dimanche 6 novembre 2011

De Kift / Brik



C’est dimanche et on s’emmerde. Alors on réécoute De Kift, groupe de cousins par alliance de The Ex et tout aussi hollandais qu’eux. L’occasion rêvée pour cela c’est la parution récente du neuvième album du groupe, Brik. Un disque bénéficiant une fois de plus d’un packaging soigné à défaut d’être, comme fut un temps, hors du commun : un livre, avec une centaine de pages, des illustrations, les textes des chansons bien sûr et un système d’onglets un peu incompréhensible et donc permettant une lecture aléatoire du dit bouquin. On se rappelle que De Kift nous avait déjà gratifiés d’une boite à cigares (Krankenhaus en 1993), d’un premier livre (Gaaphonger, 1997), d’un cadre photo dissimulant un faux magazine télé (Vlaskoorts, 1999), d’une boite en faux cuivre et d’un album à vignettes (Kopper en 2001), d’un décors de scène de théâtre (Vier Vor Vie, 2003) d’une lettre (7, en 2006) et de recettes de cuisine (Hoofdkass, 2008). Les rois de l’emballage.
Mais De Kift c’était un peu plus que ça, de la musique de marins bourrés dégueulant au coin d’un rue, un folk blues mélancolique et poignant, des chansons à boire et à reprendre en chœur, une instrumentation tenant à la fois de la fanfare, de la musique de cirque, du cabaret tzigane, de la musique de chambre (de bordel) et du western fatigué. Et puis il y a cette langue, le hollandais, une langue rocailleuse, gutturale et qui vous râpait les oreilles d’autant plus que bien souvent il n’y avait pas de chant au sens classique dans De Kift mais une certaine propension à la narration, à user de cette faculté pour étaler les mots comme on délire pendant une bonne bourrée d’alcolos.
Il y a encore de tout ça dans Brik mais malheureusement de moins en moins. Avec le temps le « vrai » chant a pris de plus en plus de place. L’instrumentation est devenue de plus en plus sophistiquée et parfois même électrique. Les chansons sont devenues de vraies chansons c'est-à-dire avec des couplets et des refrains, des transitions pensées et placées aux bons endroits. De la vraie musique, quoi. C’est ainsi que De Kift s’est sociabilisé mais sans jamais perdre toutefois ce petit côté âpre qui en faisait un petit plaisir délicieux. Même les mélodies de plus en plus élaborées et les arrangements pour cordes ou cuivres de mieux en mieux torchés gardaient ce lyrisme d’arrière-cour ou de caniveau encombré par les poubelles du jour. Le meilleur exemple de cette lente mutation est sûrement le très baroque Vier Vor Vie conçu comme un mini opéra. Et De Kift a sûrement mérité de sortir d’une certaine confidentialité, d’avoir un certain succès, de devenir pote avec des groupes estampillés « nouvelle chanson française » – au passage 7 existe en version française et hollandaise et même sur ce Brik on trouve également des paroles en français. Mais maintenant on y croit un peu moins.

Brik
n’est pas réellement un mauvais disque. Mais pour la première fois De Kift y sonne terriblement cliché, comme une mauvaise caricature de lui-même et tout d’un coup on en viendrait même à souscrire aux critiques faciles entendues depuis des années au sujet du groupe et de sa musique : groupe pour bobos, ersatz des Négresses Vertes avec featuring de Bernard Menez*, j’en passe et des meilleures. Le polissage extrême sur Brik rend ce disque nettement moins attachant que tous ses prédécesseurs réunis (7 et Hoofdkass compris) et on se demande ce que foutent là cet exotisme ensoleillé de pacotille, ces mélodies accrocheuses, ce folklore purement décoratif et cette qualité d’enregistrement qui nivèle tout. Et on a vraiment du mal à y trouver la mélancolie chaleureuse qui était la marque de fabrique des hollandais. La déception est d’autant plus forte qu’on aurait pu/du sentir venir ce glissement vers la joliesse et le confortable. De Kift semble définitivement bon pour les pages cultures des magazines nationaux qui défendent forcément le bon goût pour tous. Ici, on trouve au contraire ce goût un peu amer mais – fidélité oblige – on donnera à De Kift une nouvelle chance la prochaine fois.

* si vous n’aimez pas Bernard Menez c’est parce que vous n’avez jamais vu Maine Océan de Jacques Rozier – vous remarquerez qu’à cette époque bénie on pouvait encore acheter un billet de train classe fumeurs, le rêve quoi