C’est le livret qui l’indique : « Great Falls is Shane Mehling & Demian Johnston », soit le bassiste et le guitariste/chanteur de la toute dernière incarnation de Playing Enemy. Après le split de leur groupe, ces deux-là sont toujours restés plus ou moins ensemble, ont d’abord monté un tout autre projet, du nom d’Hemingway, projet très porté sur le bruit tendance magma hurlant et harsch métallurgiste, et, surtout, Mehling et Johnston ont fini par renouer davantage avec leurs racines grâce à Great Falls, dont ce Fontanelle peut être considéré comme le premier album. Pas facile en effet de suivre le périple discographique du duo tant celui-ci se plait – et c’est encore pire avec Hemingway – à multiplier les parutions sur cassettes home-made, CDr et autres supports à tirages extrêmement limités. Alors, pour faire simple, disons que Fontanelle regroupe quelques démos de Great Falls enregistrées entre 2009 et 2010 mais inclut également un titre déjà publié sur un split CD avec Pastor Tonal sur Dead Accents, le propre label de Demian Johnson. Fontanelle a lui été publié sur l’excellent label Paradigms Recordings et il s’agit sûrement du disque de Great Falls le plus facile à se procurer.
La particularité de Great Falls sur cet enregistrement – mais également sur tous ses prédécesseurs – c’est l’utilisation d’une boite à rythmes : choix peut être surprenant pour deux anciens membres de Playing Enemy (et un ancien Kiss It Goodbye concernant Demian Johnston, faut il le rappeler ?) mais un choix auquel Great Falls a su donner une tournure intéressante. Evidemment, dès que l’on parle de boite à rythmes, de guitares sursaturées, de lignes de basse mastodontes et de chant hurlé on pense automatiquement aux premiers Godflesh et il est vrai qu’à de nombreuses reprises on n’en est pas si loin que cela. Seulement la musique de Great Falls, toute en noirceur et en oppression, garde en toutes circonstances ce côté écorché vif et profondément vindicatif, même lorsque l’ambiance se fait aussi lourde que pesante. Une couleur, forcément très noire, propre aux groupes de hardcore noise et chaotique des années 90 – et dont playing Enemy faisait bien sûr parti. On remarque alors le passage très Big Black de The Bank Agnostic ou le génial All Clean Necks, titre phare mettant tour à tour en exergue toutes les composantes d’une musique particulièrement riche et captivante.
Car, presque étonnamment, le côté industriel ne ressort que davantage de sa confrontation à l’âme hardcore de Great Falls : la boite à rythmes semble tirer ses beats tribaux tout droit d’une banque de données sonores encombrée de bruits métalliques aux genres divers et variés et, en outre, les structures des titres n’ont rien de basiquement linéaire ou de trop direct. Alliées à une certaine rigidité qu’impose forcément l’utilisation de machines, les compositions oppressantes de Great Falls débouchent sur quelque chose de vraiment percutant et aussi original qu’une énième mouture du mélange hardcore + metal + indus + expérimental le permet, ce qui est déjà énorme. On peut même affirmer que Great Falls se révèle aussi inespéré que salutaire : non seulement on s’étourdit à l’écoute des riffs perturbés et parfois asymétriques de Demian Johnston mais surtout on vibre sur les lignes de basse et ce son incroyable de Shane Mehling, lequel occupe plus d’une fois les devants et attire forcément l’attention. Si Great Falls pouvait se passer d’une batterie, le groupe n’aurait apparemment pu que souffrir de l’absence d’une basse.
Pourtant Great Falls ne semble pas vouloir s’en tenir là : le duo vient d’annoncer la parution d’un nouvel album sans titre via Dead Accents, un album enregistré avec un… batteur, en l’occurrence Phil Petrocelli (de Black Noise Cannon et également touring member de Jesu). On en reparle dès que possible, en attendant on peut écouter quelques démos plus ou moins récentes sur la page bandcamp de Great Falls.