mercredi 18 février 2009

La grande révision des classiques en mode contemporain

























Il ne faut pas se fier à la première version du fly de la soirée de ce lundi 16 février, Kiruna remplace Oreille (que j’aurais bien aimé découvrir) et c’est Assassin Of Youth qui ouvre le bal, groupe de hardcore moderne envoyé par des jeunes gens modernes (et une référence à ce vieux film sur la propagande anti drogue américaine -la marijuana c’est mal- dans les années 30 ?). Il n’y encore pas beaucoup de monde au Sonic mais la moitié des présents dans la salle est remplie par tous les potes de lycée et la famille de ces petits gars (papa, maman, petits frères et sœurs, tonton, tantine et même un cousin). C’est amusant de voir des marmots venir assister à un concert aussi bruyant. Lorsque à l’entrée on demande à leur mère s’ils ont des boules quies et qu’on lui fait aussi remarquer que ça va être fort, celle-ci répond fièrement qu’ils ont l’habitude, ces chers petits.
Toujours au sujet du son, le Sonic est désormais équipé d’un limiteur, ce truc qui coupe la sauce dès que ça dépasse les 100 dB, c'est-à-dire quand ce n’est encore vraiment pas fort, surtout pour les vieux de toutes façons déjà sourd comme moi, bouchons d’oreille naturels. Ce limiteur, c’est une obligation légale. On est en plein dans l’hygiénisme. Ironiquement son installation a été financée par des aides municipales, seule subvention à ce jour touchée par le Sonic qui pourtant aurait bien besoin de davantage de considération de la part des politiques locaux -mais peut on encore faire confiance à un socialiste français ou, pire, à un socialiste lyonnais ?


















Donc il y a les Assassin Of Youth qui jouent, pour des raisons de place seul le batteur est sur la scène, les trois autres (hurleur/guitariste/bassiste) sont à même le sol. Tout le monde a mis un t-shirt blanc, le Sonic est plongé dans l’obscurité et il y a des néons de lumière noire qui font donc ressortir tout ce qu’il y a de blanc. Effet zombi/fantôme pour les membres du groupe mais je constate avec horreur que la lumière noire fait également ressortir mes cheveux blancs et les pellicules qui constellent mon écharpe. Les Assassin Of Youth peuvent bien s’en foutre, surtout le chanteur avec sa tête rasée de skinhead mais cela me met de mauvaise humeur.
Pour le reste, je n’ai pas grand-chose à faire de la musique du groupe qui joue volontairement sur l’agressivité sans en avoir réellement les moyens. Le hardcore chaotique d’Assassin of Youth (Breach la brioche de Botch nous dit le fly officiel, ce qui est le descriptif le plus drôle qu’il m’ait été donné à lire depuis longtemps) est plus fastidieux que rapide et plus lourdingue que lourd, je reste poliment en dehors d’une prestation ennuyeuse. Il n’y a que les postures du guitariste qui sont marrantes, le reste -danse d’orang-outang en rut, attitude viril du tough guy, violence frontale-mais-vas-y-bouge-toi-ton-cul-public-mon-amour- me passe largement au dessus la tête. Je vais ranger celle-ci et mes problèmes capillaires loin de la lumière noire et de ce premier groupe décevant.


















Plus j’écoute Penundaan, le premier LP une face de Kiruna et plus je suis séduit par l’étrange flottement qui règne sur ce disque au style résolument inclassable. Pas vraiment hardcore ni réellement noise, avec un sens de l’urgence habilement tempéré par une espèce d’impermanence -comprendre : ça pulse et ça spleene en même temps. La voix du chanteur, ses intonations et son timbre inhabituels, ont fini par me convaincre.
Notre quatre lyonnais s’installent sur scène, ah non excusez moi il manque encore le chanteur sûrement encore en train de traîner au bar mais il arrive enfin, un rien détendu et stoïque. Être placé devant à un concert renvoie à l’éternelle question de voir ou entendre. Mais de là où je suis, même si la cohérence sonore de l’ensemble est parfois bancale, goûter au son des différents instruments est parfaitement possible. La basse claque massivement tout en opérant quelques incursions plus osées, la batterie parait bien en place et précise, les deux forment ensemble un couple rythmique impeccable et inventif. C’est le guitariste qui tire le mieux son épingle du jeu, il a ce son à la fois large et aigre finalement responsable lui aussi de l’étrangeté de la musique de Kiruna. Lorsque il passe en mode dentellière adepte du double point de croix à l’envers je n’écoute forcément que lui.
Reste le chanteur qui beugle (parce qu’il ne s’entend pas ?) et perd trop de sa tonalité originale. Bon, ce qu’il perd en finesse, il le gagne forcément en énergie et il n’y a rien à en redire puisque Kiruna en concert passe à l’étage supérieur question agressivité et vindicte. Mais contrairement à Assassin Of Youth qui pédalait dans le vide, Kiruna a des choses à dire. Les progrès du groupe sont plus que patents, si ces quatre là continuent sur la même voie cela fera une excellente formation de noise/hardcore dépressif de plus dans cette ville de sourds.























Le Sonic est maintenant bien plein -une centaine d’entrées ou approchant- ce qui est assez remarquable pour un lundi. Le matériel installé par les trois Young Widows est impressionnant, encore un groupe qui se trimbale des racks de pédales d’effets pour guitare dignes de la mallette d’un représentant de commerce de chez Boss ou Danelectro. La batterie a deux toms basses et on peut remarquer les lampes installées sur les pieds de micro et tout autour des deux énormes amplis qui trônent derrière le groupe.
Celui-ci demande à ce que l’on éteigne les lumières et c’est dans le noir presque complet que Young Widows attaque par Took A Turn, entrée en matière du formidable dernier album du groupe, Old Wounds. Son de basse épais, batterie percutante et -surprise- lorsque la guitare entre en action toutes les lampes installées par le groupe s’allument face au public, rhôôôôooo. Tous les titres de Old Wounds vont être passés en revue, même le très minimaliste The Guitar, et le concert est à proprement parlé parfait : Young Widows a un set complètement rodé, sans grandes surprises c’est vrai, avec un son très proche de celui de l’album (ce qui est normal puisque sur celui-ci figurent pas mal de prises live) et une exécution millimétrée.


















Malgré tout ce professionnalisme, malgré l’attitude assez distante du guitariste/chanteur Evan Patterson, le septième ciel est atteint alors que Young Widows interprète quelques perles telles que le frénétique 21st Century Invention et surtout The Heat Is Here, le meilleur titre du groupe. Le spectacle bien orchestré continue, il n’y a que peu de temps morts, le bassiste assure à lui tout seul les deux tiers de l’intérêt visuel de Young Widows sur scène. Il s’agite pour les deux autres, y compris pour le batteur qui reste imperturbablement rigide et droit, tellement concentré que l’on peut se demander s’il ne passe pas son temps à compter les mesures. Pas grave en soi parce qu’il frappe d’une manière assez remarquable, il suffit juste de ne pas le regarder. Un batteur antispectaculaire, c’est assez rare pour être souligné.
Les lumières s’éteignent mais le groupe ne va pas très loin, c’est l’heure du rappel qui est consacré au premier album, Settle Down City, avec des titres plus touffus, plus classiquement noise et moins viscéraux. Ces jeunes veuves, même sans avoir inventé la machine à affûter les riffs et à tendre les rythmiques, savent très bien s’en servir. Cela mérite plus que le prix d’excellence que l’on décerne habituellement aux très bons élèves arrivés à leurs fins à force de travail et d’entêtement -les Young Widows sont le groupe noise contemporain.