Vendredi soir, je me gave de fromages qui puent en buvant du vin blanc (du bourgogne aligoté je crois) parce que je n’ai rien d’autre à m’envoyer mais le mélange fonctionne plutôt bien avec du chèvre et surtout un Saint Félicien sec qui arrache. J’écoute Cellulite Soul en même temps, le premier véritable album des australiens de Witch Hats, un disque qui m’a accompagné pendant tout l’été et qui m’accompagne encore, peut être que je trouverai le temps d’en parler un peu plus, peut être pas. J’ai bien conscience de puer littéralement de la gueule en arrivant devant le Rail Théâtre, je transpire encore de mon périple à vélo, j’enchaîne avec une première cigarette afin que tout soit parfait.
Ce soir c’est Grrrnd Zero party : cinq groupes que je n’ai jamais vus en concert pour six euros, ça ce n’est pas de la bais(s)e du pouvoir d’achat. Keiko Tsuda, 12XU, Papier Tigre, Diagonah et Chapel 59, il y a un intrus dans le lot, un groupe que je n’ai jamais aimé sur disque et quant aux autres j’espère comme toujours dans ces cas là avoir de bonnes surprises. Je finis de sécher à l’extérieur de la salle -il fait incroyablement doux pour un début octobre- avant de donner quelques bonjours et d’aller faire un petit tour routinier vers la distro locale où j’aimerais bien trouver quelque chose (comme les dernières productions Gaffer records par exemple) mais non, rien.
Keiko Tsuda a installé son matériel dans un coin de la salle, du côté du bar : une batterie, un clavier, une guitare et deux tonnes de pédales et d’appareillages incompréhensibles pour le profane comme moi mais qui permettent de jouer d’un instrument sans les mains. Ce jeune duo en est seulement à son troisième concert et c’est le troisième également pour le Grrrnd Zero. Une démo huit titres a été enregistrée dans les caves de cette même organisation, là où le groupe répète, un artiste maison quoi. A signaler que cette démo est disponible via le site du groupe sur simple demande.
Ceci est un nouveau coming out de ma part. Je jure mes grands dieux (et même les petits) que jamais plus je ne médirai du math rock. Pour l’instant. Voici ce qu’à écrit un jour l’organisateur du concert sur un forum à propos de Keiko Tsuda : Jeune groupe lyonnais, qui fait dans le rock mathématique. La maîtrise du batteur donne envie d'arrêter les cours de batterie qu'on n'a jamais commencé, et le guitariste nous sort le catalogue de la Redoute du riff math-rock. Pour l'instant, c'est encore un poil "classique", mais le temps travaille pour eux, j'en suis sûr. Potentiel. Gros. Oui. Et de rajouter sur l’affiche de ce soir : math rock inventif. Et bien oui ces deux jeunes garçons sont réellement excellents, leur musique est pleine de recoins, de bribes mélodiques haletantes et de déferlantes rythmiques qui trémoussent, c’est effectivement inventif et jamais rabâché, plein de maîtrise mais pas démonstratif. Je suis le premier surpris d’avoir autant adhéré à Keiko Tsuda alors que je ne m’attendais qu’à du sympathique et du copier/coller. Les vieux singes peuvent faire la grimace.
On se retourne face à la scène pour découvrir l’installation du groupe suivant. Lui aussi va jouer à même le sol. Bonjour on s’appelle ouanetouhixiou et on vient de la Guillotière. Rappelons à la jeunesse sonique que 12XU n’est pas un titre de Minor Threat mais de Wire (sur Pink Flag, le premier album des anglais). A nouveau je ne sais pas à quoi m’attendre alors par pure facilité voire même par paresse extrême je regarde les t-shirts de ces jeunes gens qui ironisent sur myspace et facebook, le nouveau tamagotchi des trentenaires qui courent vers la quarantaine et qui ne savent pas comment faire autrement pour perdre leur temps : le guitariste porte un Mudhoney avec la photo de Superfuzz Bigmuff tandis que le batteur exhibe lui un t-shirt Orchid. Forcément cela me rappelle un peu mon mélange fromage/vin blanc (à ce stade là de la soirée il faudrait ajouter un peu de bière).
