Au départ, KTL – abréviation de Kindertotenlieder,
le « chant de la mort des enfants » – est un duo monté par Peter
Rehberg et Stephen O’Malley pour accompagner
des spectacles de danse sur des chorégraphies de Gisèle Vienne. Ce qui n’a
pas empêché KTL de produire nombre d’enregistrements, d’abord directement liés
au travail de Gisèle Vienne et aux textes de Dennis Cooper (KTL I et KTL II) puis
éloignés de toutes significations extramusicales (KTL IV). Les Editions Mego de Peter Rehberg ont publié
en ce printemps 2012 le nouvel album de KTL, logiquement intitulé V, le premier véritable album studio du
duo en trois ans.
KTL V
marque un retour en arrière après la (relative) accessibilité de IV et ses parties rythmées. Pourtant KTL V n’est pas non plus essentiellement
basé sur les drones de guitares que Stephen O’Malley a si patiemment mis au
point avec Sunn O))). Ce nouvel album est même le fruit d’un travail haletant à
base de synthétiseurs modulaires et analogiques manipulés par Rehberg comme par
O’Malley. Les sonorités de guitare sont ici largement minoritaires et tout un
titre, le trop court Study A, a même
été enregistré aux Studios GRM de l’INA,
temple de la musique acousmatique fondé par Pierre Schaeffer en 1958. Le
superbe Phill 2 est lui basé sur un
enregistrement effectué par les cordes et les cuivres de l’orchestre
philarmonique de Prague et mis en forme par l’islandais Jóhann Jóhannsson.
Cette
diversification des sources sonores n’entache pas – bien au contraire – la
nature très organique que la musique de KTL mais elle l’a fait s’élever vers
des sommets auparavant inaccessibles et qu’elle n’avait donc encore jamais
connus. La lumière domine largement les trois premiers quarts de KTL V, une lumière certes crue et
dispensant une tristesse insondable mais paradoxalement très confortable pour
qui aime le recueillement, l’isolement et fermer les yeux en écoutant de la
musique (et les fermer tellement fort que derrière les paupières des tâches de
lumière apparaissent, un peu comme le logo KTL aux couleurs décomposées sur la
pochette du disque). La puissance d’évocation de la musique de KTL tourne alors autour du tremblement de terre, l’onde de choc perturbe les atmosphères sans les fracasser et les éclairs de lumières aveuglants ne cessent de dévoiler la vérité derrière la vérité et donc un infini questionnement.
Dernier
titre de KTL V, Last Spring : A Prequel est un travail sur un texte de Denis
Cooper et mis en mot par le comédien Jonathan Capdevielle, collaborateur
régulier voire favori de Gisèle Vienne. Last
Spring : A Prequel est précisément la bande-son d’une installation de Gisèle Vienne. On retrouve ici une
parties des ambiances mortifères du déjà très éprouvant Jerk – A Travers Leurs Larmes (un livre/disque de Peter Rehberg,
Dennis Cooper et Gisèle Vienne avec le
même Jonathan Capdevielle et publié chez Dis Voir). On apprécie
Last Spring : A Prequel mais on
regrette malgré tout l’inclusion de cette dernière pièce sur KTL V car elle ne réussit pas à y tenir
le rôle de climax pas plus que celui de contrepoint. En résumé on a plus
l’impression d’un ajout artificiel que d’une continuité musicale. Les 300
premières copies vinyle de KTL V
comportent un disque blanc/white label en bonus avec deux plages tirées des
mêmes sessions GRM que Study A :
on trouve juste qu’il aurait été plus judicieux d’inclure ces deux pièces-ci
(surtout la première) sur le tracklisting normal de KTL V et de réserver Last Spring : A Prequel à l’édition en tirage limité.