In Animal Tongue est déjà le quatrième album d’Evangelista/Carla Bozulich, un album publié comme ses trois prédécesseurs par les montréalais de Constellation records. Il semble surtout que In Animal Tongue soit le plus difficile d’accès d’entre tous les disques récents de la dame, surtout après un Prince Of Truth bien plus lumineux et beaucoup moins équivoque. Ainsi Carla Bozulich n’en finit pas de nous étonner mais, avant de nous étonner, elle nous perturbe toujours : ce nouvel enregistrement d’Evangelista est d’un dépouillement et d’une aridité qui friseraient la torture, assez éloigné formellement du lyrisme brut et morbide du premier album éponyme comme de la flamboyance bruyante du génial et quasiment insurpassable Hello, Voyageur. Alors Carla Bozulich a une nouvelle fois changé son fusil d’épaule mais nous dit, nous chante indéfiniment la même chose, avec une gravité à la fois désespérée et attachante et toujours ce même fusil encore dirigé vers nous, aussi menaçant que protecteur.
Car, plus que jamais, on ne sait sur quel pied danser. Carla Bozulich, la voix en avant, l’émotion brute au bout de la langue et broyée à coups de dents, ressemble de plus en plus à une vieille sorcière abimée par un sortilège aussi puissamment dangereux qu’irréversible. L’entendre chanter c’est entendre également ses doutes, ses douleurs, sa mise à nue, sa chute peut être. Mais il y a quelque chose de sublime dans l’évocation que fait Carla Bozulich de sa désespérance et de la noirceur qui l’accompagne. L’entendre chanter devient alors souffrir, par une sorte de réflexe/miracle empathique, et le feu qui la brûle nous brûle également.
Les sortilèges sont parfois terrifiants. Ce qui ne les empêche pas d’être tout aussi bouleversants... ce que l’on croit déceler de plus (ou de différent) par rapport aux disques précédents d’Evangelista c’est comme une angoisse toujours plus profonde – un état presque maladif dont Hatching est très certainement l’écho le plus malsain. La fatigue qui s’évapore d’In Animal Tongue en longues volutes irréelles et irisantes laisse la place à un chant de plus en plus murmuré, susurré, essoufflé et à la limite du moribond. Le malaise que l’on peut ressentir à l’écoute d’In Animal Tongue, éternel beau disque au demeurant, provient de ce vacillement perpétuel mais combatif, éloigné du côté diva destroy que l’on connaissait plutôt à Carla Bozulich (Artificial Lamb, Bells Ring Fire, Die Alone et Enter The Prince) ou puise son étrangeté d’un brouillard païen plutôt réussi (In Animal Tongue, Black Jesus, Hands Of Leather, Tunnel To The Stars et Hatching).
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Pour In Animal Tongue la chanteuse a une nouvelle fois réuni autour d’elle ses deux fidèles Tara Barnes (basse) et Dominic Cramp (clavier, sampler) mais aussi Sam Mickens de The Dead Science à la guitare, Ches Smith à la batterie, Sophie Trudeau ou Thierry Amar de Silver Mt Zion aux cordes – en fait le line-up d’Evangelista change à chaque titre enregistré tout comme il change lors de chaque tournée entreprise par le groupe. D’ailleurs Evangelista en concert c’est pour très bientôt : le 15 novembre à Lyon (le Sonic) et le 17 novembre à Paris au Café de la Danse en compagnie de Barn Owl sont les deux seules dates françaises de cette nouvelle tournée européenne…