jeudi 26 juillet 2012

A Place To Bury Strangers / Worship




Oliver Ackerman et ses petits camarades de jeu sont de retour, quelques mois à peine après le EP Onwards To The Wall. Comme on ne change pas une équipe qui gagne ni les recettes qui fonctionnent trop bien et surtout pas lorsqu’on s’appelle A PLACE TO BURY STRANGERS, personne ne pourra être surpris de la teneur générale de ce troisième album. Worship est un excellent enregistrement pour qui connait et aime déjà le groupe ; ce sera un étron sonique de plus pour tous ses détracteurs. Logiquement cette chronique devrait s’arrêter ici puisqu’elle est bien partie pour ne servir à rien ni apporter beaucoup d’eau au moulin des 0.000001 % de la population mondiale pour qui importe la musique d’un petit groupe new-yorkais. Il n’empêche qu’il y a deux ou trois choses extrêmement bizarres voire incongrues sur ce Worship.
Pris séparément la moitié des titres du disque sont la plupart du temps et au pire du remplissage parfaitement honorable alors que les autres se révèlent tout simplement être des hits imparables. Des petites perles soniques, que ce soit dans le registre d’une new wave un rien larmoyante, dans celui de fusées à étages dopées aux pédales d’effets fabriquées par Ackerman lui-même et, enfin, grâce à certains titres légèrement plus introspectifs et en retrait – tout est relatif bien sûr parce que le grand plaisir d’A Place To Bury Strangers est de toujours en rajouter une couche dans le pathos tout comme le guitariste en chef aime rajouter des couches d’artificialité conquérante sur sa guitare. Avec une telle collection de titres on peut penser que l’affaire est bel et bien pliée or Worship est un album bancal dont l’écoute peut s’avérer énervante voir décevante. Quel beau paradoxe.
S’il en est ainsi c’est que chaque titre s’accommode très mal du suivant (ou de son prédécesseur) et qu’on a rarement entendu un album aussi disproportionné et peu homogène alors que côté production tout a visiblement été fait pour donner l’impression/l’illusion du contraire. Même en essayant d’imaginer un tracklisting différent et plus efficient – mais en vain car la chose parait tout simplement impossible à réaliser – le disque continue de susciter une certaine retenue et un désarroi légitime : le sentiment persiste d’avoir affaire à onze titres qui s’éloignent toujours plus les uns des autres. Il ne reste plus qu’à s’habituer bon gré mal gré au côté playmobil et plastique moulé de Worship mais par contre il est très difficile de passer sur le cas de Dissolve qui démarre comme du vieux U2 suranné (glups…) puis fera penser dans le meilleur des cas à notre Indochine national dans sa version 1983 (si tu ne me crois pas écoute bien ce rythme faussement aventurier) – une horreur totale, donc, et surtout une erreur de taille.
Jusqu’ici A Place To Bury Strangers avait très bien su jouer de son artificialité tout en revendiquant une certaine liberté, conférant au groupe la place de numéro un sur la liste des formations revivalistes péchant dans les eaux usées des 80’s post punk et des 90’s noisy/shoegaze. Pour la première fois le groupe échoue avec Worship en ce sens que ce troisième album avait tout pour atteindre une certaine perfection mais qu’il la rate uniquement par excès de zèle. Et oui, la perfection cela n’existe pas et s’il y a des disques qui pourtant nous y font penser c’est parce qu’ils renferment suffisamment d’humain (et donc d’aléatoire et de possibilités d’erreur) pour obtenir un tel résultat. Worship est un album beaucoup trop déshumanisé. Si les groupes de l’après punk donnaient cette impression de froideur voire de (f)rigidité c’est parce qu’ils se mettaient volontairement à nu – il est vrai que ça n’a pas duré et qu’il y a rarement eu plus caricatural que les groupes pseudo cold/goth/etc pompant tout sur Joy Division/The Cure. Nous sommes en 2012 et A Place To Bury Strangers ne dévoile rien, finit par ne plus émouvoir car le groupe a placé l’efficacité voire l’efficience comme sa priorité d’ordre musicale la plus importante de toutes, tiens, oui, un peu comme n’importe quel groupe de metal de ce putain de 21ème siècle. C’est dommage et la seule solution est – finalement – de virer Dissolve du tracklisting et de combiner les dix titres restant sous la forme de cinq singles tous plus cinglants les uns que les autres. S’il vous plait, laissez-moi rêver un petit peu.

[Worship  est publié en LP et en CD par Dead Oceans]