Comme son nom l’indique 12XU est punk, court, nerveux, sec, acéré et braillé. Au-delà je ne peux pas m’empêcher d’être déçu par le groupe, l’originalité n’est pas au rendez-vous (ce n’est sûrement pas ce que ces trois garçons recherchent mais cela devient quand même rapidement gênant) et je trouve les voix vraiment trop tendres. Efficace mais passe-partout.
Fort Boyard ça continue et l’étape suivante du jeu de piste sera sur la scène (enfin !) avec Papier Tigre de Nantes et là tout de suite c’est la classe et c’est surtout un tout autre niveau en ce qui concerne l’aisance scénique, la richesse mélodique, l’inventivité et un sens du groove mené par un batteur excellent -et parfois secondé par le guitariste de droite, décidément très en forme, assurant une bonne partie du spectacle à lui tout seul, énergique, visuel, forte aisance et jeu de guitare jubilatoire.
Le guitariste de gauche, celui à la Rickenbacker, n’est pas en reste question présence, normal c’est lui qui chante et il a une curieuse voix de fausset suraiguë qu’il ne force jamais plus que nécessaire et qu’il sait bien placer. Ceci résume peut être tout l’intérêt de la musique de Papier Tigre -la finesse des intentions et la clarté de l’exécution. Pourtant cette musique est parfois très compliquée. On a le droit de penser à Fugazi mais il faut y rajouter une bonne dose de pop tricoté en fers barbelés et des structures à rebondissement que n’aurait pas renié U.S. Maple. Je suis conquis par tant de grâce ET d’énergie. Le chanteur a parfois l’air de souffrir un peu (Papier Tigre vient d’enchaîner une longue série de dates je crois) et pour finir le nouveau disque du groupe -il s’appelle The Begining And End Of Now- sera disponible le 17 novembre prochain, on en reparle ça c’est sûr et en attendant l’écoute de son prédécesseur sans titre est quasiment obligatoire, vous me donnerez des nouvelles d’une chanson comme Writing On The Wall.
La tête d’affiche de ce concert c’est Diagonah. C’est aussi le groupe que je n’aime pas et dont je parlais au début. L’expérience du live c’est parfois tout autre chose mais là rien n’y a fait : impossible d’accrocher à la mollesse de ces structures mélodiques, la rythmique laisse également sur sa faim et Diagonah rappelle toujours quelque chose d’autre mais en beaucoup moins bien. Mais quoi ? Chicago bien sûr et d’ailleurs le groupe ne se gêne pas pour le rappeler à plusieurs reprises : Diagonah est un vieux groupe, originaire de cette ville industrieuse et bon élève de son école musicale (et parfois enregistré par le binoclard local) mais ses compositions manquent cruellement de relief, de profondeur, d’énergie, c’est bien mou tout ça et surtout cela semble vieillot, désuet, dépassé…
L’intervention à plusieurs reprises de our good friend Stefany (au clavier, au chant et même à la guitare) ajoute un supplément de guimauve à un concert qui pourtant n’en avait pas besoin. Un vrai gaspillage pour un groupe dont la formation inhabituelle -deux basses et une batterie- peut pourtant être source d’inventivité et d’originalité. Je sors fumer une cigarette et commande une nouvelle bière pour la route.
Alors que le public commence à quitter le Rail Théâtre après la prestation (applaudie, je suis très largement minoritaire) de Diagonah, deux guitaristes et un batteur s’installe dans le coin droit de la salle. On branche les amplis, ça roule sur la caisse claire et c’est parti. A gauche, Nico Poisson, échappé de son bocal habituel (Ned). A droite un exilé de Vialka. Au milieu un batteur totalement inconnu de nos services mais portant un pantalon de survêt aussi crado que celui que je porte le matin à la maison pour trainouiller dans mon jus nocturne. Le résultat : un rock noise et débridé, plein d’improvisation, de rigolade, de lâche moi la bride que je te cours derrière et un bordel de jouissance assez total. Ce qui est amusant c’est que Chapel 59 -le nom du groupe- s’est géographiquement installé dans la salle à l’opposé du premier groupe de la soirée, Keiko Tsuda, et qu’en plus il est son exact contraire : le son est crade, l’approximation n’y est pas un problème, la mise en place est au fil du rasoir. Seul point commun, le plaisir.