Voici enfin Red Sugar, le nouvel album de Winter Family. Le duo, composé de la chanteuse/parolière Ruth Rosenthal et du multi-instrumentiste Xavier Klaine, joue une musique spectrale à la tristesse lancinante et aux échos parfois cristallins, bien loin de l’exubérance gothique et des flonflons mortuaires. Winter Family est un groupe intimiste et recroquevillé mais à la puissance d’évocation semble-t-il sans limite et aux résonnances intactes, résultat éprouvant et que l’on pourrait donc considérer comme un exploit : avec une réelle économie de moyens – une voix, le plus souvent en mode parlé, un harmonium ou un piano, rarement des percussions, parfois des chœurs, quelques cordes, quelques samples – et, surtout, sans aucun effet de manche à la théâtralité exagérée, Winter Family joue la musique la plus dramatique possible, c'est-à-dire celle qui nous parle de la vie.
Derrière, tout à fait logiquement, nait l’espoir. Même si les thèmes abordés sont très sombres – on se rappelle très bien de Auschwitz, sur l’album précédent du duo, traitant de l’enfer nazi et de la Shoah –, l’insupportable et l’indicible sont précisément évoqués dans un acte artistique protestataire mais se passant de toute confrontation et qui relève à la fois de la douleur et de la libération. Red Sugar semble toutefois moins sombre et plus apaisé que ses deux prédécesseurs – un double CD paru en 2007 chez Sub Rosa ou le LP Where Did You Go My Boy paru un peu auparavant, les deux ayant beaucoup de titres en commun – mais voilà un album tout aussi criant et tout aussi émouvant.
Question musique Xavier Klaine compose toujours des accompagnements d’une simplicité élégante et touchante : beaucoup de piano, parfois du glockenspiel – ce qui donne un côté boite à musique pour enfants – et de l’harmonium. Même les quelques musiciens invités ne sont pas là pour trop étoffer ce qui doit rester aussi dépouillé et nu que possible. Ruth Rosenthal, elle, ne chante que rarement pour ne pas dire jamais. Elle parle, enveloppe ses litanies en compagnie d’un peu de sable crissant dans du papier de soie et elle n’hausse le ton que lorsque cela ne s’avère que strictement nécessaire. A son sujet on pense de moins en moins voire plus du tout à Diamanda Galas – quelques cris stridents tout de même sur le central Dancing In The Sun – et de plus en plus à Nico dans sa période Marble Index, pas pour le côté lysergique et désespéré, mais bien pour cette force malgré tout. La plupart du temps les paroles sont en anglais mais également en hébreu. On regrette que cette langue, rocailleuse et à la musicalité mystérieuse, ne soit pas un peu plus utilisée, tant elle génère des couleurs inédites ou tout du moins beaucoup trop rarement entendues. Un très beau disque.
Red Sugar est disponible en double vinyle – pochette gatefold – chez Alt Vinyl records. La version CD est publiée par Sub Rosa et Ici D'Ailleurs.