OK, je pensais que le concert en solo de David Grubbs au Sonic allait vraiment clore cette saison de la plus belle façon qui soit et qu’après il ne me resterait plus que des barbecues champêtres et autres beuveries sportives comme seules occasions de sortir de chez moi et de me lever de derrière cet ordinateur ou du canapé déformé qui me sert de reposoir à viande. Erreur : il y avait encore le Festival Expérience(s), organisé au Périscope, c'est-à-dire trois jours de concerts dont je vais pourtant rater le premier – quelques esprits éclairés ont bien essayé de me convaincre que la programmation du jeudi 7 juillet était de loin la meilleure des trois (avec Bongo 808 et Knalpot, pour ma part je regretterai surtout d’avoir manqué le concert de OK) mais rien n’y a fait, quand on ne peut pas, on ne peut pas.
Mais me voilà ce vendredi dans une ruelle du quartier Perrache coincée derrière les voies ferrées, entre l’ancienne prison Saint-Paul et les putes en pleine déambulation sur les trottoirs. Le Périscope est une chouette et belle salle, de taille humaine (à la louche : 150 personnes) avec un son agréable et une belle scène. Toutes les conditions sont requises pour passer un bon moment et au passage profitons-en pour saluer l’abnégation de l’équipe qui gère ce lieu pas encore assez connu.
La scène du Périscope est encombrée d’une tonne de matériel mais la scène, Immortel n’en a pas grand-chose à faire puisque le duo s’est installé devant, face à elle, et surtout face à un écran qui pour l’instant n’affiche qu’une image fixe d’un des musiciens d’Immortal se baladant, corpse paint et cuir réglementaires, dans une forêt norvégienne. Immortal… non mais vous voyez le genre, non ?
Immortel – donc – est un tout nouveau duo composé de Raphael Dufour (voix, textes et fumigènes foireusement envahissants) et de Franck Gaffer (tout le reste). Ce soir c’est leur premier concert et déjà on est séduits par l’originalité et la maturité du projet : pendant que le préposé à la voix/chant lit, déclame, brame ou hurle des textes oscillant entre drolatisme sanguinaire et poésie obscurantiste, des textes très écrits, donnant un caractère très littéraire à l’ensemble, le préposé à la musique bazarde des sons et joue de la batterie, semblant également suivre le rythme imposé par les textes s’affichant au fur et à mesure sur l’écran.
Le résultat est plus drôle que dérangeant, reprenant mais surtout détournant les idiomes du black metal (on l’aura compris) mais ne s’arrêtant pas là, en développant un curieux mélange de facétie cruelle et de rudesse assez inédit. On peut penser qu’Immortel pourrait encore plus accentuer le côté théâtral de sa performance sans rien perdre de sa logique musicale, logique déjà bien apparente, les deux musiciens étant parfaitement capables de se compléter, de trouver refuge chez l’un l’autre, et proposant une grosse demi-heure de spectacle captivant. A revoir au plus vite, donc.
C’est IRèNE qui prend la suite d’Immortel et le quartet correspond un peu plus à l’image que l’on se fait habituellement du Périscope et de sa programmation – pourtant, le nom même du festival, Expérience(s), n’induit-il pas que tout autre chose pourrait y arriver ? IRèNE est donc un groupe de jazz mais de jazz moderne et contemporain, loin des clichés rabattus, ne délaissant pas un certain amour du free mais travaillant aussi beaucoup sur les textures : Clément Edouard des Lunatic Toys joue ici principalement du clavier mais il y a aussi Julien Desprez à la guitare et dont on ne pourra jamais dire suffisamment de bien ainsi que Yoann Durant aux saxophones dont on connait le goût du jeu et pour les inventions permanentes.
Quant au batteur, Sébastien Brun, il n’a que faire du swing des grands anciens et entraine consciencieusement ses petits camarades vers toujours plus d’abstractions sonores sans pour autant que la mélodie ne soit négligée – parfois, en fermant les yeux, on pourrait se croire du côté de Brooklyn – et on flirte régulièrement avec cette modernité entrainante qui confine immanquablement à la beauté sonore. Curieusement, car on aurait pu s’imaginer l’inverse, IRèNE a sur la longueur d’un concert été moins débridé que pointilliste, les quatre musiciens jouant par touches successives, ne frimant pas avec l’ostentation ou les déséquilibres : au contraire IRèNE est une entité parfaitement homogène tirant sa force d’évocation et de persuasion d’une densité toute multicolore.
Tête d’affiche de la soirée, les Marvin sont là, increvables. La présence des montpelliérains explique peut être l’affluence du jour et si tel est bien le cas, programmer Marvin était une très bonne idée, d’autant qu’on ne se lasse pas de revoir ces trois beaux jeunes gens et d’écouter leur beach metal skate punk noise kraut crossover encore une fois. On règle les balances rapidement avec le sondier maison arrivé en convoi spécial d’un autre concert où il officiait également, on s’occupe d’une pédale de grosse caisse pourtant toute neuve parce qu’achetée le jour même mais totalement récalcitrante, et hop c’est parti pour la machine à tubes.
L’ambiance était pour le moins bizarre, comme si les Marvin débarquaient d’une autre planète, et à tout bien y réfléchir, c’était peut être bien le cas, le public d’habitués du Périscope se montrant guère prompt à ne serait-ce que hocher la tête comme dans Oui-Oui & La Voiture Jaune. Un instant, un frimeur croit bon faire son intéressant en se mettant à hurler un bon coup sur l’intro de Roquedur avant de se rendre immédiatement compte du ridicule de la situation, non ce n’est pas le genre de la maison.
Mais Marvin reste Marvin et quelles que soient les conditions – pas de public comme en octobre dernier aux Abattoirs de Bourgoin ou une ambiance de confessionnal maoïste comme ce soir – les trois jouent à fond sans se poser trop de questions et enchainent tous leurs meilleurs titres (plus un inédit). Le lendemain, pour dessaouler un peu, j’ai remis le deuxième album du groupe, Hangover The Top, sur la platine : tout simplement parce que ce concert m’avait donné envie de le réécouter une nouvelle fois et qu’après tout ce temps passé, il sonne toujours aussi bien.
Les lyonnais – et même les autres – pourront eux revoir les Marvin à la rentrée à l’occasion du retour de La Colonie De Vacances dans sa version quadriphonique à l’Epicerie Moderne (et pour la treizième édition du Riddim Collision).