Initiative ardemment relayée et soutenue par le service Propagande & Bon Goût Obligatoire de 666rpm, le Gafferfest, deuxième du nom, débutait en ce vendredi 7 octobre au Périscope de Lyon. Le Périscope c’est une belle petite salle, ultra confortable, accueillante et gérée par un collectif qui d’ordinaire programme tout ce qui tourne autour du jazz et des musiques improvisées. Mais pas que, comme semble le prouver le festival Expérience(s) organisé tous les ans au Périscope par l’équipe du lieu. Et c’est donc là que Gaffer records a également décidé de poser ses valises pour la nouvelle édition de son festival – pour être plus précis la première avait eu lieu au Grrrnd Zero le 3 février et le 4 février 2009. La programmation est elle tout à fait du genre à me mettre des étoiles de bonheur dans les yeux et – en plus – soulignons l’implication d’un label dont le principal activiste avait un jour juré qu’il n’organiserait plus de concerts… ce qui ne l’avait pas empêché de nous torcher au Sonic en juin dernier une Carte Blanche à Gaffer records du meilleur effet. Quand on aime, on ne compte pas.
Et j’espère que la morosité qui plane en ce moment sur l’avenir des lieux undergrounds et décalés lyonnais va s’estomper quelque peu. Pourtant le public tarde un peu trop à arriver… mésaventure banale lorsqu’on organise un concert mais qui ne manque pas de générer un certain stress et une certaine anxiété.
Pas de panique, Hallux Valgus est là pour détendre tout le monde. Ce soir le duo s’est transformé en trio puisqu’il inclut dans ses rangs un troisième membre qui n’est autre que Meurthe. On avait déjà pu assister à une telle association : Meurthe – qui a l’époque se faisait appeler Ulrike Meinhof (née le 7 octobre 1934) – avait été rejoint sur la scène de Grrrnd Zero par Hallux Valgus, ces trois là avaient alors trituré un long titre ensemble puis Hallux Valgus avait enchainé sur son propre set.
Changement de programme pour le Gaffer Fest : les trois musiciens ont répété ensemble d’arrache-pied, ont vaincu les failles spatio-temporelles dues à des divergences d’emploi du temps, ont surmonté les pannes techniques – dommage que le lapsteel du guitariste ait été mis de côté – et ils ont mis au point trois compositions plutôt longues, formant comme autant de mouvements d’un truc qui se veut plus ambitieux. On est donc en théorie bien loin des explosions no wave/punk habituelles d’Hallux Valgus mais on en retrouve l’esprit puisque : le batteur, bien que triturant ça et là une boite à bidouille électronique, est toujours fanatique des cadences infernales, braille comme un cochon et que le guitariste refuse toujours autant de jouer des notes trop compliquées et qui risqueraient de dénaturer le son de scie circulaire de sa guitare.
Pourtant cette « ambition » va bien à Hallux Valgus, les morceaux se tiennent particulièrement bien, les enchainements sont bons, quand un peu de harsh pointe le bout de son nez on frise le frisson hystérique et les textures/bidouilles de Meurthe apportent un réel plus à l’ensemble. Dommage que l’on ait pas entendu davantage la voix, perdu dans le son de façade à la demande du groupe lui-même.
Changement de décors avec 80 Dates. 80 Dates c’est la réunion de Damien Grange au dispositif électroacoustique et à la voix ainsi que de Seijiro Murayama à la batterie. C’est la première fois que je vois 80 Dates – encore une malédiction vaincue de haute lutte – et je suis d’emblée subjugué par les jeux d’ombres et de lumières sonores du duo. Par attouchements, frôlements, éclats soudains et jeux de questions/réponses 80 Dates installe une ambiance fragmentée et en pointillée. Il faut parfois poindre l’oreille pour en saisir toutes les subtilités, comme ce moment où on perçoit un son d’origine inconnue : ce son c’est pourtant Seijiro Murayama, totalement immobile et rigide derrière sa batterie, qui le produit avec sa bouche, entre ses lèvres serrées.
Voilà un batteur vraiment extraordinaire, travaillant plus sur les trames que sur les rythmes et ce sans aucun recours à des effets ou à la manipulation. Tout le contraire de son acolyte qui a lui encombré une table de mystérieuses boites dotées de lumières et boutons aux significations inconnues. Mais les deux s‘entendent à merveille, quittent les territoires ténus de l’effacement pour faire gonfler leur musique, frôlant le bruitisme, redoublant les rythmes, appuyant sur la voix (psalmodiée et onomatopéique) et épaississant le rendu sans l’alourdir avec le jeu facile de la violence. Un beau moment.
Sister Iodine – qui a donc joué en dernier – c’est presque tout le contraire de 80 Dates. Mais le concert des parisiens fut tout aussi bon. Après un premier titre instrumental ressemblant plus à mise en place qu’autre chose, ceux-ci se sont employés à consciencieusement repousser les limites du bruit et de l’effroi, non sans un plaisir évident malgré une attitude très froide et/ou très distante sur scène. Un peu comme si les Sister Iodine étaient enfermés dans leur bulle et qu’au contact de celle-ci toutes les attentions et tous les regards du gens venus les voir en concert se transformaient en déflagrations de chaos et de destruction.
Le début du concert a été un peu long mais – sitôt que le groupe aura trouvé ses marques, que chaque musicien aura cessé de regarder les deux autres avec des airs interrogateurs – ce fut un carnage sensoriel. Mention spéciale au dernier titre joué ce soir là au Périscope, moins explosif/destructeur/harsh mais avec des sons de guitare et une batterie qui rappelaient le meilleur de la no wave d’il y a un siècle sans jouer sur le revival nostalgique : de la découpe de nerfs à vif avant la mise à mort. Les trois Sister Iodine ont réussi à vider une bonne partie de la salle, preuve irréfutable de la bonne qualité de leur concert.