Lorsque j’ai reçu ce mail (collectif le mail, ça fait toujours plaisir) de la tête pensante de Rejuvenation records suppliant presque à genoux ses correspondants étrangers de venir soutenir le moral des troupes sur l’une des dates de la tournée d’Ultracoït, c’est de la déception puis de la colère que j’ai alors ressenties : il n’y avait pas de date programmée à Lyon. Ce n’est pas la première fois ni la dernière qu’un groupe ne passe pas par ici mais l’une des raisons de cette absence lyonnaise était liée évidemment aux problèmes actuels de Grrrnd Zero… On ne va pas refaire le monde, quoique, allons-y encore une fois : il semblerait qu’avoir deux ou trois lieux accueillant des musiques en marge de la production mainstream ou bassement commerciale relève plus que jamais du luxe impensable pour une grande ville telle que Lyon.
Pour assister à un concert du Dirty & Hairy Tour d’Ultracoït il ne restait alors que deux solutions : Saint Etienne ou Clermont Ferrand. La première date avait le mérite de se dérouler, comme presque tout le reste de la tournée, en compagnie des excellents Washingtonians*. La seconde était dans le cadre de la release party du split Membrane/Sofy Major chez Bigoût records. Tant pis pour les Washingtonians repartis chez eux après le concert stéphanois de la veille et ne se retrouvant donc pas à l’affiche de celui de Clermont : puisque les Bigoût Boys m’acceptaient dans leur camion, je ne pouvais pas refuser l’invitation.
Je vous passe les quelques péripéties on ne peut plus tristement banales d’un voyage ennuyeux et austère effectué par six personnes raisonnables et impatientes de découvrir le Clermont Ferrand underground – heureusement que nous avions toute une provision de Snickers et un CD de Pearl Jam pour tenir le coup.
Le Raymond's Bar est un très chouette endroit, autogéré, accueillant et plein de gens sympathiques. Je repère dans la salle du bar les membres d’Ultracoït vautrés sur les canapés et en pleine séance d’échauffement psychique. La salle est encore un peu vide – merde ne me dîtes pas qu’à Clermont Ferrand cela se passe des fois comme à Bordeaux – mais se remplira on ne peut mieux, dépassant les 120 entrées payantes et garantissant le succès de la soirée (la moindre des choses pour une release party, non ?).
Spanked démarre la soirée. C’est un tout nouveau groupe originaire de Besançon – le batteur précisera qu’il s’agissait de leur deuxième concert – et Spanked a les défauts de sa jeunesse : manque de mise en place entre le guitariste et le batteur, chant à deux qui n’a pas encore tout à fait trouvé sa voie (sic) et guitariste qui a parfois du mal à se faire entendre lorsque son petit camarade de batteur envoie la sauce. Ce batteur est incroyable à regarder et à écouter mais il prend un peu trop de place sur son guitariste.
C’est dommage parce qu’il y a de bonnes idées chez Spanked et beaucoup d’originalité – l’utilisation des voix justement et le côté atypique des compositions par exemple – aussi, même si une bonne partie du public est repartie au bar ou n’en a carrément pas bougé depuis le début, quelques uns restent, intrigué par un groupe encore en devenir. A bientôt.
Suivent les Ultracoït, leurs cagoules, leurs slips moulants et leur noise plombée par une grosse basse vibromasseuse par devant et des guitares épaisses par derrière. Il y a du Unsane là dedans, du Cherubs pourquoi pas aussi et du Amphetamine Reptile ça c’est sûr. Avant de commencer à jouer les quatre encagoulés ont décidé de débarquer en petite tenue dans le bar pour rameuter le public, l’un d’eux se jette sur moi sauvagement (je l’ai reconnu malgré son déguisement) et je ne peux que le suivre docilement pour assister au concert, pieds et poings liés devant la scène.
