Dernier concert ou presque de la saison 2010/2011 – une saison particulièrement bien remplie cette année, ne serait-ce qu’avec le Fuckfest #3, le festival Africantape au Clacson et je ne vous parle même pas de la dizaine d’autres concerts qui ont tout explosé, en fait si, parlons-en, dans le désordre et de mémoire : Silent Front, Unsane, Poino, Borbetomagus, Swans, Volcano The Bear, Ahleuchatistas, Welldone Dumboyz, Lucertulas, Heliogabale, Zëro, Gods & Queens, Api Uiz… mais on ne va pas faire des bilans maintenant, alors qu’il fait beau, qu’il fait chaud, qu’il fait soif et que le oisif moyen a vraiment autre chose à foutre que de lire des inepties et des classements trop réducteurs, qui plus est sur internet. Les bilans, c’est juste bon pour la fin d’année, quand il fait froid et lorsqu’on s’emmerde avec sa dinde aux marrons sur les genoux de tonton.
Ainsi c’est le Sonic qui a l’honneur de (presque*) clôturer cette belle avalanche de musiques – Grrrnd Zero s’est fait beaucoup plus discret ces derniers temps et n’a pas hésité à délocaliser certains de ses concerts** – clôture en beauté donc avec la programmation de David Grubbs, héro incontournable et rescapé d’un autre temps.
On ne devrait pas avoir à présenter le bonhomme mais on va le faire quand même : David Grubbs, d’abord avec Squirrel Bait puis et surtout avec Bastro, a été à la pointe de la noise made in Louisville et Chicago ; il a ensuite fondé Gastr Del Sol qui était d’abord un projet solo avant que Jim O’Rourke ne le rejoigne pour l’album Crookt, Crakt, Or Fly en 1994… pour certains Gastr Del Sol a été l’un des groupes les plus importants des années 90, redéfinissant constamment les contours de la pop à grands coups d’impro, de math rock, de folk, de musique minimaliste, de noise ou de musique concrète. Il est surtout évident que Gastr Del Sol a été l’un des derniers grands groupes arty qui avait quelque chose à dire et qui savait se faire aussi poétique qu’émouvant.
Pourtant une performance en solo de David Grubbs – depuis 1998 notre homme mène de front une carrière sous son nom et des cours à l’université – ça ne fait pas terriblement envie : toujours le syndrome du mec tout seul sur une scène avec une pauvre guitare et un micro comme seuls compagnons de route. Pour avoir déjà vu le bonhomme sur scène à l’époque du Pezner – non je n’étais pas à ce concert que Gastr Del Sol avait donné au festival Musiques Action à Vand’Œuvre Lès Nancy en 1996 – j’en gardais un souvenir aussi lointain que mitigé… rien d’extraordinaire en fait.
Sans doute était-ce parce que j’attendais trop de quelqu’un qui avec son ancien groupe représentait beaucoup trop de choses. Avec les années, cette attente a totalement disparu, les disques en solo de David Grubbs étant variablement appréciés (et inégaux il faut bien le dire). Il va sans dire que c’est lorsqu’on ne s’attend à rien que l’on a le plus de chances d’être surpris, ce qui fût précisément le cas de ce concert pendant lequel David Grubbs, débordant d’une énergie souriante et envahissante, a littéralement illuminé le Sonic : il fallait le voir se balancer d’un pied à l’autre tout en jouant des accords improbablement beaux à l’aide de je ne sais quelle technique de finger-picking, chantant de sa voix d’ange abstrait des complaintes sans fin et œuvrant sans complexes à une musique aussi savante que dépouillée, poétique qu’incarnée. Ce fut aussi beau que fulgurant, comme un étrange tournis sans conséquences dramatiques mais qui toujours nous montre discrètement l’essentiel.
Avec Commune, jouant en première partie de soirée, ce n’était pas gagné non plus. L’écoute de la musique de ce jeune homme – Commune est doté d’un Soundcloud, sinon on peut se rendre sur la page bandcamp de son label, Zéro Jardins – ayant réveillé chez moi ce rejet aussi violent que symptomatique de ce qu’il faut bien appeler de l’aversion. Encore un gugusse tout seul sur une scène, avec une guitare et qui interprète des chansons qui donneraient à n’importe qui envie de se flinguer.
Et bien en concert Commune c’était à peu près tout le contraire de ce que je craignais. D’abord il y avait cette guitare en plastique comme celle que s’offrent les teens bourgeonnants lorsqu’à 14 ans moins le quart ils découvrent Mötley Crüe et Rihanna, veulent se taper la plus belle fille de la classe et décident donc de se mettre à la musique acnéique. Puis il y avait ces chansons qui n’en finissaient pas, au lyrisme sans cesse grandissant et impénétrable, ce flot de mots que je finissais par ne plus entendre, presque subjugué par la voix, son timbre et son inépuisable jaillissement. Je restais donc collé devant, oubliant l’impérieuse nécessité d’une bonne bière fraîche et goûtant à l’étrange lyrisme de Commune. Aujourd’hui, en réécoutant ses enregistrements disponibles sur internet, je n’ai guère changé d’avis à leur propos aussi je préfère penser qu’ils sont soit complètement dépassés et datent de la préhistoire de ce garçon soit qu’ils n’ont pas pu être menés à bien, en tous les cas pas de la façon qu’il aurait sans doute convenu. Dans les deux cas, ne vous y fiez donc pas plus que cela et quoi qu’il en soit, allez voir ce garçon en concert si l’occasion s’en présente.
* on n’oublie pas non plus que le Sonic accueil Colin Potter de Nurse With Wound ce vendredi 8 juillet ni que le festival Expérience(s) démarre dès le jeudi 7 au Périscope
** un dernier pour la route ? Grrrnd Zero organise FAT32 et Secret Chiefs 3 le 12 juillet prochain au Clacson