Nouveau messie du hip-hop underground depuis plus
de dix ans, ex Company Flow, cofondateur désormais démissionnaire de Definitive
Jux recordings et génial producteur de l’album The Cold Vein de Cannibal Ox (entre autres), EL-P revient enfin avec un nouvel
enregistrement, Cancer 4 Cure… sur Fat Possum cette
fois. Bon, allez, c’est vrai que l’on a été un peu surpris suite à l’annonce de
ce changement de label et qu’un brin d’inquiétude avait même fait son
apparition. En attendant d’en savoir plus on pouvait toujours supputer sur
l’illustration de la pochette de Cancer 4
Cure reprenant celle
de l’album I'll Sleep When You're Dead
mais en version phœnix transformé en miroir aux alouettes et surtout en mille
morceaux. On pouvait également extrapoler au sujet d’un titre d’album aussi
sibyllin que mortifère.
Mais le résultat est là, éclatant de
réussite : avec Cancer 4 Cure on
ne peut qu’admettre qu’EL-P continue de boxer hors catégorie. Et très loin au
dessus de tout le monde. Si quelque chose s’est brisée en ce bas monde ce ne
sont certainement pas l’inspiration ni le mordant du presque quarantenaire
Jaime Meline, El Producto.
Marques de fabrique incontournables, les instrus de Cancer 4 Cure sont à la fois luxuriants
et glaçants, les rythmes tribaux et irrésistibles (le presque breakbeat de
Request Denied surligné par un sample en
hommage aux débuts de Meat Beat Manifesto – « Storm The Studio »), le
flow d’EL-P imperturbable et impérieux. Cancer
4 Cure impressionne par ce mélange de brutalité froide et de sophistication
accessible à tous, de profusion d’idées et d’efficacité inquiétante, entre
embrouilles électro de haut vol et urbanité contagieuse et viscérale. Malgré
une fin d’album moins rentre-dedans, moins nerveuse et presque plus mélancolique
il n’y a sur cet album strictement aucun temps mort ni aucune éclaircie pour reprendre
son souffle – le très beau mais très sombre Sign
Here n’est finalement qu’un faux répit – et Cancer 4 Cure apparait à la fois encore plus tendu et plus luxuriant
que tous ses prédécesseurs réunis. Il est surtout d’une unité et d’une cohésion
pas loin d’être admirables.
Dernier détail, EL-P a souvent fait appel à des invités
hors hip-hop et hors rap, des gens souvent pas recommandables pour deux sous mais
il a toujours su les intégrer dans un ensemble cohérent, loin de tout effet artificiel
– ici c’est le poupon Paul Banks des abominables Interpole qui apparait sur Works Everytime et le blondinet new-yorkais
colle parfaitement à l’ambiance voulue tout comme Trent Reznor l’avait fait
avant lui sur l’album I'll Sleep When
You're Dead. Sur Stay Down Nick Diamonds (aka Nicholas Thorburn) vient lui aussi
pousser la chansonnette et le résultat est tout simplement époustouflant. Il est toujours amusant de constater comment El-P arrive à
faire exactement ce qu’il veut de ses guests, aussi pénibles soient-ils. Côté
invités hip-hop on remarque le gros affreux Mr Motherfucking eXquire, Danny
Brown, Killer Mike et Despot, soit la crème du hip-hop undergrond US.
Aussi bon rappeur que producteur éclairé, orfèvre
du son et ingénieur expert en magie noire, El-P livre avec Cancer 4 Cure son meilleur album solo à ce jour. L’avenir lui
appartient plus que jamais.