lundi 23 février 2009

Y'a t-il un bassiste dans la salle ?

























Non mais regardez moi ce fly : résolument art déco mais subtilement psychédélique, le Docteur Mabuse sous champignons, avec ces cercles concentriques d’où émane la lueur magique qui transforme le bleu en violet. Regardez un peu mieux : cinq groupes et pas un dont le line-up dépasse les deux membres. Pas de bassiste à l’horizon non plus. Et presque pas de chanteur. C’était la soirée de ce samedi 21 février proposée au Grrrnd Gerland (dans sa version chantier public, c'est-à-dire au rez-de-chaussée). L’occasion de revoir quelques têtes que l’on aime bien, de réécouter de la musique que l’on apprécie et -enfin- de voir les tourangeaux de Pneu en concert, malencontreusement ratés à l’insu de mon plein gré lors d’un précédent passage avec leur collègues de label Goodbye Diana, oui il y a des fois où la vérité fait mal.



















Le premier groupe de la soirée c’est Carne et, si on excepte un premier concert pendant lequel le duo ne s’était livré qu’à des improvisations assez bruyantes parce que n’ayant encore presque jamais répété ni composé, aujourd’hui c’est le baptême du feu. A la guitare et au chant un ancien Llorah, également éminent organisateur de concert sur Lyon et doté de l’un des plus beaux poulpe capillaire du coin (détail qui a toujours son importance lorsque dans le passé on a soi-même eu les cheveux longs). Ce soir, c’est vacances pour lui, il ne fait que jouer.
Rythmique lente et lourde, riffs (très) gras et métalliques, chant guttural d’homme des cavernes, les intentions de Carme sont claires et sans reproches. Une partie du public s’est collé au groupe, plutôt curieux parce que ce n’est pas tous les jours que l’on peut entendre du metal dans un lieu d’ordinaire dédié à la délicatesse arty et à la pamoison post-moderne.
Le chant est encore un peu difficile, certains enchaînement beaucoup trop flous (la preuve donc que de s’inspirer de Black Cobra/Akimbo et consorts n’est pas une chose aisée) et des problèmes techniques ne viendront pas arranger les choses. La belle Gibson de côté on prend un modèle à l’esthétique nettement plus en vigueur dans les canons heavy metal mais cette guitare là ne sonne pas. Ce qui est dommage car ici ou là un riff répété sur un rythme de mammouth ou une intro qui n’aurait pas dépareillé sur le Lysol des Melvins attirent l’oreille. Un premier concert, à prendre comme tel et donc à la prochaine.
























Le deuxième groupe est un one man band et il s’agit également d’un organisateur de concert : Sheik Anorak, l’une des multiples incarnations de Franck Gaffer (qui d’ailleurs signale avec contentement que pour une fois il joue sans avoir organisé lui-même la soirée). Lorsque il ne passe pas son temps à faire un maximum de barouf en un minimum de temps avec des batteurs américains à la limite de la légende (bientôt une tournée Sheik Anorak/Weasel Walter près de chez vous), notre homme développe une formule intéressante et ludique : il met en réserve des boucles élaborées avec sa guitare puis il s’installe derrière sa batterie et lance, superpose les samples ainsi préparés.
Le résultat est variable mais toujours frais et intelligent -bien que préenregistrées les boucles de guitare gardent une grande spontanéité puisque elles viennent juste d’être conçues, dans l’urgence. Ce soir les mélodies à la guitare du premier titre ont un petit parfum noisy (pop) qui contraste avec le jeu plus désordonné à la batterie, impression renforcée avec le second titre joué où la batterie n’hésite plus du tout à frôler les rivages luttenbacheriens tant bénis. Le troisième et dernier titre remporte un franc succès avec son riff hypno élastique et la grosse caisse qui marque tous les temps -un truc trop facile pour se mettre le public dans la poche mais quand c’est fait avec dignité et décontraction il n’y a rien à redire.



















Changement de décor avec les locaux de Keiko Tsuda, duo de jeunes gens tombés dans le math rock pas chiant quoique très travaillé et appliqué. Bien que n’ayant que peu de concerts à son actif, le groupe assure une bonne maîtrise sur scène, -précision, imagination, efficacité (cela fait un peu trop qualité, savoir-faire, tradition comme formulation mais il y a aussi de ça). Keiko Tsuda attaque directement par Steak haché (le deuxième titre de la démo du groupe d’ailleurs en libre téléchargement sur son site) avec ses boucles de guitare et son synthé bourdonnant, une bonne porte d’entrée.
Le batteur me parait peut être moins en forme que lors d’une fois précédente mais qu’importe, Keiko Tsuda a encore rajouté de l’huile dans son moteur, allie souci mélodique et rigueur de l’exécution sans tomber dans le panneau de la branlette prétentieuse. J’aime suffisamment le jazz et le rock pour haïr le jazz-rock et je déteste assez les mathématiques pour ne plus supporter le math rock depuis longtemps mais jamais je n’aurais pu penser que le groupe qui allait réussir à me réconcilier (partiellement) avec le genre viendrait de cette bonne vieille ville pourrie. La musique c’est vraiment un truc miraculeux.



















