Oliver Ackerman et ses petits camarades de jeu sont
de retour, quelques mois à peine après le EP Onwards To The Wall. Comme on ne change
pas une équipe qui gagne ni les recettes qui fonctionnent trop bien et surtout
pas lorsqu’on s’appelle A PLACE
TO BURY STRANGERS, personne ne pourra être surpris de la teneur générale de
ce troisième album. Worship est un
excellent enregistrement pour qui connait et aime déjà le groupe ; ce sera
un étron sonique de plus pour tous ses détracteurs. Logiquement cette chronique
devrait s’arrêter ici puisqu’elle est bien partie pour ne servir à rien ni
apporter beaucoup d’eau au moulin des 0.000001 % de la population mondiale pour
qui importe la musique d’un petit groupe new-yorkais. Il n’empêche qu’il y a
deux ou trois choses extrêmement bizarres voire incongrues sur ce Worship.
Pris séparément la moitié des titres du disque
sont la plupart du temps et au pire du remplissage parfaitement honorable alors
que les autres se révèlent tout simplement être des hits imparables. Des
petites perles soniques, que ce soit dans le registre d’une new wave un rien
larmoyante, dans celui de fusées à étages dopées aux pédales d’effets fabriquées
par Ackerman lui-même et, enfin, grâce à certains titres légèrement plus
introspectifs et en retrait – tout est relatif bien sûr parce que le grand
plaisir d’A Place To Bury Strangers est de toujours en rajouter une couche dans
le pathos tout comme le guitariste en chef aime rajouter des couches
d’artificialité conquérante sur sa guitare. Avec une telle collection de titres
on peut penser que l’affaire est bel et bien pliée or Worship est un album bancal dont l’écoute peut s’avérer énervante
voir décevante. Quel beau paradoxe.
S’il en est ainsi c’est que chaque titre
s’accommode très mal du suivant (ou de son prédécesseur) et qu’on a rarement
entendu un album aussi disproportionné et peu homogène alors que côté
production tout a visiblement été fait pour donner l’impression/l’illusion du
contraire. Même en essayant d’imaginer un tracklisting différent et plus
efficient – mais en vain car la chose parait tout simplement impossible à
réaliser – le disque continue de susciter une certaine retenue et un désarroi
légitime : le sentiment persiste d’avoir affaire à onze titres qui
s’éloignent toujours plus les uns des autres. Il ne reste plus qu’à s’habituer
bon gré mal gré au côté playmobil et plastique moulé de Worship mais par contre il est très difficile de passer sur le cas
de Dissolve qui démarre comme du
vieux U2 suranné (glups…) puis fera penser dans le meilleur des cas à notre
Indochine national dans sa version 1983 (si tu ne me crois pas écoute bien ce
rythme faussement aventurier) – une horreur totale, donc, et surtout une erreur
de taille.
Jusqu’ici A Place To Bury Strangers avait très
bien su jouer de son artificialité tout en revendiquant une certaine liberté,
conférant au groupe la place de numéro un sur la liste des formations
revivalistes péchant dans les eaux usées des 80’s post punk et des 90’s
noisy/shoegaze. Pour la première fois le groupe échoue avec Worship en ce sens que ce troisième
album avait tout pour atteindre une certaine perfection mais qu’il la rate
uniquement par excès de zèle. Et oui, la perfection cela n’existe pas et s’il y
a des disques qui pourtant nous y font penser c’est parce qu’ils renferment
suffisamment d’humain (et donc d’aléatoire et de possibilités d’erreur) pour
obtenir un tel résultat. Worship est
un album beaucoup trop déshumanisé. Si les groupes de l’après punk donnaient
cette impression de froideur voire de (f)rigidité c’est parce qu’ils se
mettaient volontairement à nu – il est vrai que ça n’a pas duré et qu’il y a
rarement eu plus caricatural que les groupes pseudo cold/goth/etc pompant tout
sur Joy Division/The Cure. Nous sommes en 2012 et A Place To Bury Strangers ne
dévoile rien, finit par ne plus émouvoir car le groupe a placé l’efficacité
voire l’efficience comme sa priorité d’ordre musicale la plus importante de
toutes, tiens, oui, un peu comme n’importe quel groupe de metal de ce putain de
21ème siècle. C’est dommage et la seule solution est – finalement –
de virer Dissolve du tracklisting et
de combiner les dix titres restant sous la forme de cinq singles tous plus
cinglants les uns que les autres. S’il vous plait, laissez-moi rêver un petit
peu.
[Worship est publié en LP et en CD par Dead Oceans]