Hemingway, c’est l’autre groupe de Demian Johnston et de Shane Mehling et c’est surtout le groupe qui a laissé perplexes nombre de fans de Playing Enemy, la précédente formation de ces deux zigotos : imaginez un peu une sorte de noise ambient virant à l’occasion au harsh et surtout s’étalant volontiers à longueurs de « compositions » labyrinthiques et sans queue ni tête. Le genre – appelons ça, pour beaucoup plus de facilité et de compréhension universelle, de l’ambient drone harsh expé noise planant – a ses amateurs/expérimentateurs du dimanche, plus ou moins nombreux, et on peut même affirmer que l’ambient drone harsh expé noise planant a suscité ces dernières années un certain intérêt auprès d’une horde de bozardeux ou assimilés, désireux surtout de faire de la musique à tout prix mais bien trop feignants pour s’en donner réellement la peine. Voilà bien un des effets pervers des avancées technologiques à la portée des bourses de tout le monde : virez-moi vite fait bien fait ce delay, cette loop station, ce sampler ou ce laptop et il n’y a plus personne.
Les amateurs/admirateurs de telles prouesses sont encore plus nombreux que ceux qui les commettent, j’en fais souvent partie et ce pour une seule et bonne raison : il n’y a peut être pas en ce bas monde beaucoup de Lord x Gonzo* à l’humour sarcastique et décapant, il n’y a pas non plus beaucoup de Sanair* pouvant développer des constructions sonores incroyables de tenue et riches en trouvailles mais cela vaudra toujours le coup de supporter toute une cohorte d’abrutis et de va-nu-pieds prétentieux pour uniquement avoir le plaisir de découvrir quelque chose, une musique, un musicien (tels Lord x Gonzo et Sanair, donc), qui en vaille la peine.
Mais je comprends celles et ceux qui se lassent facilement, estiment qu’ils ou elles ont autre chose à faire que de fouiller dans les poubelles d’internet ou sur les catalogues des tape labels pour dénicher la musique qui les réconciliera avec le néant. Et je comprends encore plus celles et ceux qui se sont contentés de ricaner bêtement à l’écoute des premiers enregistrements de Hemingway : CDr de 3 pouces limités à 34 exemplaires ou cassettes home made dupliquées parcimonieusement 23 fois et dument numérotées, uniquement pour la beauté du geste et de l’inutile, des CDr ou des cassettes que jusqu’ici Hemingway avait fait paraitre via Dead Accents, le label de Demian Johnston.
Pourtant, la cassette en question et ce titre sans fin qui se résumerait presque qu’à un long grincement insupportablement irritant avaient quelque chose, suffisamment en tous les cas pour que l’on en vienne à s’intéresser d’un peu plus près à Second Thin Skin, premier vinyle – à ma connaissance – de Hemingway. Cette fois ci il s’agit d’une coproduction entre Dead Accents et Rom Plow records, label qui si mes souvenirs sont bons avait annoncé la publication posthume et en vinyle également d’enregistrements inédits de Playing Enemy, publication qui n’a jamais eu lieu (on peut par contre se rabattre sur le CD My Life As The Villain).
Première surprise, Second Thin Skin démarre avec un My Retired Suit étonnamment calme et allégé, et surtout agrémenté de chant (à deux voix à certains moments). Assez maladroit, en tous les cas fragile, My Retired Suit aurait presque un côté émotionnel s’il n’avait cette qualité d’enregistrement aussi approximative que bienvenue ainsi qu’une deuxième partie, incluant rythmes sommaires et bidouilles à côté de la plaque. La saturation prend de l’ampleur et même si les structures chaotiques ne suivent pas on n’est pas si éloignés que cela de Playing Enemy ou du moins d’une abrasivité et d’une coloration dont on pensait Hemingway pourtant totalement dépourvu. Or le duo ne s’arrête pas là, tutoyant presque le folk (certes plutôt dark) sur Magisteria puis écrasant le tout sous un bref interlude bruitiste (These Are Brave Days/Tell All Everyone). Ainsi avec Second Thin Skin Hemingway perpétue son entreprise de déstabilisation mais en employant des moyens différents que ceux déjà utilisés auparavant : le chant est la plupart du temps l’élément central de compositions qui jouent autant avec les masses sonores que les grésillements et on trouve également des riffs plombés qui ne dépareilleraient pas sur un disque de post hardcore. Seulement ici point de niaiserie, de larmoyance ou de mysticisme pompeux mais une sorte d’obscurité malade et déglinguée.
Seul titre de la face B, Making Bricks And Beds est une blague stressante qui vous fait relever quinze fois de votre siège pour vérifier que le disque n’est pas rayé ou que le diamant de la platine n’est pas irrémédiablement foutu : hélas la réponse est non car Making Bricks And Beds est une suite de boucles sans fin évoquant un scratch de vinyle opéré par un enfant de 10 mois sur un disque de Merzbow à l’aide d’un mange-disques Playschool**. Un moment complètement ridicule et inutile – sur la tranche du disque, à la fin du sillon (fermé), on peut lire ces mots faussement explicatifs : « silent groove ». Gloups.
* j’ai d’autres exemples mais ces deux là me paraissent particulièrement appropriés pour étayer la pseudo-démonstration que vous êtes en train de lire, chacun de situant à l’une des deux extrémités d’un spectre reliant le bruit blanc à l’ambient expérimental
** dimanche 7 aout 2011 : une mise à jour importante s’impose… Un fidèle lecteur m’informe que son exemplaire de Second Thin Skin est un LP monoface, en vinyle transparent avec une sérigraphie sur la face B, comme le montre la photo de l’exemplaire mise en ligne sur le site de Dead Accents.
Assez incroyablement, mon LP de Second Thin Skin n’a lui aucune sérigraphie et il y a bien un sillon enregistré sur la face B. On peut surtout en déduire que l’ordre des quatre titres se retrouvant intégralement sur la face A est tout chamboulé : si on appelle dorénavant le dernier passage bruitiste Making Bricks And Beds, le morceau folk devient These Are Brave Days/Tell All Everyone et la partie percussive de My Retired Suit serait alors Magisteria mais tout cela est ardu à vérifier, le vinyle transparent du disque ne laissant apparaitre que trois plages toutefois difficilement discernables. Quant à ce que l'on entend sur la face B, normalement muette, voilà un mystère qui n'en vaut pas vraiment la peine.
Quoi qu’il en soit, puisqu’il s’avère que je suis l’heureux propriétaire d’un LP monoface d'Hemingway défectueux parce que sans sérigraphie, dans quelques années je pourrai revendre celui-ci à prix d’or lorsque Demian Johnston et Shane Mehling seront enfin célèbres.