarque Accordion
de Madlib, le magnifique et magnifié Dream
Baby Dream de Suicide et surtout une excellente version du Dirt des Stooges – le dernier titre de la première face de Fun House, évidemment, et non ne hurlez
pas, cette reprise n’est pas si hérétique que cela. Un programme qui confirme en
partie l’encrage rock/punk/etc. de The Thing mais qui surtout a du permettre à
tous les protagonistes de The Cherry
Thing de trouver un peu plus qu’un terrain d’entente. C’est bien au niveau
de la complicité que tout se passe et The
Cherry Thing n’est ni une lubie, ni un coup de bluff et encore moins un
disque artificiel mais un bon petit disque qui passe tout seul. Alors maintenant,
laissons faire le temps…