Vendredi 12 octobre : retour au Périscope pour le deuxième soir du Gaffer Fest. Un soir dont la
programmation était sur le papier légèrement en deçà de celles des autres jours,
disons moins intéressante. Pourtant, découvrir sur scène des groupes que l’on
ne connait pas ou dont on n’a jamais entendu vraiment parler fait parti des
grands plaisirs de la vie mais cela ne fonctionne pas non plus à tous les
coups.
Et visiblement, pour ce deuxième jour de concerts
un peu plus en demi-teinte, il n’y aura pas de miracle. Les deux découvertes
potentielles du jour se sont révélées décevantes. Mais rien de grave non plus…
Premier groupe de la soirée, BOLIDE est un quintet pratiquant
l’improvisation bricolée pure et dure et dans le plus complet respect de la tradition
britannique du genre. Ces anglais – donc – sont volontairement exubérants et
loufoques, doivent bien aimer l’alcool de thym nîmois, la tisane de psylos,
les formules magiques de la maison Sandoz et ils lorgnent du côté d’un AMM (les
maîtres anglais et même mondiaux du genre impro libre et totale) qui aurait
engagé John Cleese pour faire la pom-pom girl en bas résilles et escarpins
vernis sur le devant de la scène.
Bon. L’impro à la va comme je te pousse ça
fonctionne très bien ou alors ça ne fonctionne pas du tout… Dans le cas de ce
concert de Bolide ce fut assez exceptionnellement un entre-deux : le
groupe n’a pas joué assez longtemps pour éreinter les foules mais il n’a pas
non plus provoqué l’hilarité générale. J’étais pourtant plein de bonnes
dispositions à l’égard de cette bande d’olibrius que je reverrais toutefois
avec plaisir parce que je suis sûr que Bolide peut faire des merveilles dans le
domaine du dérapage incontrôlé.
WILL GUTHRIE
installe ensuite sa batterie au sol, juste devant la scène. Pour celles et ceux
qui douteraient de l’intérêt des solos de batterie en concert (ou ailleurs) je
les renvoie directement à l’écouter intensive et obligatoire de l’album Sticks, Stones and Breaking Bones
paru cette année chez Gaffer records (entre autres). Tous les autres, y compris
ceux qui ont déjà eu la chance de voir Will Guthrie en concert, que ce soit en
solo ou bien en compagnie du génial trio The Ames Room, ils savent déjà depuis
longtemps.
Car nul besoin d’effet de surprise pour apprécier
la performance/prestation du batteur, tout simplement parce qu’il ne nous en
laisse pas le temps. OK, vous trouverez toujours dans le public un musicien
averti ou un exégète ronchon pour vous décortiquer la nature profonde des
rythmes enchainés par Will Guthrie mais à quoi bon ? Procédant par glissement
et micro-cassures ce batteur insuffle une ronde infernale aboutissant, effort
répétitif aidant, à un sentiment d’abstraction éliminant tout effet pervers de
virtuosité pour s’élever du côté de l’irréalité. De la poésie qui cogne et qui
frappe.
Autre découverte possible de la soirée aux côtés
de Bolide, LA PIRAMIDE DI
SANGUE est un groupe italien de six personnes jouant un rock très
psychédélique mais – hélas ! – également très grandiloquent. On aurait pu
passer un bon moment mais le fait est que toutes les compositions du groupe se
ressemblent, suivent le même schéma et aboutissent au même résultat, celui d’un
ennui poli mais définitif.
Tous les efforts des musiciens n’y feront rien, La
Piramide Di Sangue s’effondre invariablement dans un fracas de plastique
extrudé et aux milieux des ruines encore fumantes il restera ce son de
clarinette difficilement supportable et responsable pour une grande part de ce
désamour profond.
De la clarinette il y en a également dans la
musique de THE PITCH. J’avais malencontreusement raté la précédente venue de ce
groupe comprenant dans ces rangs l’ex batteur des éternellement regrettés MoHa!...
Pourtant l’album Transposition Zero qui date déjà de 2010 est une petite merveille de musique mouvante et
idéalement contemplative. Le concert donné au Gaffer Fest a totalement été dans
la continuité de ce disque (lui aussi enregistré en live).
Difficile à décrire, on pense
pourtant souvent à Morton Feldman à propos de The Pitch mais un Morton Feldman
sans l’importance prépondérante des silences ni le recours à l’aléatoire, un
Feldman coulant voire liquide et qui aurait imaginé une musique de flux et de
reflux. Les musiciens tiennent les notes mais ne semblent pourtant jamais
s’éterniser. Souvent on a même l’impression qu’un mouvement musical débuté par
l’un des quatre musiciens se poursuit avec l’intervention d’un deuxième et que
c’est un troisième qui termine le cycle avant de le relancer.
La musique de The Pitch évoque ainsi
une partie de ricochets de galets dont les ronds concentriques dans l’eau
finissent par se croiser, s’influencer et se métamorphoser en un incessant recommencement.
Dommage seulement que ce concert ne fut pas un peu plus long, il faut dire
également que The Pitch a cette étrange faculté de distordre le temps et de le
compresser en un instant de grâce fulgurante et intemporelle.