2kilos
&More : ce duo partagé entre la France et l’Allemagne s’adresse
très directement à toutes celles et tous ceux qui, amateurs de musique avachis ou blasés par
les récurrences de leurs parcours personnels, affirment que la musique c’est bel
et bien fini pour eux. Affirmons au contraire que le passéisme nostalgique dans lequel on s’enferme volontiers comme ultime rempart à la supposée décrépitude ambiante est quelque chose de tout aussi stérile que la frénésie née de la chasse à la nouveauté à tout prix. Comme si l’un valait mieux que l’autre. Comme si le passé était obligatoirement supérieur au présent et comme si la nouveauté présumée –
souvent abusivement et à tort assimilée à la notion de « modernité » voire de « futur » – avait nécessairement la force de dominer le passé : pourtant on sait bien qu’en musique il n’y a que l’instant qui compte et que transformer l’éphémère en éternité ne peut être qu’une idée terriblement humaine et qu’un plaisir personnel. Mais on sait également que la fidélité en musique, viciée par l’obscurantisme
le plus stupide, implique forcément que l’on s’impose des œillères. Par exemple, à l’heure
où les reformations de groupes pas toujours très intéressantes ni pertinentes
pullulent et masquent tout en pan de l’actualité musicale au risque de faire
croire qu’effectivement il ne se passe pas grand-chose d’autre mis à part
l’éclosion d’autres groupes qui eux-mêmes ne font que ressasser le glorieux
passé – on ne compte plus les groupes pseudo 80’s ou pseudo garage qui n’ont en commun que leur médiocrité –, 2kilos &More est un véritable courant d’air frais.
kurz vor5
est le troisième album du duo à ce jour. Il n’est absolument pas certain que 2kilos
&More s’interroge sur sa propre musique en terme d’avant et de maintenant
mais le fait est que ce disque, baignant dans les musiques électroniques mais
pas seulement, donne ce sentiment enivrant d’écouter un disque du présent et,
mieux encore, un disque dont on pense qu’on l’écoutera encore demain et
après-demain. On affirme ici que kurz
vor5 a atterri il y a maintenant plus de trois mois sur la platine de 666rpm
et que depuis il y est retourné très souvent. Voilà un disque passionnant,
envoutant et qui surtout sonne vrai et personnel et qui donc touche encore plus
nos cordes sensibles (les cordes sensibles ce sont ces trucs logés au fond du ventre
ou du cœur – et même souvent dans les deux en même temps – et qui animent ton
petit instrument personnel sans que tu aies besoin d’y mettre aussi les mains,
essaie donc un peu et tu m’en diras des nouvelles).
On admet cependant qu’il y a nombre d’ingrédients
participant à la réussite de kurz vor5
que l’on peut retrouver ailleurs. Des basses profondes – télluriques ! – que
n’aurait pas renié un Mick Harris/Scorn, des ambiances vaporeuses plutôt post
rock, des rythmiques électro flirtant avec l’indus, des textures proches de
l’accident sonore, une froideur inexorable telle qu’on savait la manier au
début des 80’s sans tomber dans le ridicule apprêté, une urgence propre aux
musiques électroniques (et que le rock a trop souvent tendance à perdre depuis
de nombreuses années), un spleen rêveur mais jamais nombriliste… La liste des
références (supposées) de 2kilos &More est longue et longue serait
également la liste des questions que l’on pourrait poser aux deux musiciens tant
les intentions du duo se partagent durablement et salutairement entre mystère
et lumière. Aveuglante, la lumière. Mais pas au point de nous faire oublier que
le dogme en musique c’est mal et que la vérité est un truc tout juste bon pour
les porteurs d’œillères décrits un peu plus haut. L’authenticité naturelle de
la musique de 2kilos &More est un trésor qui au contraire donne envie
d’écouter toujours plus de musiques, aussi différentes soient-elles les unes
des autres.
kurz vor5 est publié en CD – dans un
cartonnage d’un format proche de celui qu’utilisait le label Mego à ses débuts –
par le label allemand Audiophob. On
conseillera également le deuxième album de 2kilos &More intitulé entre3villes et publié lui chez
Optical Sound. Il y a de nombreuses similitudes entre ces deux
enregistrements : tous les deux ont été produits par Norscq, tous les deux
accueillent Black Sifichi ou un membre de Von Magnet en guest à la voix et
l’artwork de l’un est en quelque sorte une extension de l’autre. Mais surtout entre3villes comme kurz vor5 participent de ce même sentiment d’euphorie musicale (et
amoureuse).