Voilà une histoire qui a commencé comme une bonne petite blague alors que par pure provocation j’avais lâché cette pitrerie un brin fielleuse précisant que si je devais me rendre à l’Epicerie Moderne pour assister au concert de The Good Damn, j’en repartirais immédiatement après, sans attendre que le petit groupe faisant office de tête d’affiche ait même commencé à jouer. Lorsque l’invitation en forme de « tu n’as que de la gueule sale con et t’es même pas cap’ » est tombée, je me suis soudain presque senti pris au piège de mon propre jeu mais, après tout, oui… pourquoi pas ?
Je me rappelle assez amèrement avoir raté il y a un peu plus d’une année – pour des raisons totalement inavouables ici et alors que j’avais pourtant la ferme intention de m’y rendre – la release party de I Can Walk With My Broken Leg, le premier album (autoproduit) de The Good Damn. Alors, voilà… je ne voulais vraiment pas rater le groupe une nouvelle fois et je n’ai pas été très long à mettre en place un plan d’action résolument diabolique et millimétré : trouver impérativement quelqu’un pour surveiller les gosses parce que leur mère avait également quelque chose de prévu ce soir-là, envisager très sérieusement de me rendre tout seul comme un grand en voiture à l’Epicerie Moderne – parce qu’il me faudrait en repartir de bonne heure – et donc perdre du temps sur des sites internet me proposant des itinéraires tous plus balèzes les uns que les autres pour me rendre de la maison à Feyzin – oui je déteste conduire et en plus je suis encore un jeune conducteur, avec un A rouge au cul.
J’ai tellement bien préparé mon voyage jusqu’à l’autre bout du monde de l’agglomération lyonnaise que je suis logiquement arrivé terriblement en avance, avant même l’ouverture des portes. Ce qui m’a permis de me garer sans encombre et en marche arrière sur le parking de l’Epicerie Moderne, parking de toute façon encore plutôt désert à cette heure-ci. Je ne risquais donc pas d’accrocher une autre voiture et un instant j’ai même cru que j’avais enfin annihilé cette psychorigidité maléfique qui me paralyse totalement à chaque fois que je dois effectuer une manœuvre imbécile avec le veau qui me sert de voiture.
Il me restait alors une heure à perdre, j’en ai profité pour retirer mon invitation* au guichet, j’ai papoté un peu avec les quelques trop rares connaissances déjà présentes puisqu’il n’y avait pas encore foule, le public n’étant pas encore arrivé (normal, lui il connait la route pour venir), j’ai consommé un peu d’alcool au bar alors que c’est vraiment très mal de boire lorsqu’on conduit et que l’on est un adulte responsable et aux toilettes j’ai comme par hasard croisé une affiche subtilement apposée juste au dessus des urinoirs, une affiche qui me confirmait définitivement que la bonne place de Chokebore est bien aux chiottes. La salle de concert proprement dite a enfin ouvert ses portes et il n’y avait plus qu’à attendre encore un peu, adossé à la scène, que tout commence.
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Je sais que désormais The Good Damn** sont quatre puisque le line-up a été élargi avec l’arrivée de Xavier (ex-bassiste des regrettés Doppler) qui joue également du clavier. Une nouvelle recrue de choix… Je rêvasse un peu plus en inspectant distraitement la scène, constate qu’il y a trois micros pour le chant ou qu’un drap/écran a été tendu de façon irrégulière derrière la batterie. Je suis vraiment très content d’être là, de plus en plus même, et l’impatience me gagne presque. Je ne vais pas être déçu.
The Good Damn débarque enfin dans la pénombre alors que résonne le bruit que produit une pelle qui entame le sol pour creuser : on imagine très bien un fossoyeur alcoolique ou un cowboy en voie de clochardisation échappé d’un film de Sergio Leone et c’est d’ailleurs la même introduction que sur I Can Walk With My Broken Leg. Puis surgissent les notes et les chœurs de Redemption. Une entrée en matière préenregistrée et qui génère ce moment de grâce et de flottement irréel, cette attente juste avant que le concert débute réellement et finalement le tremblement qui parcourt l’échine alors que le groupe se met à jouer comme un seul homme. Comme une grosse onde de choc immédiatement suivie d’un frisson épidermique qui ne va tarder à se traduire en plaisir intense.
Le son vous saute à la gueule, massif et puissant, une vague imposante et une dynamique de feu, alors que le plaisir des yeux est lui aussi total : The Good Damn joue avec un éclairage réglé volontairement bas, quelques fumigènes mais pas trop et parfois des éclairs intenses de lumière qui viennent sporadiquement illuminer la scène de contrastes aveuglants, dessinant de drôles de motifs distordus sur l’écran et surtout ajoutant toujours plus d’énergie sur scène – mais bien souvent les quatre musiciens de The Good Damn n’étaient que des ombres assez mystérieuses apparaissant à contre-jour, des ombres magnant des flux invisibles mais impérieux, tels des magiciens magnétiques.
Difficile maintenant de mesurer techniquement tout l’apport d’un quatrième membre supplémentaire ; si on n’entendait pas toujours distinctement les lignes de basse de celui-ci on ne pouvait par contre qu’être persuadé qu’il était bien pour quelque chose dans cette épaisseur nouvelle des compositions de The Good Damn, lesquelles n’en manquaient pourtant pas au départ (il s’agissait même d’une des spécificités les plus flagrantes de The Good Damn et de I Can Walk With My Broken Leg : générer sans bassiste ce son si dense, incarné et si chaud). Le groupe a ainsi joué quelques uns des meilleurs titres de son album dans des versions transfigurées et rehaussées (The Hill, Self Made Man) mais il a également interprété nombre d’excellents inédits et donc toutes nouvelles compositions, toujours dans une veine swamp/noise blues décadent et mystique. Surtout le groupe paraissait soudé en une seule entité dans un fracas ahurissant de beauté convulsive et sublimée.
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Je suis ressorti de la salle comme dans une sorte de rêve mais constatant avec horreur que les fans de Chokebore avaient fini par arriver en force. Je suis reparti aussitôt, prenant trop précipitamment avec mon bovin automobile la mauvaise route et mettant un petit moment avant de me rendre compte que j’allais en direction de Vienne au lieu de retourner sur Lyon. J’ai grillé au moins un feu rouge, raté l’entrée du périphérique et je suis logiquement arrivé en retard pour récupérer les gosses. Je me suis fais un peu tirer par les oreilles, merde.
La suite du concert vous pourrez toujours la lire chez l’ami Dark Globe dont l’amour fanatique pour Chokebore est au moins proportionnel à ma mauvaise foi et ma détestation pour ce groupe largement surestimé – mais dont j’avais pourtant vu une bonne prestation au Pezner, il y a vraiment très longtemps. Vous pouvez également regarder l’une des nombreuses vidéos du concert qui déjà fourmillent sur le net. Enfin vous pouvez admirer les photos qu'à prises Ra² (The Good Damn ici et Chokebore là) et qui seront toujours mieux que les miennes.
* et merci beaucoup, vraiment
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