C’est le deuxième jour du festival Gaffer records et (bonne) nouvelle il fait moins froid… c’est du moins ce que l’on pourrait croire parce que si dehors le temps s’est radouci, l’intérieur de Grrrnd Saloon fait toujours penser à un frigo avec son thermostat pété et bloqué sur mode congélation. J’ai pris soin de ne pas me presser, j’ai bien retenu la leçon de la veille et -quelle synchronisation- j’arrive lorsque les portes s’ouvrent. La deuxième bonne nouvelle c’est qu’il y a l’air d’y avoir autant de monde si ce n’est plus que la veille, à l’entrée je montre mon badge Gaffer Fest qui fait office de pass pour les deux soirs, le genre de bidule qui me permettra de jouer au cake dans dix ans, oui j’y étais et pas toi.
La première fois que j’ai vu Gilles Laval sur une scène c’était à un concert de Parkinson Square (genre avec les Young Gods au Glob), la seconde c’était avec les Thugs au Rail Théâtre (mais peut être que j’inverse les deux concerts) et à chaque fois je me demandais d’où pouvaient bien sortir ces mecs : un chanteur à la voix ultra aigue -Whorehouse Muzaaaaaaaaaaaaaaaak-, un bassite arrogant et un guitariste avec bien plus d’idées que la moyenne des guitaristes de hardcore de l’époque. D’ailleurs en France il n’y en avait alors pas beaucoup de groupes de hardcore ou bien ils étaient passablement mauvais, phénomène qui s’est largement amélioré au cours des années 90. Maintenant on s’en fout, c’est devenu banal.
Avec Dehors Pythagore! je m’attendais à voir un solo de guitare sous forte influence de Fred Frith (dont Gilles Laval est un adepte convaincu, ils ont même travaillé ensemble dans le cadre de l’Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne) et je me suis bien évidemment fourré le doigt dans l’œil. Gilles Laval a installé une armada de pédales d’effets en demi cercle autour de lui et il n’utilisera que très peu les astuces de bricolage chères au guitariste britannique (tampon à récurer la vaisselle, pièces métalliques, etc).
Au contraire son truc c’est de jouer sans fioriture et avec élégance en utilisant juste de ce qu’il faut d’effets sans se reposer totalement sur eux -évitant ainsi toute facilité. Le son de sa guitare est d’une limpidité fascinante, les mélodies foisonnent comme autant de petits tableaux et Gilles Laval s’emploie à créer une sorte de sérénité presque parfaite. Le passage en taping ne me convainc guère, quelques tentatives me paraissent trop cérébrales mais dans l’ensemble ce concert de Dehors Pythagore! est un bel et bon moment et j’en suis encore à me demander si le dernier thème joué n’était pas une reprise… (impression que je n’ai pas pu vérifier)
Lewis Karloff prend la relève, il fallait bien qu’il y ait un groupe de monsieur Gaffer qui joue dans ce festival. Je suis plutôt fan et je ne pourrais jamais dire trop de bien de Lapin De Couture, premier disque du groupe publié à l’automne dernier. Le concert commence par ce qui me semble être un nouveau titre, une bonne jazzerie vite speedée aux entournures et détournée vers le fracas façon Naked City/John Zorn. La musique du groupe me semble devenue plus coulante et plus fluide c'est-à-dire qu’il y a moins cette dualité entre la rythmique (parfois très groove pour ne pas dire funky) d’un côté et la guitare et son son abrasif de l’autre. Des titres comme Eva Braun passent beaucoup mieux.
Malgré quelques tout petits accrocs (le batteur) Lewis Karloff roule à plein régime -ça chaloupe, ça speede, ça dégénère en cacophonie, ça repart au quart de tour pour un nouveau virage en épingle, tout ça est bien jouissif et plein d’imagination, du jazz grind si on aime les étiquettes et les petits tiroirs. Le concert s’achève par le morceau de bravoure Satellite De Sable Pailleté toujours aussi impeccable pour se trémousser stupidement avant de s’en prendre plein la gueule.
