Gaffer
records a souvent été évoqué ici, aussi bien au sujet de ses nombreuses
productions discographiques* qu’au sujet de son activité d’organisation de
concerts. Gaffer est ainsi un « label » dans tous les sens du terme,
c'est-à-dire : édition de disques de musiques expérimentales, improvisées
ou noise mais aussi l’assurance d’un niveau certain ou tout du moins la
garantie d’un intérêt toujours renouvelé et répondant à notre soif
inextinguible de découvrir de nouvelles musiques, de nouveaux groupes**. Un
label qualité, donc, et la preuve est définitivement faite qu’il peut parfois y
avoir quelques avantages à habiter du côté de Lyon.
Et bien recommençons encore une fois avec les
éloges dégoulinantes puisque la troisième édition du désormais incontournable Gaffer Fest s’est déroulée du 11 au 13
octobre dernier (et pour la deuxième année consécutive au Périscope). Une édition aussi riche
que variée avec en prime quelques concerts réellement spectaculaires et
inoubliables.
La première soirée de cette troisième édition du Gaffer Fest est placée sous le signe des guitares. Groupe de revenants ayant décidé qu’il était peut-être dommage de splitter après l’enregistrement de Nursery Rhymes For Old Men, un très bon album posthume publié en guise de souvenir et laissé à l’errance pour l’éternité, les SCHOOLBISDRIVER ont malgré tout remis ça une dernière fois. Une dernière tournée pour se faire plaisir, pour rejouer ces fameux titres, pour faire le tour de tous les relais et châteaux et autres étapes gastronomiques qu’ils rencontreront sur leur chemin.
Mais la programmation est serrée : quatre
groupes de prévus par soir cela implique que les premiers à jouer commencent à
l’heure et cette heure là (21 heures pétantes) est précisément celle à laquelle
le lyonnais moyen en est encore à roter sa soupe ou son apéritif du soir tout en
se demandant s’il va sortir ou non. C’est donc devant une salle clairsemée que
Schoolbusdriver enchaine les titres de son album cénotaphe, jouant tout en bloc
avec une conviction qui fait plaisir à voir et à entendre.
Le chanteur se place souvent derrière un pupitre,
on croit deviner que sur celui-ci il y a les textes de ses chansons et qu’il a
consciencieusement mis deux ans à oublier mais cela ne l’empêche pas d’avoir de
la présence ; il y a indéniablement du bonhomme, et, lorsqu’il se libère pour
gambader sur la scène, le noise rock brut de Schoolbusdriver devient explosif.
Les gars vous revenez quand vous voulez, même si vous devez vous séparer une
seconde fois, je vous assure qu’il y a plein de trucs hyper gras et hyper
caloriques à bâfrer par ici.
Le Périscope est désormais un peu plus rempli. Le lyonnais moyen – toujours lui – est venu assister au premier concert (officiel) de TOTALE ECLIPSE, un all-star band typiquement local comprenant dans ses rangs Nico Poisson (Ned, Chapel 59, Sathönay) à la guitare et au chant viril, Seb Radix (Kabu Ki Buddah, lui-même et sûrement quelques autres trucs encore) à la basse et au chant aigu ainsi que Franck Gaffer/Sheik Anorak (le héro du festival) à la batterie et aux chœurs.
Totale Eclipse reprend les choses là où The Rubiks,
précédent groupe de Nico et Seb, les avaient laissées avant de splitter ;
c’est-à-dire qu’on retrouve ces jeunes gens confortablement installés en
compagnie de Fugazi, des Chinese Stars et de The Descendents – par exemple – sur
les transats de La Croisière S’Amuse
et en train de siroter goulument un cocktail au litchi et à la banane.
On ne doute pas un seul instant que Totale Eclipse
est le meilleur groupe de punk progressif du monde mais il faut bien dire aussi
que c’est sûrement le seul dans sa catégorie. L’alliance entre dextérité
technique des instrumentistes, sens de la mélodie parfait, jeu de scène irréprochable,
harmonies vocales aux petits oignons, humour de collégiens boutonneux, prestance
physique de première ordre et compositions über kalität fait des miracles.
Bravo messieurs, vous êtes tout simplement en route vers la gloire.
En ce qui me concerne, STAER était le groupe le plus attendu de la soirée. Le trio norvégien avait fait très forte impression lors de son premier passage lyonnais en avril dernier dans la cave de Buffet Froid et, qui plus est, son premier album sans titre est l’une des meilleures découvertes de l’année en cours. Staer ne va pas démériter et malgré un set un peu court – toujours ces foutus impératifs d’horaires à respecter – le groupe va assener au public qui aura su résister (!) des assauts sans concession, entre imposants mouvements de blocs bruitistes et déflagrations post industrielles. La beauté absolue dans le chaos.
Une conversation post concert très intéressante
avec un alien débridé et un esthète musical me rappellera à propos de Staer le bon
souvenir de Skullflower, celui d’après l’album Third Gatekeeper ; lorsque le groupe de Matthew Bower
continuait à marteler sa noise industrielle tout en libérant des radiations
psychédéliquement anxiogènes de plus en plus poussées. Staer est effectivement
dans cette filiation là, avec en plus ce côté norvégien à la Noxagt, celui qui
ne fait pas de quartier.
Après le chaos et la dévastation de Staer je ne
donnais pas cher de la peau de YOWIE. Un groupe de
résilients à bout de nerds et issus de l’écurie Skingraft, ayant publié un premier album il y a huit ans déjà et
revenant cette année par surprise avec un nouveau disque, Damning With Faint Praise, toujours chez Skingraft. Après avoir vu
Yowie sur scène j’ai enfin compris pourquoi j’avais eu tant de mal il y a des
années à avaler les couleuvres de Cryptology
(en dehors du fait que ce premier album est loin d’avoir un son
fantastique) : il me manquait l’image.
Yowie c’est donc un guitariste qui joue sur un
instrument avec des cordes rajoutées et surtout placées là où elles ne
devraient pas l’être, un autre guitariste (également membre de Grand Ulena)
jouant lui sur une guitare faite maison et dont le bois a parait-il été récupéré
d’une table manufacturée à échelle industrielle par un célèbre marchand suédois
de meubles en kit pratiquant l’espionnage de son petit personnel mais aussi de
sa clientèle et, enfin, un batteur en chaussettes et au sourire ravageur.
Chacun est branché directement sur son ampli, pas
de rack incommensurable de pédales d’effets ; donc Yowie ne développe
qu’un seul et unique son mais quel son ! Sur scène les trois musiciens
donnent au public une grande leçon de dextérité décontractée, de pataphysique
musicale, de déconnade permanente, de débilité furieuse… impossible de
résister, impossible de ne pas sourire voire même de rire aux éclats pendant ce
concert, assurément la plus grosse poilade de l’année. Que du bonheur – you can’t understand us ! – et la démonstration qu’il se passe à nouveau des choses bien intéressantes pour les
amateurs de cartoonoise skingraftienne sous amphètes.
[quelques photos du
concert]
* parmi les plus récentes : Akode - Sa(n)dnes(s) ; Loup - The Opening ; Marteau Rouge - Noir ; Colin Webster, Mark Holub & Sheik Anorak Trio - Langages – Live At Vortex (on reparle de
tous ces disques dès que possible)
** dernière découverte en date et pas des
moindres : le premier
album sans titre de Staer