Après avoir réédité il y a un peu plus d’une année Réalités Servomécaniques, pièce maîtresse dans l’œuvre de Jean-Marc Vivenza, le label Rotorelief poursuit son travail d’exhumation archéologique en proposant deux autres pièces de choix du grenoblois: le séminal Modes Réels Collectifs et sa suite logique, Réalité De L'Automation Directe, tous deux enregistrés en 1981. Vivenza, musicien/compositeur hors normes ayant choisi d’œuvrer sous son seul patronyme, est aujourd’hui peu connu des amateurs – il a semble t-il arrêté depuis longtemps de faire de la musique – or, dès la fin des années 70 et au cours de toutes les années 80, il était l’un des musiciens expérimentaux/acousmaticiens parmi les plus passionnants de son époque.
Très influencé par les futuristes italiens, obsédé par les bruits d’usines et le fracas industriel (au sens propre du terme), Vivenza élaborait une musique à base de sons collectés dans des ateliers mécanisés, des usines, etc… sons qu’il mettait ensuite en scène et agençait. Le résultat, que l’on pourrait qualifier de musique industrielle réelle – Vivenza parlait de Bruitisme Futuriste – est à la fois effrayant et attirant, asservissant et poétique.
On ne pourra entendre tout au long des pièces composant Modes Réels Collectifs et Réalité De L'Automation Directe que l’innommable et insupportable bruit de machines-outils et d’engins mécaniques, l’éclat du métal que l’on frappe avec un autre métal ainsi que les rotations incessantes d’axes et de mécanismes perpétuels mais on y entendra également, au delà de l’asservissement auditif et du totalitarisme du bruit, une exaltation de la vitesse, de la force et de la puissance comme consubstantielles du monde moderne.
C’est surement là que le bas blesse : on connait les liens obscurs, contestés par certains, entre futurisme et fascisme – aujourd’hui Jean-Marc Vivenza se consacre à la philosophie, son aspiration première, à l’ésotérisme et surtout à la métaphysique, ayant entre autres élaboré une « ontologie négative » – mais, sans aller aussi loin dans les considérations politiques et idéologiques, on ne peut que constater que le monde industriel, tel qu’exalté par les futuristes italiens au début du 20ème siècle et musicalement ré-esthétisé par Vivenza quelques 70 années plus tard, a totalement disparu de ce côté ci de la planète. L’obsession « industrielle » (tout comme la peur de l’Armageddon nucléaire – merci de ne pas rire) était bien le paradigme de la création musicale des 80’s arty. Or notre monde est presque devenu tout l’inverse : fugace, instantané, dématérialisé et de plus en plus virtuel, y compris et surtout dans ses modes de production désormais dominés et bridés par la tyrannie financière. C’est ce qui frappe le plus à l’écoute de Modes Réels Collectifs et de Réalité De L'Automation Directe, ce côté monde englouti/témoignage du passé… Par contre un chinois, englué dans l’industrialisation néo libérale sous contraintes de son pays, ne l’appréhenderait assurément pas du tout de la même façon et après tout, en écoutant Vivenza, on constate tout simplement qu’un totalitarisme a chassé l’autre.
Cette chronique, dans une version légèrement différente et un peu moins bavarde, a été publiée dans le n° 6 de (new)Noise, en kiosque depuis quelques jours.