Plein la gueule cela va aussi être le cas avec Fat 32, deux énergumènes déjà vus un certain nombre de fois en concert. L’un à la batterie. L’autre au synthé/samples. C’est la réflexion que je me suis faite après le concert : ces deux là sont de pire en pire. L’impression que rien ne pourra les arrêter. Tornade free/citations/collages avec passages marteau-piqueurs, vrilles d’équilibristes fous et descentes en piqué avec rétablissement de la situation une fraction de seconde avant le crash.
Les deux Fat 32 sont littéralement déchaînés, se déchaînent encore plus et le public devient hystérique, exactement de quoi me faire oublier d’avoir raté le deuxième set de Duracell la veille au soir. Un morceau supplémentaire, un deuxième morceau supplémentaire, les Fat 32 donnent l’impression ne pas pouvoir s’arrêter, chose qui pourtant arrivera forcément. Ces deux garçons ont vraiment le bon goût pour éviter tous les pièges de la virtuosité prog et de la testostérone démonstrative, ils jouent comme des furieux, complètement libérés alors que leur musique est d’une complexité à tiroirs stupéfiante. J’ai déjà envie de les revoir et le batteur remporte haut la main la palme du meilleur batteur de tout ce premier Gaffer Fest.
Pourtant question batteur, on ne peut pas dire que le norvégien Paal Nilssen-Love soit en reste. Il forme avec Massimo Pupillo de Zu et Terrie de The Ex le trio Offonoff dont le premier album Clash est des plus enthousiasmants. Si le disque faisait un peu de manières, le trio lui n’en a fait aucune en concert. J’imaginais volontiers nos trois musiciens jouant dans des festivals proutophiles ultra subventionnés et les voilà se pelant le jonc dans une friche industrielle avec autant de confort qu’un squat albanais. Ça attaque très durement, violemment et la tension ne retombera pas pendant toute la première partie. Gros son de basse, jeu basique au médiator de Massimo Pupillo (également le principal argument de Zu en ce qui me concerne) qui défriche tout ce qui dépasse autour de lui.
Terry Ex est en grande forme, j’aime de plus en plus les vieux punks qui n’ont plus rien à prouver et qui d’ailleurs se sont toujours foutus de prouver quoi que ce soit, et Paal Nilssen-Love a un jeu très dynamique (il faut dire que jouant régulièrement avec Mats Gustafsson ou Joe McPhee il est à bonne école), pas du genre à emmerder son monde avec sa charley, il frappe sa caisse claire selon les bonnes vieilles méthodes de Sunny Murray ou Rashied Ali, c'est-à-dire tout en puissance mais avec précision.
Fin de la première partie. Le trio se lance dans un nouveau morceau qui sera à peine moins dense, ce soir Offonoff ne laisse que peu de place à des passages sinon aériens du moins un tantinet moins bruitistes. Terrie Ex nous sort toute la panoplie pour guitare préparée (il joue toujours sur cinq cordes avec un accordage pas très réglementaire) en martyrisant son instrument avec un tournevis, une baquette, une cymbale ou un tampon gex. Son son est accidenté et écorché comme son jeu de guitare. Le trio alterne toutes les formules possibles (musiciens deux par deux puis chacun en solo avant de revenir à trois) et on frôle alors le remplissage, évité de justesse grâce à la spontanéité et la vivacité de la prestation. Lorsque Massimo développe une ligne de basse un peu plus continue et répétitive on est en plein dans un free rock audacieux et entraînant. C’est sur un tel passage que ce conclura cette deuxième partie et aussi d’ailleurs l’ensemble du set, le trio qui semble avoir tout donné ne tombe pas dans l’erreur du musicien d’impro qui joue sans fin et fait tourner les mêmes types de plans en mode automatique.
Quelques conversations au bar au sujet du récent départ de G.W. Sok de The Ex (lu sur le site du groupe : After 29 years G.W. Sok has decided to call it a day and not sing or tour with us anymore. After a long period of doubt and lengthy discussions he came to the conclusion that he had no longer enough enthusiasm for the complete Ex-undertaking) et les avis sont partagés. La fin de The Ex affirment certains…
Pour en revenir au Gaffer Fest, le moins que l’on puisse dire c’est que cette première édition a été un succès (surtout le second soir) : fréquentation honorable, bons concerts… la barre est donc placée assez haut pour le prochain, en espérant qu’il y en ait un autre un de ces jours. Merci donc et à l’année prochaine.