mardi 24 juillet 2012

KTL / V




Au départ, KTL – abréviation de Kindertotenlieder, le « chant de la mort des enfants » – est un duo monté par Peter Rehberg et Stephen O’Malley pour accompagner des spectacles de danse sur des chorégraphies de Gisèle Vienne. Ce qui n’a pas empêché KTL de produire nombre d’enregistrements, d’abord directement liés au travail de Gisèle Vienne et aux textes de Dennis Cooper (KTL I et KTL II) puis éloignés de toutes significations extramusicales (KTL IV). Les Editions Mego de Peter Rehberg ont publié en ce printemps 2012 le nouvel album de KTL, logiquement intitulé V, le premier véritable album studio du duo en trois ans.
KTL V marque un retour en arrière après la (relative) accessibilité de IV et ses parties rythmées. Pourtant KTL V n’est pas non plus essentiellement basé sur les drones de guitares que Stephen O’Malley a si patiemment mis au point avec Sunn O))). Ce nouvel album est même le fruit d’un travail haletant à base de synthétiseurs modulaires et analogiques manipulés par Rehberg comme par O’Malley. Les sonorités de guitare sont ici largement minoritaires et tout un titre, le trop court Study A, a même été enregistré aux Studios GRM de l’INA, temple de la musique acousmatique fondé par Pierre Schaeffer en 1958. Le superbe Phill 2 est lui basé sur un enregistrement effectué par les cordes et les cuivres de l’orchestre philarmonique de Prague et mis en forme par l’islandais Jóhann Jóhannsson.
Cette diversification des sources sonores n’entache pas – bien au contraire – la nature très organique que la musique de KTL mais elle l’a fait s’élever vers des sommets auparavant inaccessibles et qu’elle n’avait donc encore jamais connus. La lumière domine largement les trois premiers quarts de KTL V, une lumière certes crue et dispensant une tristesse insondable mais paradoxalement très confortable pour qui aime le recueillement, l’isolement et fermer les yeux en écoutant de la musique (et les fermer tellement fort que derrière les paupières des tâches de lumière apparaissent, un peu comme le logo KTL aux couleurs décomposées sur la pochette du disque). La puissance d’évocation de la musique de KTL tourne alors autour du tremblement de terre, l’onde de choc perturbe les atmosphères sans les fracasser et les éclairs de lumières aveuglants ne cessent de dévoiler la vérité derrière la vérité et donc un infini questionnement.
Dernier titre de KTL V, Last Spring : A Prequel est un travail sur un texte de Denis Cooper et mis en mot par le comédien Jonathan Capdevielle, collaborateur régulier voire favori de Gisèle Vienne. Last Spring : A Prequel est précisément la bande-son d’une installation de Gisèle Vienne. On retrouve ici une parties des ambiances mortifères du déjà très éprouvant Jerk – A Travers Leurs Larmes (un livre/disque de Peter Rehberg, Dennis Cooper et  Gisèle Vienne avec le même Jonathan Capdevielle et publié chez Dis Voir). On apprécie Last Spring : A Prequel mais on regrette malgré tout l’inclusion de cette dernière pièce sur KTL V car elle ne réussit pas à y tenir le rôle de climax pas plus que celui de contrepoint. En résumé on a plus l’impression d’un ajout artificiel que d’une continuité musicale. Les 300 premières copies vinyle de KTL V comportent un disque blanc/white label en bonus avec deux plages tirées des mêmes sessions GRM que Study A : on trouve juste qu’il aurait été plus judicieux d’inclure ces deux pièces-ci (surtout la première) sur le tracklisting normal de KTL V et de réserver Last Spring : A Prequel à l’édition en tirage limité.