jeudi 17 novembre 2011

Gator Bait Ten / Harvester





Voilà qui pourrait bien s’apparenter à un « super groupe » : le line-up de Gator Bait Ten est en effet constitué de M. Gregor Filip (guitare et bruit), Kurt Gluck (basse), Ted Parsons (batterie) et Simon-John Smerdon (synthé et basse). On retrouve le premier sur le projet The Blood Of Heroes, le deuxième n’est autre que Submerged et le patron du label Ohm Resistance qui a publié ce premier album de Gator Bait Ten, le troisième a été le batteur des Swans, de Prong et même de Godflesh lorsqu’il prenait à Justin Broadrick l’envie d’y aller mollo sur la boite à rythmes et le quatrième est plus connu sous le nom de Mothboy, un épileptique notoire de l’écurie Ad Noiseam. On reconnait également l’illustration de ce Harvester comme étant une œuvre de Khomatech, ce qui est l’une des marques de fabrique essentielle d’Ohm Resistance.
Mais contrairement à nombre de groupes ou projets peuplant le catalogue de ce label, Gator Bait Ten n’est pas un énième ersatz drum & bass hystérique ou une nouvelle éjaculation break core thermonucléaire. Non, Gator Bait Ten joue dans le registre du lent et du lourd, du répétitif et de l’oppressant mais surtout Gator Bait Ten joue pour de vrai : les machines sont très loin d’avoir un rôle prépondérant sur Harvester, les musiciens transpirent sur leurs instruments et tout (ou presque) est le résultat de vraies sessions d’enregistrement – même si les parties de batterie de Ted Parsons ont été enregistrées du côté de la Norvège et que tout le reste a été mis en boite dans un studio à Brooklyn.
A bien des égards Harvester est pourtant un album froid et distancié. Ce qui veut presque signifier « désincarné ». Il faut une sacrée dose de courage pour rentrer dedans et surtout pour réussir à en sortir entier et/ou sans fuir à toutes jambes. Il y a un peu de Swans dans Harvester, peut être les Swans des années 86 et 87, quelque part juste après Greed/Holy Money et jusqu’à Children Of God inclus : une ligne de basse tirée en longueur par ici, une rythmique (très) ralentie par là. On se rappelle précisément que Ted Parsons était le batteur des Swans à cette époque là et on ne doute pas qu’il s’est fait plaisir en retrouvant quelques uns de ses plans d’alors et pourquoi pas certaines de ses sensations. Plus loin un passage peut évoquer Godflesh alors qu’une ligne de basse, presque groovy mais pas totalement, légèrement claudicante dira-t-on, fait elle diablement penser au God de Kevin Martin. Que des belles références me direz-vous. Oui, mais on s’arrêtera là.
Harvester a presque tout de la copie au carbone et de la démonstration futile. Un exercice de style réussi mais un exercice de style quand même. La musique de Gator Bait Ten, toute référencée qu’elle est – et qui plus est avec des références qui plaisent beaucoup par ici – manque tout de même sérieusement de caractère (comme on vient tout juste de le voir, on ne se pose même pas la question de l’originalité). Le caractère c’est ce truc qui fait toute la différence entre une musique que l’on écoute comme fond sonore et décorum audio tout en exerçant une activité qui n’a rien à voir et dont elle ne saurait nous détourner et une musique qui fait tendre l’oreille, interpelle, nous détourne toutes affaires cessantes de la chose beaucoup trop importante que l’on s’était pourtant juré de terminer, une musique qui donne envie qu’on la réécoute tout de suite après la fin du disque. On est très loin de l’effusion sensorielle et des tremblements involontaires avec Harvester. Gator Bait Ten est une fausse bonne idée en ce sens qu’elle privilégie – mais c’est une constante par les temps qui courent – la précision des formes et des références au détriment d’un peu de chair voire même d’âme. S’il fallait trouver un coupable on désignerait sans aucun doute ces lignes de guitare diaphanes et pâlichonnes ainsi que les nappes de synthétiseurs et toutes les enluminures électroniques qui révèlent souvent d’une platitude extrême. Il faudrait pouvoir écouter Harvester en se focalisant uniquement sur le couple basse/batterie : lorsqu’on y arrive il reste toutefois cette impression d’un artefact ambitieux mais un peu creux.