Daniel Menche a commencé à publier des disques en 1993 sur le quasi mythique label Soleilmoon recordings. Depuis il est passé par Trente Oiseaux (le label de Bernard Gunter), Alien 8, Beta-Lactam Ring, Tesco, Blossoming Noise et Les Editions Mego. Une liste qui pour les amateurs de Menche en dit long sur la qualité du travail de cet insaisissable américain. Insaisissable parce que plutôt versatile bien qu’œuvrant toujours dans les sphères des musiques retraitées, acousmatiques, etc. Avec à la fois une exigence profonde voire quasiment maniaque et un parti-pris iconoclaste, surtout non conventionnel, finissant par abolir les frontières entre les musiques dites « sérieuses » c'est-à-dire très théorisées et finalement ennuyeuses et pénibles à écouter et le plaisir du chaos sonore, du fracas poétique de la musique industrielle.
La musique industrielle, c’est bien à elle à laquelle on pense en premier avec Guts, officiellement le 46ème enregistrement long format de Daniel Menche (sous son seul nom ou en collaboration) et publié en début d’année par les Editions Mego de Peter Rehberg. Un disque qui explose sévèrement et de toutes parts dès Guts 2 x 4 : on hésite à voir dans ce titre comme un hommage à Einsturzende Neubauten ou plus simplement l’explication de la méthode peut être employée ici par Menche pour construire ce premier titre, c'est-à-dire l’empilement de plusieurs couches différentes élaborées à partir d’un même matériau. Cela fait un bruit pas possible et en même temps c’est plein d’harmoniques très surprenantes et enivrantes.
La raison en est que c’est le piano qui a servi de point de départ à ce nouveau travail de Menche. En tendant bien l’oreille on pourra reconnaitre quelques unes de ces vibrations déformées qu’enfant on prenait plaisir à extraire du piano de la grande sœur en tapant dessus à poings fermés durant l’absence de tout le reste de la famille. La sensation assez jubilatoire de maltraiter un instrument de musique qui n’en demandait pas tant. Mais Daniel Menche ne tape pas simplement sur un ou des pianos. Il les éventre, les dissèque, les torture, brisant les cadres, frottant les cordes, utilisant on ne sait quel outillage aussi bien matériel qu’électronique.
Ce n’est donc pas du piano que l’on entend, ni même une destruction de piano, mais la métamorphose monstrueuse et complètement folle d’un instrument de musique mutilé et bafoué en un conglomérat métallique et extrême à la fois porteur de bruits intenses, de vibrations fantomatiques et de significations abstraites. Guts 2 x 4 est le versant jusqu’au-boutiste de Guts mais la suite est nettement plus calme (Guts 2) voire atmosphérique et profonde (Guts 3 et Guts 4). Parfois on pense à certains travaux de Z’ev – même insistance, même densité et mêmes couleurs industrielles – et on se laisse bercer par une musique née de la destruction et qui, loin de susciter l’effroi et le rejet, stimule l’imagination sans complaisance.
Daniel Menche est actuellement en tournée européenne avec seulement deux dates françaises : le 30 mars aux Instants Chavirés à Montreuil et le 31 mars à Lyon au Sonic – pour cette seconde date, le programmateur du lieu a eu la bonne idée de mettre Daniel Menche le même soir que This Will Destroy You, cela permettra aux post hardcoreux du coin de découvrir une musique autre que celle élaborée à partir d’une surabondance de pédales d’effets branchées sur des guitares insipides.