vendredi 19 octobre 2012

Report : Gaffer Fest 2012, troisième jour





Samedi soir… Après deux jours déjà bien chargés la fatigue commence à se faire sentir mais on y retourne. L’affiche de cette dernière soirée du Gaffer Fest propose en effet Marteau Rouge et pour rien au monde – même un concert-souvenir des Wedding Present à quelques centaines de mètres du Périscope – je ne raterais ça.
J’ai pourtant bien l’intention de me coucher de bonne heure, c'est-à-dire un peu avant deux heures du matin et surtout avec moins de deux litres de bière dans les veines, persuadé que ce soir je vais pouvoir apprécier en mode pépère un concert de free jazz et de musique expérimentale pour intellectuels du week-end. Mais la musique restera à jamais l’une des plus belles expériences de ma pauvre et misérable existence terrienne, tout simplement parce qu’elle me réserve toujours tellement de surprises. Commençons donc par boire une première bière.



Le fait que je connaisse assez bien le timonier amiral et le moussaillon/souffre douleur de MEURTHE ne va avoir strictement aucune influence sur ce qui va suivre. Mais d’abord un peu d’histoire : anciennement baptisé Ulrike Meinhof, Meurthe aime jouer dans le noir, a longtemps été un projet solo, a publié un titre de huit secondes sur une disquette informatique, utilise des pédales d’effets organiques qui oublient de répondre aux ordres, joue de la guitare sommaire et est devenu depuis quelques semaines un duo avec l’arrivée d’un jeune batteur versaillais inexpérimenté et au sex-appeal incertain – un changement drastique de line-up en forme d’opération séduction/marketing plus connue sous le nom de produit d’appel placé en tête de gondole.
Meurthe c’est donc des textures sombres, bruitistes mais pas assourdissantes, sur lesquelles viennent désormais se greffer des rythmes tribaux et cycliques qui donnent du volume supplémentaire à l’ensemble. C’est bien foutu, prenant, ça a de plus en plus tendance à gagner en originalité – ce qui n’était pas gagné d’avance parce qu’en matière de drone/indus ambient la messe est dite depuis longtemps – et ça m’a redonné soif. Que demander de plus ?




Le fait que je connaisse également plus ou moins bien les deux musiciens dont il va maintenant être question n’aura non plus aucune influence sur ce qui suit. KANINE est un duo de free jazz – une musique vieille de plus de cinquante ans maintenant – et dont le but avoué est de marcher sur les pas de quelques grands anciens (les deux musiciens citent Rashied Ali, Sunny Murray, Peter Brötzmann, Evan Parker… mais on pourrait rajouter Coltrane à la liste). La tâche est incommensurable et donc la seule façon de s’y atteler et de réussir réside dans l’honnêteté de la démarche, une certaine humilité et tout le mordant que le duo déploie sur ses improvisations.
Bien sûr Kanine n’a peut être pas encore toute l’envergure ni surtout toute la technique pour s’immerger jusqu’au cou et s’oublier complètement dans un bain de freeture absolue mais les deux musiciens ont cet atout que personne ne peut leur enlever : la puissance et l’électricité qui parcourent une prestation qui tient de la générosité et de l’énergie. Plus le duo jouait et plus il devenait meilleur, développant une rudesse certaine. Voilà, il faut un peu de temps – et de confiance en soi – à Kanine pour que le groupe s’élève dans les airs mais il sait comment y parvenir.


 

Le duo composé de COLIN WEBSTER et MARK HOLUB s’adonne également au free jazz mais nous raconte une toute autre histoire. On avait déjà pu entendre Colin Webster il y a quelques mois dans la cave de Buffet Froid en guest sur un concert de Loup mais on avait un peu regretté que la configuration du lieu ne convienne pas tout à fait au jeu plein de subtilités de ce saxophoniste anglais passionnant et très imaginatif. Le batteur Mark Holub est son accompagnateur habituel, son vieux complice et pouvoir enfin entendre les deux musiciens ensemble sur une scène était  déjà en soi une excellente nouvelle.
Et c’est peu dire que ces deux là s’entendent à merveille. Une connivence qui fait des étincelles tout en laissant à chacun toute la latitude nécessaire pour assurer son propre numéro de funambule. Une idée très précise et très juste de l’improvisation libre dans le cadre du free jazz : chacun y va de son entrain, de ses fulgurances et de ses sauts périlleux mais l’ensemble est cohérent et homogène ; Colin Webster et Mark Hobub jouent ensemble et ils aiment ça. Moi aussi.




Et maintenant que dire ? MARTEAU ROUGE est un groupe composé de Jean-François Pauvros (guitare, distorsion et voix), Jean-Marc Foussat (synthèse analogique, bruits de bouche, voix et chapeau) et de Makoto Sato (batterie et poésie muette). Des vieux amis, des vieux grincheux parfois et des vieux musiciens encore terriblement jeunes. Un concert fulgurant – mêlant du vieux blues bien crade, de la noise bien brute, du free bien libre, des expérimentations sonores bien spatiales, du chant bien caverneux, de l’humour parfaitement irrésistible – et une décontraction dans l’acharnement à faire exploser les barrières et les préjugés (et les tympans aussi) qui laisse pantois.
On ne dira jamais assez de bien de Jean-François Pauvros, mélange improbable mais très réussi de Jimmy Page et de Joey Ramone, un type qui a donné la fessée à Thurston Moore, un esthète qui évidemment porte des chaussettes rouges, un musicien capable de jouer de manière génialement sale en finger picking puis d’ériger des murs du son d’un bruitisme presque effroyable. Il râle pendant le concert, donne des ordres que les deux autres font semblant de ne pas entendre (« non mais tu ne balances pas tes sons maintenant avant le concert ») et réclame avant un éventuel rappel – parce que le public est furieux de désirs – le droit de faire une longue pause, de fumer une clope, de boire un coup et de prendre son temps. N’empêche que Marteau Rouge remontera effectivement sur scène et en fait de rappel donnera un deuxième set encore plus démentiel et orgasmique que le premier. Et moi qui voulais me coucher de bonne heure.

[les photos de ce troisième soir du Gaffer Fest sont ici – le comité rédactionnel de 666rpm tient à l’unanimité à remercier l’ensemble des groupes participants et surtout Franck Gaffer pour son abnégation et sa vision des choses]