De ce concert je ne regretterai qu’une seule chose : l’absence de Maîtresse Ruth, de sa robe rouge et ses airs goguenards de salope SM et qui faisait office de grande prêtresse de cérémonie lors du concert d’Ultracoït au Fuckfest #3. Malgré cette unique faute de goût à la limite de l’impardonnable – et preuve flagrante d’un manque de charité certain envers les esclaves idolâtres du groupe –, Ultracoït a délivré un excellent concert, bien dense, bien large, bien fort et bien profond et avec un entrain certain. La noise du groupe fonctionne parfaitement sur une scène – sur disque aussi, je vous rassure – et Ultracoït, a gagné de l’aisance (c’est le métier qui rentre) et développe une puissance de feu qui fait plaisir à entendre. Une reprise de Too Drunk Too Fuck vraiment excellente, un dernier coup de boutoir, un dernier orgasme et me voilà chaud comme la braise pour tout le reste de la soirée.
Le reste c’est tout d’abord Membrane que je n’ai encore jamais vu en concert. Le groupe de Vesoul est venu jusqu’à Clermont pour fêter la parution de son LP partagé avec les locaux de Sofy Major (on en reparle bientôt de ce disque). Après la fête du slip c’est donc la fête du split. Disons tout de suite que découvrir en concert un groupe tel que Membrane** ce n’est pas tous les jours que ça arrive mais lorsque ça vous arrive, vous vous prenez une décharge de noise rock carnassier et vindicatif au travers de la gueule : qu’il était bon ce concert ! Pour un peu je vous ressortirais direct le coup du miracle qui ne se produit qu’une fois toutes les 29 lunes mais non, pas besoin.
Pas besoin car Membrane c’est typiquement ce genre de groupe qui joue méchamment carré – et pour cause : leur batteur n’est autre que celui qui a joué avec Spanked auparavant et je suis bien content d’en remettre pour un second tour avec ce musicien psychopathe – et surtout un groupe qui maîtrise les règles inamovibles d’une noise méga lourde teintée de hard core. Membrane arrive largement à faire la différence dans un style aussi ultra référencé par la seule force de compositions imparables et une interprétation sans faille. Ne faîtes pas comme moi qui ait hésité devant le stand du groupe et en suis reparti sans rien, procurez-vous les disques de ces garçons (parus chez Basement Apes).
A tout seigneur, tout honneur. Sofy Major joue logiquement en dernier puisque le groupe est chez lui, au Raymond’s Bar, à Clermont. Le groupe a installé des stroboscopes autour de lui et passera le concert à jouer sous des éclairages épileptiques. Mais il n’avait pas besoin de ça : j’en connais que cela bloque de jouer à la maison devant les copains mais ce n’est pas vraiment le cas de Sofy Major qui va délivrer le concert parfait par excellence, passant en revue les meilleurs titres de son album Permission To Engage et jouant quelques extraits du petit nouveau.
Le sondier du groupe a bien fait son job, le son était équilibré, comprenez que l’on entendait tout et distinctement : la voix rocailleuse, la basse incroyablement énorme et les parties de batterie. Surtout, jamais auparavant je n’avais pu gouter autant à la guitare de Sofy Major, guitare tenue par un chevelu qui ne s’est absolument pas gêné pour profiter de sa supériorité capillaire et, fait nouveau, on pouvait déceler dans le son de la guitare comme un arrière-goût de stoner/70’s bien fort en bouche***, teinte que l’on trouve également sur les quatre titres du split, mais avec plus d’évidence encore.
La musique de Sofy Major a de la (grande) gueule et son mélange est jouissivement étonnant : plus vraiment noise, hard core toujours mais avec une couche de gras et un lustrage à l’huile de vidange et à la sueur qui là aussi fait toute la différence.
Une fois les concerts terminés, la soirée au Raymond’s Bar s’est terminée tranquillement et bien pépère entre gens raisonnables et bien élevés, autour de discussions d’esthètes. Rien en fait qui vaille la peine d’être rapporté ici malgré une bonne humeur générale et communicative entre convives unis par la force et l’amour commun pour la musique.
Précisons enfin que le match retour de cette release party clermontoise aura lieu le 19 novembre chez les Membrane à Besançon, point de départ d’un Drunk Driving Tour de quelques jours.
[on clique sur le flyer pour avoir le détail des dates de cette tournée]
* vous pouvez admirer les photos superbes – et bien d’autres encore – qu’a prises Nada de ce concert à Saint Etienne
** et non pas membre d’âne comme me l’affirmera la bave aux lèvres je ne sais plus quel Ultracoït
*** encore une remarque légèrement impertinente de la part de qui vous savez