Seijiro Murayama est un subtil percussionniste japonais désormais confortablement installé – on ose l’espérer – en France depuis de nombreuses années et il a publié au cours de l’année 2011 deux enregistrements magnifiques et essentiels sur le label Potlatch dédié aux musiques improvisées et bien connu des amateurs du genre. Voici l’un de ces deux disques, Window Dressing, en duo avec l’altiste Jean-Luc Guionnet (encore tout récemment évoqué ici à propos de l’album Bird Dies de The Ames Room). Il ne faut absolument pas se fier à la photographie, d’ailleurs signée Jean-Luc Guionnet, servant d’illustration à ce disque délicat et exigent : si on pense y découvrir une scène de lutte assez âpre entre deux hommes, au contraire les quatre pièces de Window Dressing éradiquent d’emblée toute idée de violence physique voire même de confrontation. Le silence ou plutôt les silences sont placés au cœur d’un disque dont l’écoute ne nécessite qu’un seul petit effort, celui du recueillement.
Ainsi on n’entend que très rarement des notes sur Window Dressing, tout au plus y découvre-t-on des sons et encore ceux-ci sont loin de faire l’objet d’une quelconque construction apparente ou d’un réel agencement formel. Car tout se passe à l’échelle du ténu (et non pas tenu), du presque émis et donc de l’évènement imperceptiblement palpable et de la surprise lorsqu’un son ou une suite de sons dépassent la ligne de crête observée par tous les autres. Musique de l’effacement, de petits bruits et surtout musique abstraite, les dialogues micro-bruitistes de Jean-Luc Guionnet et de Seijiro Murayama ressemblent à ces vieilles maisons qui grincent sous le poids des ans, ces canalisations qui fuient, ces cornes de brume estompées par le brouillard d’un port baltique, ces toupies qui s’échouent sur le froid du carrelage, ces grincements de mécaniques invisibles mais omniprésentes ou ces bruits de pas qui s’effacent sur du gravier : une musique très urbaine car on aurait du mal à y retrouver une quelconque trace tangible de la nature terrestre mais en même temps une musique qui ne recourt pas prioritairement à l’électricité.
Sans directement évoquer quoi que ce soit de la nature en tant que telle, les quatre pièces de Window Dressing ont par contre un mode d’expression des plus naturels car les mécaniques détraquées mises en scène ici ne le sont que de manière impromptue, éphémère et accidentelle, des bribes de dialogues entre deux musiciens, comme si ceux-ci étaient plongé chacun de leur côté dans leurs propres pensées à propos d’un sujet commun et que, à chaque fois que leurs pensées se rejoindraient malgré eux, il en résultait cette force d’attraction ou ce cliquetis magnétique, en clair ce son ou ces sons que nous les auditeurs entendons, en dehors de toute signification rationnelle et préméditée. Window Dressing a ainsi tout de la rêverie.
La première pièce de Window Dressing est aussi la plus longue et a été enregistré pour une émission de radio slovène. Les trois suivantes ont été captées par Eric La Casa à l’aide d’un micro stéréo placé sur une perche : un enregistrement mobile et donc dynamique, jouant considérablement sur les sons. La dernière pièce ferait ainsi presque figure de musique électroacoustique tant les sons captés et donc diffusés semblent encore plus détachés des sources instrumentales qui les ont produits. On se plairait à assister à un concert déambulatoire du duo Seijiro Murayama - Jean-Luc Guionnet, avec les deux musiciens évoluant selon leurs désirs entre les personnes du public, tout doucement, leurs effleurements et leurs mouvements perturbants d’autant leur musique. Une vue de l’esprit, assurément.