Nous sommes le 5 février 2009. C’est jeudi et cela mérite un petit résumé de la situation : j’ai déjà deux concerts d’affilée dans la tête et j’ai donc déjà largement dépassé mon quota de père indigne autorisé. Aujourd’hui c’est le dernier jour de mon week-end de milieu de semaine, je recommence le boulot dès le lendemain vendredi et je n’ai rien envie de faire mis à part rêvasser dans le vide. Or, mardi soir, une conversation impromptue avait rappelé à mon esprit fatigué qu’il y avait un autre bon concert ce jeudi au Sonic.
Fort hypocritement je sors un petit calendrier coincé dans une pile de bouquins pour mieux m’esclaffer dans un déchirant bordel-de-merde-mais-j’ai-complètement-oublié-c’est-ce-soir-mon-dieu-qu’est-ce-que-je-vais-devenir en montrant la date du jour à toute la famille réunie autour de moi et fort inquiète devant mon air effaré. Pas la peine d’en rajouter, tout le monde à la maison a très bien compris que ce soir je ne serai à nouveau pas là, père indigne je crois que je l’ai déjà dit.
En arrivant à la salle je découvre entre autres choses que l’un des protagonistes du concert n’est pas venu car il a une (grosse) crève ce qui est toujours gênant lorsque on chante. Je découvre aussi qu’il va y avoir des projections de films pendant que les groupes jouent. Je regarde de loin tout le matériel vidéo installé et me fais directement interpeller par une allumée qui me demande si je suis vidéaste parce qu’elle, justement, l’est. J’essaie de lui répondre d’un ton bourru -en général je sais bien faire- que bien sûr que non et je réussis facilement à m’échapper de ce que je crois être un piège.
Le premier groupe à jouer est en fait un duo réunissant Tony Mowat et Igor Cubrilovic. Le premier était le guitariste du Blues Butcher Club puis de Sun God Motel. Le second a déjà été vu en concert accompagnant Jonathan Kane ou même en solo. Les deux jouent de la guitare, encore des mecs avec pleins de merdouille électronique et d’appareillage autour d’eux pour faire du son.
Je suis vraiment très surpris par le début du concert, je m’attendais à un gros décollage de saturation avec curetage non homologué du bulbe rachidien alors que j’entends des gratouillages planants et délibérément agréables. Bigre. Derrière les deux guitaristes est projeté un film à durée indéterminée montrant le sommet de cheminées que l’un des deux musiciens voit tous les jours depuis la fenêtre de sa cuisine (sic). Le système d’aération au sommet des dites cheminées tourne, ralentit, s’arrête, repart et ça dure des plombes, c’est le Warhol du pauvre. J’hésite entre une représentation allégorique d’un clocher d’église orthodoxe ou d’un encensoir liturgique (donc on n’en sort vraiment pas…). Métaphore pénienne peut être ?
Les deux musiciens utilisent le même gadget pour jouer, c'est-à-dire un archet électronique -ebow pour les intimes- qui n’est jamais qu’un électro-aimant : plus on l’approche des cordes d’une guitare plus celles-ci vibrent et (cela me sera expliqué après le concert) il y a un seul bouton mais deux positions sur un ebow, l’une d’elle délivrant plus d’harmoniques. Le problème c’est que beaucoup trop de gens s’amusent avec ce genre de joujou à l’heure actuelle -Gilles Laval la veille au soir par exemple, même s’il s’en sortait plutôt bien, ou encore Michel Henritzi début décembre- et c’en est un peu marre de tous ces guitaristes qui ont le même son planant, le ebow c’est parfait pour obtenir un effet de sustain, sans imagination ni originalité. Cela me rappelle tous ces groupes de merde qui utilisaient le même synthé Yamaha en appuyant uniquement sur les mêmes touches de présélection.