Encore un miracle et il vient de loin : Pneu. On a tout dit sur les prestations en concert de ces deux malades, on a tout dit également sur leur album Pince Monseigneur, l’une des meilleures choses arrivées en 2008, un disque qui défie les lois de l’apesanteur et de l’endormissement avec un sens de la jouissance punk as fuck bien trop rare de nos jours. Les deux ne mettent pas longtemps à installer leur matériel, une batterie minimale (mais avec double pédalier), un gros ampli cabossé. Ils jouent l’un en face de l’autre, au milieu du public -j’imagine qu’ils ont eux aussi été traumatisés par Lightning Bolt- et surtout bien serrés, du dos du batteur à l’arrière de l’ampli du guitariste il ne doit pas y avoir plus de trois mètres et demi. Cela leur permet de s’invectiver un peu, de se faire des grimaces comme les gosses à la cantine qui trouvent que les raviolis en boite c’est vraiment trop deg surtout trois fois de suite dans la semaine, et ils incitent les gens autour d’eux à se rapprocher toujours plus, comme pour faire un cockpit ajoute le batteur. Cela permet aussi au guitariste de recaler la grosse caisse de temps à autres en mettant des coups de pieds dedans.
On est à cent mille lieues des entrelacs savants et des mélopées algébriques de Keiko Tsuda mais Pneu en concert c’est le bonheur absolu : une musique instrumentale complètement foutraque et instinctive, bruyante et accrocheuse, magnifique de liberté. Le duo pourrait en faire des tonnes dans le genre on est des gros tarés et on vous emmerde mais non ça reste bon enfant (festif est un gros mot à proscrire une bonne fois pour toutes) et en même temps complètement barré.
























Le guitariste se balance comme s’il était suspendu dans le vide quand il ne choisit pas l’option je me colle à l’ampli pour faire jaillir le larsen d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux. Le batteur se démène, c’est lui le rigolo de service, normal il a des lunettes. Imperceptiblement les deux se rapprochent l’un de l’autre (la distance qui les sépare se raccourcit dangereusement en deçà des trois mètres) tandis que le batteur augmente le volume de son ampli, vive les oreilles en chou-fleur.
Entre deux titres le batteur demande l’heure qu’il est, réclame la présence d’un responsable pour connaître le temps qu’il reste à Pneu pour nous achever et le duo repart au quart de tour à fond les ballons, tempos frénétiques et guitare tronçonneuse en libre service. Malheureusement le batteur se fracasse le genou droit -on hésite un peu : il joue la comédie pour emmerder son camarade de guitariste qui de son côté continue de jouer comme si de rien n’était ? il a une crampe ? un épanchement de synovie ? une gangrène gazeuse ?- et comme il a vraiment l’air de souffrir terriblement, le concert de Pneu s’arrête là, amputé au dernier tiers, celui dont on peut imaginer qu’il allait déboucher sur un final d’apocalypse. On ne le saura pas.



















Dernier groupe de la soirée, Metrolibido est un duo composé d’un garçon aux machines et à la voix et d’un autre à la batterie, euh, une bien curieuse batterie à dire vrai, entièrement composée de pads électroniques. Surprise, derrière l’homme machine se cache Safy, chanteur hystériquement féminin de Monosourcil (ex chanteur parait il, puisque le groupe n’existerait plus), un boys band responsable d’un bon demi LP sur Gaffer records (on n’en sort pas…) et c’est assez curieux de revoir ce garçon rejouer plus d’un an après dans un contexte musical très différent de la première fois et qui plus est au même endroit au presque.
Même écoutée d’une oreille distraite, la musique de Metrolibido n’avait trop rien de déplaisant, mais là, en direct live, il n’a pas fallu attendre la fin du premier morceau pour se dire que c’était tout bonnement épouvantable. Des sons détestables, présence zéro sur scène, morceaux sans intérêt ni queue ni tête… arrêtons-nous là, Metrolibido n’est évidemment pas le genre de la maison et je quitte la salle déjà partiellement désertée au troisième titre, ma patience ayant réussi à me retenir jusque là. Au revoir et à jamais.