jeudi 28 mars 2013

Report : Hatchet Kaput, Torticoli, Io Monade Stanca, Clot et Uzeda à Grrrnd Zero - 22/03/2013





Grosse soirée à Grrrnd Zero avec pas moins de quatre noms de (vrais) groupes sur l’affiche : les héros locaux de Torticoli, les clowns de Io Monade Stanca, les terroristes de Clot et surtout les vétérans et légendes vivantes d’Uzeda. Mais peut-être parce qu’il a le sentiment d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre et les épaules pas assez larges pour supporter autant de responsabilités, le jeune Bambino Versailles, programmateur et producteur multitâches de la soirée, s’est acoquiné avec un homologue parisien, Viktor Crashtaz, gérant de Won 28 Entertainment, grand spécialiste des causes perdues et des concerts bouillabaisse.
... Et puis, comme si cela ne suffisait toujours pas avec les conneries, Antoine Bambino et Viktor Crashtaz ont également décidé de monter un groupe rien qu’à eux pour l’occasion, de se payer le luxe de jouer en première partie d’Uzeda, pour flamber au moins pendant les vingt prochaines années à venir et pour pouvoir dire à leur potes et à leurs enfants ouais on l’a fait et il y a même des gens qui ont assisté à ce concert légendairement merdique.




La légende est en marche et HATCHET KAPUT s’apprête à assurer la première apparition publique de sa courte existence. Les flyers et les affiches ont eu beau insister sur le fait que le concert devait démarrer à 20 heures pétantes, il n’y a pas grand monde lorsque Hatchet Kaput commence enfin à jouer devant un ramassis composite de curieux et membres honoraires de Grrrnd Zero, de musiciens (expérimentés) des autres groupes de la soirée et de rares crétins qui respectent toujours les horaires, à croire qu’ils s’emmerdent vraiment chez eux ou qu’ils n’ont rien de mieux à faire dans la vie.
Autant dire que les dix-sept minutes du concert d’Hatchet Kaput furent une terrible souffrance pour les oreilles mais également un plaisant moment de rigolade – à condition de connaitre un peu les deux olibrius en question – et il faut reconnaitre qu’après avoir répété trois fois seulement en quatre jours ces deux là ne pouvaient pas non plus mentir plus que ça sur leurs capacités d’instrumentistes. Cela ne devait pas non plus être facile de jouer sous l’œil d’Agostino Tilotta d’Uzeda, génie de la guitare s’il en est. Il fallait juste avoir les couilles de le faire et ils l’ont fait.




Place maintenant à de la vraie musique avec des vrais groupes. Les trois TORTICOLI n’ont pas joué ensemble depuis quelques temps et se retrouvent donc pour ce concert. L’absence, ça (re)donne des envies, ça fait aussi naitre des idées nouvelles et ça boosterait n’importe quel musicien qui passe son temps à jouer uniquement pour le plaisir et la beauté du geste tout en sachant qu’il devra se démerder autrement pour bouffer le lendemain.
Ils sont donc en forme les Torticoli, les deux guitaristes s’aiguillonnent l’un l’autre, le batteur gère la confrontation et on remarque au passage quelques nouveautés dans la setlist du groupe. Un bon concert pendant lequel le trio apparait particulièrement soudé, carré et direct, pas de chis-chis ni de fanfreluches, de l’électricité et de l’incandescence avec une classe certaine et assurée.
Ajoutons que le prochain disque de Torticoli devrait enfin voir le jour dans les quelques semaines à venir : il s’agit d’un split en compagnie des affreux Chevignon, à paraitre sur le label des win-win lyonnais Bigoût records.




Après la tornade free noise/blues déviant de Torticoli, les IO MONADE STANCA arrivent largement à s’en sortir à force de pitreries incessantes. Adeptes de la grande école Muppets Show/Fraggle Rock/Monty Python et consorts, les trois italiens déchainés et loufoques enfilent les perles, les blagues, les vrais-faux quiproquos, les gags récurrents…
… On en oublierait presque la musique du groupe à force de rire aux éclats devant les grimaces du batteur Matteo Romano et surtout du guitariste Nicolas Joseph Roncea mais ce serait dommage de s’arrêter à ce seul aspect du trio : les groupes de clowns avérés sont souvent extrêmement pénibles à supporter sur la longueur d’un concert et deviennent finalement ennuyeux mais, tout au contraire, Io Monade Stanca se révèle être à la fois un groupe de guignols et un vrai groupe de musiciens et, plus que tout, Io Monade Stanca est un groupe dont les absurdités et autres facéties ne lui font pas oublier qu’il est sur une scène pour jouer de la musique.
Le trio en a donc profité pour présenter les titres de son prochain album – ma légendaire timidité m’a empêché après le concert d’aller demander à ces trois garçons quand et sur quel label devait sortir ce troisième album – et on peut estimer que les choses s’annoncent pas mal du tout pour ce nouveau disque, en tous les cas elles s’annoncent tout aussi convaincantes, folles à lier et encore plus barrées et pataphysiquement vôtre que sur The Impossible Story Of Bubu, le deuxième album de Io Monade Stanca (2009, déjà).