Pour l’instant, Igor Cubrilovic commence à faire nettement plus de barouf, je me réjouis que tout ça n’était peut être qu’une intro mais lorsque la musique redescend doucement et reprend ses mauvais côtés du début du set je suis à nouveau déçu même si Tony Mowat nous gratifie alors d’un vrai jeu de guitariste (accompagné de ses célèbres grimaces) nous prouvant quel bon musicien il peut parfois être. D’ailleurs j’attends avec impatience le premier concert qu’il donnera peut être un jour avec un nouveau groupe incluant entre autres l’ancien bassiste de Blues Butcher Club/Sun God Motel mais aussi Jean Michel Berthier (ex Bästard) ou Cyril Darmedru… -en avril les gars ?
Ces deux derniers jouent justement dans le groupe d’après avec Seiji Murayama -lui a joué avec Keiji Haino dans Fushitsusha ou KK Null dans Absolut Null Punkt-, Red (le bluesman préféré des Inrockuptibles) et Phil Minton. La mauvaise nouvelle c’est donc que Phil Minton n’est pas là. Moi qui ne l’ai jamais revu depuis les concerts de Roof/4 Walls, je suis vraiment déçu. Mais heureusement que Red est là, sa mémoire d’éléphant éthylique lui permet de me donner quelques nouvelles d’un ami commun et il ne déçoit personne en lançant ses mauvaises blagues légendaires (avant de se reprendre d’un j’ai honte absolument pas crédible) : monsieur et madame Filter ont un fils, comment l’appellent ils?*
Et lorsque on demande à Jean Michel comment s’appelle le groupe il répond on s’en fout ! Mais c’est vrai qu’il y a débat, c’est peut être pour cette raison que pour le concert de ce soir il y avait un fly annonçant Bullshit tandis que l’autre présentait le groupe comme s’appelant N.H5N1. La galère pour le chroniqueur mondain qui voudrait parler de l’album du groupe.
On l’aura compris Bullshit/N.H5N1 c’est le bordel. Même avec des films pseudo expérimentaux vraiment pas terribles en arrière plan. Même sans Phil Minton. J’oublie très rapidement son absence, oublie également mes craintes par rapport à Red (souvent capable du pire) et goûte à plus d’une heure de musique totalement improvisée ou revendiquée comme telle, j’ai eu quelques doutes…
Seiji Murayama est vraiment un batteur extraordinaire, on pourrait croire avec le pedigree qui est le sien qu’il va marteler et rouler des mécaniques et au contraire il a un jeu tout en retenue, pointilliste et pleins de frottements s’il le faut, débordant et audacieux dès qu’il faut envoyer la sauce. Il tient tous les autres musiciens avec son jeu, il ne s’arrêtera de battre qu’une seule fois et il est bien la clef des improvisations bric-à-brac de Bullshit.
Comme sur le disque on assiste à une alternance d’ambiances et de styles différents, la réussite de l’ensemble tient à très peu de choses mais elle est souvent probante, les moments littéralement free impressionnant bien plus que les passages vaguement groovy. Cyril Darmedru est un souffleur sensible et pertinent, quant à l’homme derrière les machines, il n’a pas pu s’empêcher de foutre un peu plus le souk notamment lorsqu’il a envoyé un sample qui a fait croire au sonorisateur que l’un des micros larsenait ou lorsqu’il a balancé une chansonnette sixties d’April Stevens aux paroles délicieusement grivoises : Hold Me Tiger I Don’t Know What To Do/Touch Me Tiger When I’m Close To You/Teach Me Tiger And I’ll Teach You (oui, ce truc là). Un bon concert, assez intense et ludique, de la freeture digeste et imaginative.
En attendant d’avoir envie de rentrer chez moi j’observe la vidéaste de tout à l’heure en train de regarder mon vélo garé non loin de là et de lui tatouiller les pneus. Je me sens prêt à lui rentrer dans le lard mais elle laisse tomber, va regarder le vélo d’à côté, elle s’occupera de tout ceux qu’elle trouvera à proximité de la péniche du Sonic. Une conversation avec un autre essayant de me prouver par A + B que je ne suis qu’un idiot parce que je ne veux pas aller au concert de The Ex au mois de mars prochain sous prétexte que le chanteur est parti du groupe finit de m’achever. Aucune curiosité mon bonhomme, c’est vrai…
[* Aldo]