Malgré pas moins de trente albums enregistrés depuis 1998*, que ce soit en solo ou en compagnie de noms prestigieux tels que Fennesz, Peter Rehberg, Keith Rowe, Otomo Yoshihide, Gunter Muller, Voice Crack, Z’ev ou Jim O’Rourke**, l’australien Oren Ambarchi n’est pas vraiment le plus connu des musiciens expérimentaux. Pourtant il est très certainement l’un des plus exigeants et très certainement l’un des plus doués. Sa musique – on parle des disques enregistrés sous son seul nom – est l’une des plus belles et des plus pures qui soient, rendant inutiles toute références trompeuses à un éventuel courant drone/ambient. Oren Ambarchi est bien au delà, quelque part dans la création musicale pure, du côté d’une musique contemporaine et concrète mais résolument organique composée en temps réel. Sa venue au Sonic le mercredi 2 novembre 2011 était en soi un véritable évènement.
Oren Ambarchi a parfois été classé parmi les musiciens/compositeurs expérimentaux électroniques et sans doute qu’il ne renierait en aucune façon cette appellation car il est vrai que certains de ses enregistrements renvoient à un souci d’abstraction sonore proche de l’esthétique du glitch. Mais l’australien se démarque de nombre de ses contemporains, en particulier Christian Fennesz, en délaissant le traitement sonore par laptop et se concentrant sur un traitement en direct, par voies de pédales d’effets et autres variateurs. La liste de ses exigences techniques pour jouer en concert était des plus impressionnantes – entre autres deux frigos Ampeg et même une cabine Leslie – car Oren Ambarchi est un perfectionniste et en même temps une sorte d’illuminé introverti.
Si on écoute son album In The Pendulum’s Embrace – et plus précisément le premier titre Fever, A Warm Poison – on pourra avoir une petite idée du concert solo qu’a donné Oren Ambarchi au Sonic. Mais il était très frappant de découvrir un son beaucoup plus carboné et chaud, plein d’aspérités et vibratoire. Plus que des jeux de fréquences, des notes de guitare travaillées ensuite à l’aide de pédales d’effet avec un évident souci de recherche du détail mais toujours en gardant le côté organique de l’instrument utilisé au départ. Rassurante mais exigeante, la musique d'Oren Ambarchi fait régner autour d’elle une aura chargée de plénitude et un sentiment de totalité assez rarement rencontré en musique.
Tamagawa devait assurer la première partie d’Oren Ambarchi – en plus l’australien a utilisé la Gibson du Stéphanois pour son propre concert – et il s’en est très bien sorti. Cela faisait plus d’une année que Tamagawa n’avait pas osé retraverser la frontière maudite qui sépare sa pauvre ville natale de son ennemie jurée la ville des lumières éternelles, il a accepté de le faire à nouveau et bien lui en a pris : on avoue maintenant que Tamagawa aurait presque fini par nous manquer.
Prenant délibérément le parti de son inconfort perpétuel face à une audience, Tamagawa avait installé son matériel (Synthétiseur, pédales, etc.) sur une table coincée tout contre la scène du Sonic et un mur attenant. Jouant à même le sol, cela lui permettra donc de se tenir de biais ou carrément dos au public pendant 95% du temps. Du point de vue du public on pouvait toutefois aisément se tenir de l’autre côté, accoudé soi-même à la scène, et découvrir de profil un Tamagawa oscillant dans une demi obscurité et plongé semble-t-il dans une certaine sérénité. Son drone ultra répétitif et toujours très psychédélique – on arrive toujours à sentir que Tamagawa était un fan des Spacemen 3, ne serait-ce dans cette façon qu’il a de faire grelotter les cordes de sa guitare – se pliait parfaitement à cette configuration, mieux : c’était bien là l’un des meilleurs concerts que l’on ait vus de ce garçon.
* ci après une discographie très sélective d’Oren Ambarchi, sachant que, sauf indication contraire, ces disques ont été publiés par le label anglais Touch :
Insulation, 1999
The Alter Rebbe’s Nigun avec Robbie Avenaim, Tzadik, 1999
Afternoon Tea en compagnie de Fennesz, Rehberg, Pimmon et Rowe – 2000, Ritornell/Mille Plateaux, réédité en 2009 par Black Truffle
Suspension, 2001
Oystered avec Gunter Muller et Voice Crack, Audiosphere, 2003
Triste, Southern Lord, 2005
In The Pendulum’s Embrace, 2007
A Final Kiss On Poisoned Cheeks, Table Of The Elements, LP, 2008
Spirit Transforms Me avec Z’ev, Tzadik, 2008
Intermission 2001-2008, excellente compilation d’inédits et raretés, 2009
Tima Formosa avec Keiji Haino et Jim O’Rourke, Black Truffle, 2010
Dream Request avec Robbie Avenaim, Bo’Weavil recordings, LP, 2011 – on essaiera d’en parler ici bientôt
** liste non exhaustive : Oren Ambarchi ayant multiplié les collaborations et les featurings, par exemple il a collaboré à l’album Black One de Sun O))) en 2005