C’est déjà la cinquième édition du festival
Expérience(s) organisé comme tous les ans par le Périscope de Lyon. Et tout ce que
l’on espère c’est que cet évènement grossisse toujours un peu plus, occupe
enfin toute la place qu’il mérite et devienne une réelle référence en matière
d’éclectisme et de recherche musicale – tout en gardant son côté humain et
convivial, cela va de soi.
J’aurai tout tenté pour assister à l’ensemble de
la programmation de cette nouvelle édition du festival mais je n’aurai réussi
qu’à rater les premiers jours et en particulier la soirée du jeudi 12 juillet –
par ailleurs de très bons échos me sont parvenus du duo eRikm/Frédéric Blondy
et surtout d’Actuum, quartet de free jazz très colemanien dans l’esprit (et
dont on reparlera bientôt). Par contre hors de question de rater cette soirée
du 13 avec L’Etrangleuse, L’Ocelle Mare et Pneu.
Arrivé sur place je m’aperçois que juste à côté du
Périscope certaines rues sont complètement bloquées à la circulation et on peut
entendre au loin le bruit du bal des pompiers – le contraste avec l’ambiance
plus détendue du Périscope est saisissant et assez drôle. Or ce qui est
vraiment énervant c’est de constater une fois de plus que le week-end du 14
juillet est l’un des jours privilégiés dans l’année où quelques uniformes
peuvent faire diffuser en plein milieu de la ville de la musique pas loin
d’être innommable voire complètement insupportable et ce à des volumes
désormais interdits et bien sûr jusqu’à l’aube – alors que tout le restant de
l’année les bars et petites salles de concerts sont eux régulièrement harcelés et
mis à l’amende au nom des principes bien propres sur eux de l’ « écologie urbaine » et du
respect des riverains. Passons.
Le début de cette soirée au Périscope est placé
sous le signe d’une certaine délicatesse. Le premier
album sans titre de L’Etrangleuse publié par les Disques de Plomb avait
dévoilé énormément de charmes et de diversité aussi ce concert suscitait-il une
attente certaine. Sur la scène trône une harpe majestueuse et imposante. Juste
à côté toute une rangée de pédales d’effets et une guitare.
L’Etrangleuse
est un duo mariant subtilement écriture sophistiquée et énergie rock : la
guitare est le plus souvent électrique mais pas de trop ; la harpe
distille arpèges et douceur(s) mais pas seulement. On est même très étonnés de
la vitalité et des résonnances que la harpiste tire sans aucune peine de son instrument,
entre puissance et élégance. Ce gros machin en bois et truffé de cordes recèle
bien plus de possibilités que ce l’opinion commune veut bien d’ordinaire lui
accorder.
Presque tout l’album de L’Etrangleuse sera passé
en revue pendant le set – quelques chansons un brin folklorique, des
instrumentaux plus post rock, une très belle reprise de Kletka Red – et on est
séduits par la force tranquille et exigeante d’une musique qui n’hésite pas à
se frotter à une certaine simplicité et une élégance sobre mais fort justement
mise en valeur : les deux musiciens sur scène ont une certaine conviction
et beaucoup de charme, au moins autant que leur musique.
Thomas Bonvalet aka L’Ocelle Mare a déjà installé tout
son attirail sur le côté gauche de la scène. Des bidules insensés pour qui
s’attend à écouter de la musique (ou quelque chose censée s’en approcher), des
objets hétéroclites, des instruments un peu fatigués ou bricolés, un banjo…
Tout est éclairé en contre-plongée par une petite loupiote qui illumine Thomas
Bonvalet sans pourtant l’éclairer réellement, transforme le musicien en statue
de pierre vivante, projette des ombres qui masquent une partie de ce petit coin
de scène mais laissent apparaitre de drôles de formes. Une lumière qui réussit
à donner un caractère d’irréalité complète à ce que l’on croit tout de même deviner
tout en accentuant la perception des choses. Comme un trompe-l’œil en perpétuel
mouvement et imprégnant l’atmosphère d’une fragilité un peu brutale mais
également d’un trouble évident comme celui provoqué par un cri incompréhensible
et tétanisant.
Assister à un concert de L’Ocelle Mare c’est donc
déjà un vrai plaisir pour les yeux. Cette musique
aux contours toujours très organiques mais à la beauté décidemment minérale
pourrait se suffire à elle-même or l’avantage de voir Thomas Bonvalet réellement
devant soi, en train de jouer, de se tordre sur son tabouret, de transpirer et
de tout détraquer est de balayer aussi sec tout ce que l’on avait fini par en
penser – oh, seulement deux ou trois petites certitudes mais jamais beaucoup
plus – et nous voila abandonnés mais heureux dans un autre espace-temps,
estomaqués parce qu’il n’est même plus convenu d’appeler « classe »,
une beauté d’autant plus mystérieuse qu’elle est à la fois fulgurante et à
portée de la main. On voudrait donc la toucher cette musique tellement elle
nous parle tout en nous étourdissant, on voudrait l’attraper fermement autant
qu’elle nous captive mais on ne peut pas. Baigné par sa lumière d’icône irréelle
et de poète des sons Thomas Bonvalet/L’Ocelle Mare est tout-puissant et
tellement inaccessible mais en même temps tellement généreux et altruiste.
Tranchant nettement avec le reste de la soirée,
c’est PNEU qui jouait en dernier. Les
tourangeaux sont arrivés assez tard au Périscope, leur beau van orange ayant crevé sur la route (!!??) – une
mésaventure qui peut arriver à tout le monde, même aux meilleurs, la preuve. Je
me suis demandé depuis quand je n’avais pas revu Pneu en concert : à ma
grande surprise la dernière fois remonte déjà à Septembre 2010, lors du premier
passage à Lyon de la Colonie de Vacances aux côtés d’Electric Electric, Marvin
et Papier Tigre. Entretemps Pneu a pourtant bien rejoué à Lyon (toujours avec
la colo) et il paraitrait également que le duo a donné un concert impromptu en
guise d’after soulographe lors du Festival Africantape en avril 2011 mais voilà
bien une information que je n’ai jamais pu vérifier de sources sûres.
Qu’importe, je vais pouvoir me rattraper.
Pneu en concert, cela reste du Pneu : d’un
côté un guitariste survolté et de l’autre un batteur qui le lui rend bien. Je laisse
aux anciens le soin de disserter avec âpreté pour savoir si Pneu ce n’était pas
mieux avant lorsque le guitariste n’avait qu’un seul ampli et une ou deux
pédales d’effets seulement (maintenant il utilise des loop stations et il a
même un octaver) parce que moi je m’en fous complètement : j’aime toujours
ce groupe en concert et c’est bien parti pour que je les aime toujours.
Pourtant Pneu a souffert du même phénomène que
Marvin l’année
précédente et au même endroit : un certain immobiliste poli et
contagieux de son auditoire du jour. A croire que l’ambiance cosy du Périscope
coupe toute velléité dans le public de se bouger le popotin et de se mettre à
puer sous les bras. A la place l’audience était presque uniquement composée de
rangées de chiens-chiens à tête basculante comme celui que mon oncle
Jean-Claude avait installé sur la plage arrière de sa R12 en 1975. J’admets volontiers
que pour ma part je n’ai pas réellement donné l’exemple, un peu occupé à
prendre quelques photos
pour immortaliser cette improbable séance de yoganoise. A la prochaine les
gars.