Quelques semaines auparavant, Pavel aka Klaus Legal et aka une moitié de Judas Donneger m’avait rafraichi la mémoire au sujet de CLOT, groupe dans lequel il joue également : « oublie complètement les cassettes que je t’ai refilées il y a quelques années, Clot ça n’a plus rien à voir avec ça ». OK, j’ai quand même réécouté les cassettes en question parce que je suis un peu du genre procédurier et psychorigide mais, évidemment, ça n’a servi à rien.
Clot, désormais, c’est l’association d’un batteur qui tape dans tous les sens ou presque et qui donnerait la nausée à Rashid Ali comme à Charlie Ondras et de monsieur Legal, installé devant une table à bidouilles supportant pédales d’effets, table de mixage et quelques autres trucs (un micro qui se retrouvera vite autour du cou de l’intéressé). Et on assiste à une grosse déferlante harsh mêlant stridences compulsives, sons éclatés, rythmes concassée, hurlements de garçon perdu dans le noir et viande avachie découpée au couteau électrique – une sorte de musique industrielle et bruitiste joué avec l’esprit de la no-wave, un vrai délice de cauchemar.




Il y a quelques années et j’imagine que c’est encore le cas, dès que l’on évoquait le nom d’UZEDA, les réactions étaient toujours les mêmes, souvent méprisantes : Uzeda n’était qu’un groupe de suiveurs, ayant pompé une bonne partie – voire la totalité – de sa musique sur Shellac et sur Steve Albini… il est indéniable qu’il y a de nombreux points communs entre les deux groupes mais, une fois de plus, il va falloir rétablir quelques vérités essentielles.
Albini était, est toujours, le plus grand fan d’Uzeda et sans doute considère-t-il que lui-même et la musique de Shellac doivent énormément aux italiens. Le grand escogriffe de Chicago a même fait le déplacement jusqu’en Sicile en avril 2006 pour assurer personnellement l’enregistrement de Stella, dernier album d’Uzeda à ce jour ; il avait fait de même pour ses prédécesseurs directs, le LP Different Section Wires, enregistré aux Black Box studios de Iain Burgess et Peter Deimel en novembre 1997 ainsi que pour le génial mini album 4, en 1995. Rappelons également que Shellac a enregistré le titre Agostino en hommage au guitariste d’Uzeda et qu’à chaque fois qu’on lui pose (encore) la question de son groupe favori, le binoclard répond qu’Uzeda reste le meilleur groupe du monde.




Le meilleur groupe du monde cela ne veut pas dire grand-chose, sauf dans la ferveur d’un concert, ce moment fulgurant qui vous transperce de part en part et vous donne des certitudes pour au moins toute une éternité. Le concert qu’à donné UZEDA ce soir là était de cette trempe et plus encore. Une leçon de noise-rock vous diraient certains, une leçon de musique tout court rajouteraient les autres ; un moment de vie avec tout ce que ce terme de « vie » peut à la fois comporter de magie et d’évidence.
Pour un soir et surement à chaque fois que l’on repensera à ce vendredi 22 mars 2013, Uzeda a donc bien été le meilleur groupe du monde, celui que l’on a toujours voulu voir et écouter en concert. De la musique jouée par des papys et des mamies (pour une fois les musiciens sur scène étaient plus vieux que moi), une musique forte, violente, crue mais tellement belle, symbiotique, parlant à l’intelligence du cœur, vous transperçant le corps en entier, vous mordant de l’intérieur et vous triturant la tripaille en une succession d’explosions de chaleur et de liberté.
Rendons hommage à la paire rythmique, Raffaele Gulisano à la basse et Davide Oliveri à la batterie, une rythmique qui instaure ce groove noise-rock sec et tendu ; rendons hommage au guitariste Agostino Tilotta, complètement possédé et s’embrasant à chaque instant, sortant des plans insensés mais si expressifs de son instrument, magique lui aussi ; enfin, rendons hommage à Giovanna Cacciola, la voix et la flamme d’Uzeda, une voix et une présence qui vous transforment tout comme elles se métamorphosent elles-mêmes, éclats ahurissants d’une beauté fugitive, généreuse et libératrice.

[les photos du concert c'est par ici]