Braver l’hiver et la flemme, épisode 372 : le
concert du jour a lieu dans la cave de Buffet Froid et les deux groupes qui y jouent
sont autant de bonnes raisons de se déplacer. Premièrement j’ai toujours réussi
l’exploit de rater Morse, trio local guitare/synthé/batterie et chant et qui
doit jouer à Lyon tous les deux ou trois mois. Aucune excuse pour expliquer ce
manquement si ce n’est la flemme déjà mentionné un peu plus haut.
Deuxièmement l'autre groupe programmé
s’appelle Judas Donneger et là aussi j’avais raté le premier passage du duo à
Lyon il y a un peu plus d’une année ; inutile de préciser que depuis j’ai
du en essuyer des sarcasmes du genre « t’étais pas là espère de gros naze
qui préfère aller écouter du free jazz au Périscope »… Aujourd’hui c’est
donc session de rattrapage et le bon moment pour prendre une revanche.
L’heure c’est l’heure et l’organisateur du jour ne
transigera pas : il est prévu que MORSE
joue à 21 heures pétantes et à l’heure dite les trois jeunes gens s’installent
derrière leurs instruments. Morse c’est donc un guitariste/chanteur, une
joueuse de synthé/chanteuse et un batteur (qui ne chante pas et déjà vu avec
Veuve SS). La cave de Buffet Froid se remplit doucement et le concert peut
commencer.
Il ne faut jamais écouter tout ce que les autres
vous racontent sur les groupes et les musiques que vous ne connaissez pas
vraiment – c’est pour ça que lire ce blog est une perte de temps considérable,
tu es sûr que tu n’a rien de mieux à faire ? – mais mes discrets
informateurs avaient eu raison de me vanter les mérites de Morse et de son
post-punk/garage/no wave/je-ne-sais-pas-quoi : des compositions de qualité
et vraiment bien foutues, de l’entrain qui fait du bien, un chanteur assez
classe qui sait chanter (et qui rigole quand il fait un joli pain à la guitare).
Voilà, maintenant je suis vacciné, la bonne
nouvelle c’est aussi que Morse fera la première partie des écossais de Divorce
le 28 mars au Sonic. Et puis, pendant qu’on y est, signalons la cassette/split
avec Morse et Meatmist publiée par Pain Frites – une chronique de cette cassette, ici, un jour, peut-être, on
verra.
JUDAS DONNEGER est un duo composé de Dominou (ancien Suce Pendus*) et de Pavel
alias Klaus Legal et également membre de nombreux autres projets/groupes (La
Race, etc.). Ces deux-là devaient être faits pour se rencontrer et faire de la
musique ensemble : Judas Donneger en concert c’est une maîtrise certaine –
c’est un peu fini le côté cheapos du premier CDr – mais une maîtrise qui ne fout pas en l’air le côté brut voire brutal
de la musique du duo. Judas Donneger nous assomme de stridences, sons déformés,
chant hurlé, rythmiques cataclysmiques à l’aide d’une boite-à-rythme d’un autre
temps et lorgne plus que jamais du côté d’un hybride de musique industrielle et
de cold wave mâtiné de déchirures de guitare.
La guitare c’est principalement Dominou qui s’en
occupe : il en joue à plat, la tabasse avec des baguettes, l’enchaine sans
pitié, pince les cordes de travers, met ses doigts là où il ne faudrait pas et
tire de son instrument des sons qui ne ressemblent pas vraiment à de la guitare
mais qui surtout ne ressemblent à rien ou plutôt semblent provenir directement
d’une imagination totalement à contre courant – une façon unique de jouer, de
la sorcellerie.
Le synthé n’est pas en reste, dégueulant des
nappes visqueuses ou des éclats bruitistes ; ce synthé c’est un vieux
Roland un peu déglingué mais passé à la moulinette de quelques pédales
d’effets… je me dis que si ces effets là avaient pu exister dans les années 80,
la new-wave d’alors n’aurait pas viré à la farce fluorescente et joyeusement
décadente qu’elle est rapidement devenue par la suite.
Mais pour inventer et obtenir des sons vraiment
tordus il fallait alors jouer dans des endroits bizarres ou savoir manipuler les
bandes, les tordre justement, et – pour en revenir au temps présent – Judas
Donneger lorgne précisément du côté des expérimentateurs de cette époque-là (mais avec des effets rajoutés c'est sans doute plus facile), le
Cabaret Voltaire des débuts par exemple (avec Chris Watson dans le rôle du type
illuminé qui bidouillait des nouveaux sons tous les jours), un groupe auquel on
ajoutera également le côté primitif des vieux Einsturzende Neubauten.
Des références prestigieuses, certes, on devra
sûrement repenser à tout ça à tête reposé et en écoutant Des Millions Qui Y Sont Encore, le
premier véritable album de Judas Donneger**, mais des références qui sont à la
hauteur de ce que l’on a ressenti dans cette cave lyonnaise, un émoi trouble et
rampant, de l’électricité noire.
* si tu ne connais pas les Suce Pendus et bien il n’est jamais trop tard