mercredi 25 février 2009

A.H. Kraken / Tatiana
























Celles et ceux qui n’ont pas été remués plus que ça par Elle Avait Peut-être 19 Ans Mais Pour Moi Elle En Aura Toujours 12, le premier LP des messins d’A.H. Kraken sur In The Red, ne risqueront pas grand-chose de plus avec Tatiana, un vinyl une face pressé grâce aux bons soins réunis de Gaffer records et de Down Boy records. Je vais bien sûr donner entièrement tort aux frileux : ce premier album était l’une des merveilles de l’année 2008 et avoir réussi à enfin découvrir ce groupe en concert a en ce qui me concerne frôlé l’épiphanie. Il est bien rare de trouver une musique à la fois aussi racée (ce qui dépasse de loin toute notion de classe, petite ou grande) et jouant aussi intensément avec l’abject. Une distanciation énervée, une froideur de façade, des dissonances douloureuses, des riffs ad nauseam, des rythmes d’une simplicité dévastatrice et en guise de réponse en pleine gueule du vomi, de la pisse, le sang d’une bonne grosse baise interdite, la fange sans retour. Les textes sont en français, on ne comprend pas tout, du moins on ne comprend pas tout tout de suite, quelques bribes, quelques phrases s’échappent, caressent notre cerveau, parcourent notre entendement mais pas de dégoût ou de révolte : il n’y a aucun jugement moral car il n’y a aucune morale, juste des énumérations, des constats, des histoires. Et la musique a fait le reste.
Depuis Elle Avait Peut-être 19 Ans Mais Pour Moi Elle En Aura Toujours 12 A.H. Kraken a sorti un single et donc ce Tatiana. Le recto n’est pas un hommage aux Turbonegro (qui en comparaison de ce petit groupe de Metz passent vraiment pour les guignols qu’ils sont dans la triste réalité). Le verso est truffé de symboles et de signes dont certains servent aux garçons d’A.H. Kraken à entretenir leur réputation de fils d’aryens consanguins -svastika (orientée dans son sens initial, vers la gauche), insigne SS- et immédiatement désacralisés par la juxtaposition d’autres signes, religieux ou non, tels une étoile de David, un symbole franc-maçon, le A de l’anarchisme, le yin et le yang, un pentagramme (avec ou sans Baphomet), l’œil oudjat, une (fausse) croix de Lorraine, etc… Encore une énumération.
A l’intérieur une feuille nous apprend que Tatiana a été enregistré en juillet 1987 et publié en 1989 sous la forme d’une cassette limitée à 49 exemplaires. Une faute de frappe sur les dates ? Non puisque on retrouve les mêmes indications en dessous mais cette fois-ci en anglais. A.H. Kraken semble avoir repris à son compte cette vieille idée des Residents qui à leurs débuts indiquaient presque toujours sur leurs enregistrements des dates de productions complètements farfelues (il leur arrivait même d’indiquer qu’un disque était une réédition alors que ce n’était vraisemblablement pas le cas). Un tour sur le site des Filles De L'Est permet de découvrir que Luisances Sonores a publié deux cassettes d’A.H. Kraken : une en 2005 (à 2 exemplaires ?!!) et surtout une précédente en 2002 d’où sont tirés sept des huit titres repris sur Tatiana.
Ce LP une face (l’autre est entièrement vierge, il n’y a même pas de dessin gravé dessus comme c’est plutôt la mode ces derniers temps) est donc un vieil enregistrement d’A.H. Kraken, une version primitive de la musique du groupe, comme si c’était possible de faire encore plus primitif que Elle Avait Peut-être 19 Ans Mais Pour Moi Elle En Aura Toujours 12 me diriez vous… et bien oui. Plus exactement ces enregistrements permettent (lorsqu’on ne s’en était pas donné la peine) de se rendre compte que l’album sur In The Red est foutrement pensé, travaillé. Qu’il n’y est pas question (que) de hasard.
De son côté Tatiana offre un visage encore plus -hum- garage et encore plus punk de la musique d’A.H. Kraken. OK le son des guitares n’est pas encore tout à fait celui qu’il est aujourd’hui, le croisement entre no wave et curetage flipperien n’est pas encore poussé à son paroxysme mais tous les éléments sont déjà là, presque en place, prêts pour la nausée. Le son est sale au possible mais cela va trop bien au groupe pour qu’il puisse en avoir été autrement. Il n’y a rien d’anecdotique là dedans, même pas le témoignage de débuts prometteurs (ce qui ne serait qu’une grosse appréciation a posteriori et pleine de facilité), non Tatiana est un disque bien vivant, douloureux et beau lui aussi, un disque à côté duquel il ne faudrait pas passer.